Les loups se relevèrent lentement, un par un, comme une armée de morts vivants. Pandémonium contempla ses alliés d’un jour. Tous étaient trempés, et la plupart étaient blessés. Pour sa part, le jeune Dragon avait besoin d’être soigné, c’était une évidence. Il croisa brièvement le regard de son père, qui l’emplit brutalement d’une assurance joyeuse : Isha était fier de lui.
« Tu sais que je n’irais pas chez un guérisseur de meute ? »
C’était Nocturne qui avait parlé. Pandémonium dodelina de la tête : l’attitude farouche du mercenaire d’ébène ne l’étonnait pas. Il avait toujours été plein de fierté et il aurait certainement préféré crever que de se laisser soigner par une meute, quelle qu’elle soit. Le jeune loup éprouvait lui aussi quelques réticences à se laisser dépendre d’un loup de meute, mais après tout Manîthil s’en était allée et il n’avait jamais vraiment aimé se faire soigner chez elle non plus. Ce n’était pas une partie de plaisir, et il fallait faire une croix sur son amour-propre, mais c’était ainsi.

Anya les invita à les suivre. Elle semblait déterminer à les soigner elle-même, ce qui atténua un peu les dernières réticences du jeune Dragon. Après tout, ils n’étaient pas encore ennemis, elle et lui. Et ils venaient d’accomplir quelque chose ensemble. Enfin, séparément, mais dans le même but commun. Alors il estimait que c’était normal d’accepter de se faire soigner par elle. Et Nocturne n’avait qu’à faire de même. Le jeune loup s’approcha lentement de la louve blanche, se plaçant non loin d’elle, signalant ainsi son accord pour la suivre.

Nocturne semblait résolument campé sur ses positions, malgré l’insistance du Dragon en personne. Du Nocturne tout craché. Sa fierté le perdra, tôt ou tard, songea le jeune loup. Mais l’heure n’était pas aux bavardages, et il commençait à s’impatienter.
« Je connais une guérisseuse solitaire qui fera l’affaire. », émit brutalement Kobalt. Pandémonium dressa l’oreille : pouvait pas le dire plus tôt, celui-là ? Ca leur aurait évité d’attendre, plantés comme des cons à se regarder en chiens de faïence. Une pointe de regret aussi, parce que ça lui aurait évité d’être redevable à Anya. M’enfin, ce qui était fait était fait, et cela sembla convaincre Nocturne. Il consentit à suivre Kobalt – c’était pas trop tôt.

Et tandis qu’Anya et Nocturne terminent visiblement de se chamailler comme des louveteaux, la louve blanche s’adresse soudainement à lui, directement : « Laissons mademoiselle faire sa douillette, nous on y va, Pan’… démonium. » Le Dragon nota l’hésitation mentalement. Elle marquait le coup : plus d’amitié, plus de gentilles petites déclarations faites à la lumière de la lune, que dalle. Au moins, elle acceptait sa présence, c’était déjà ça. Pandémonium hocha de la tête en signe d'approbation tout en jetant un coup d’œil insistant à son père, espérant qu’il les accompagne. Se retrouver seul avec Anya allait être particulièrement gênant, et Isha avait besoin d’être soigné. Faire d’une pierre deux coups, vous voyez. Mais il ne tarda pas à suivre la Navnik, tendant tout de même l’oreille pour guetter les pas de son père derrière lui.

« Je te remercie d’avoir proposé ton aide. Les Dragons t’en resteront reconnaissants. »
Peut-être un peu trop solennel pour des circonstances aussi simples que celles-ci. Pandémonium évita avec soin le regard d’Anya. Leur dernière conversation restait ancrée dans son esprit, et il savait bien que la reconnaissance desdits Dragons ne lui faisait ni chaud ni froid. Bien au contraire. En fait, elle n’en avait strictement rien à foutre et il pensait qu’elle les méprisait plus qu’autre chose. Il resta donc parfaitement silencieux, se contentant d’hocher de la tête pour approuver les paroles de son père. Après tout, elle méritait quand même des remerciements.

Il la laissa s’occuper de ses plaies sans broncher, grimaçant à peine lorsqu’elle touchait de trop près à la chair à vif. Il n’allait quand même pas passer pour un faible, surtout à ses yeux ! Même s’il était convaincu qu’elle l’avait définitivement rayé de son existence et relégué au catalogue des ennemis insignifiants, il préférait qu’elle conserve une image de lui méliorative – même si ça semblait à priori impossible.

« Repos. Vous deux. J’ai pas intérêt à revoir ces plaies ouvertes sinon ça va mal aller. »

Le ton autoritaire fit se sentir Pandémonium subitement tout petit face à la guérisseuse – il ne savait même pas qu’elle était guérisseuse auparavant, d’ailleurs. C’était comme s’il n’était plus qu’un petit louveteau subissant misérablement les réprimandes de sa nourrice. Il consentit à la fixer droit dans les yeux quelques instants, ces yeux bruns et inexpressifs qui le fixaient sans plus aucune ambiguïté.
Parfait. Il se retourna vers Isha, attendant que celui-ci soit prêt à partir de ces terres qui n’étaient pas encore prêtes à les accueillir.
Pas encore.