Je suis un loup de meute, mais plus que tout je suis un frère, un ami, un compagnon pour ceux qui ont été ma famille. J'ai été un fils difficile, un jeune mâle intenable et capricieux, parfois violent envers des êtres qui ne le méritaient pas. J'ai grandis, mon corps s'est développé et j'ai évolué. Mais aujourd'hui je reste cet être impulsif et parfois instable, que beaucoup respectent et craignent. Mon regard dur ne démontre pas la patience dont je pourrais parfois faire preuve, et je ne suis pas de ceux qui attendent gentiment les progrès. Je suis plutôt de ceux qui prônent le travail acharné pour se défaire de ses faiblesses. Pourtant, dans certains cas, je suis capable d'éprouve la compassion, la douleur et même, pour une seule louve, l'amour. Mais aujourd'hui, après plus de trois ans de vie commune, Inka rejette toujours chacune de mes avances, comme si elle avait déjà un mâle en ligne de mire. Je pourrais presque croire qu'elle est déjà avec quelqu'un, si je ne la connaissais pas si bien. Mais Inka vit avec mon frère et moi depuis si longtemps, je le saurais si elle en aimait un autre. Et mon frère, parlons-en. Mon tendre petit frère qui cache sans cesses ses sentiments par peur de me décevoir. Il pense que je ne vois pas la tendresse qu'il éprouve pour Inka. Elle est presque comme notre soeur, après tout. Mais heureusement pour moi, elle ne l'est pas réellement. Je soupire. Où peut bien être passé Saiyan depuis tout ce temps ? La dernière fois que je l'ai vu, ce n'était pas plus loin que sur la dune de sable, où il est réapparu après déjà une première absence interminable qui nous a beaucoup inquiétés, Inka et moi. Mon frère aurait-il une double vie quelque part ? Une famille qu'il nous cacherait ? Je ne peux croire une telle chose. Il ne nous ferait pas ça.

Je m'avance dans le plus grand silence entre les différentes tanières de mes frères et soeurs de meute, cherchant l'une d'elles en particulier. Je m'approche de ma cible, humant l'odeur de mon amie de longue date, cherchant à savoir par l'intensité des effluves si elle est là aujourd'hui, ou si je devrais attendre son retour. Je ne suis pas un loup patient. Si elle est absente, je laisserais mon odeur en me frottant à une paroi et je repasserais plus tard. Ou elle viendra directement me trouver, pourquoi pas ? Mais la chance est avec moi semble-t-il, parce que Inka est là, cachée dans le fond de sa tanière. Je gratte le sol de ma patte, cherche les mots. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas pris le temps de venir la voir, prendre de ses nouvelles. Il faut dire, ses rejets incessants déchaînent ma colère et je sais qu'elle n'aime pas ça, qu'elle déteste ce trait de ma personnalité. Pourquoi aller la voir alors que je sais comment notre échange finira ? Autant diminuer les risques et la laisser seule. Mais cela fait trop longtemps, elle me manque. Chaque jour devient plus difficile à supporter alors que je ne parviens pas à mettre la patte sur mon frère et que Inka reste toujours aussi distante avec moi. Je soupire, tourne en rond, doute de mon idée. Est-ce vraiment une bonne idée d'être là ? Voudra-t-elle seulement me voir ? Et puis mince, je peux bien faire un effort et tenter de rester calme, pour une fois ! Il est temps de grandir, n'est-ce pas ? Je soupire une nouvelle fois, inspire profondément, et me racle discrètement la gorge pour prévenir de ma présence.

- Inka ? C'est Natan, tu es là ?

J'attends patiemment que mon amie sorte enfin de sa tanière, et alors que je reste là sagement, je réalise que doucement la pression monte. Et si elle me demandait de partir sans même me dire qu'elle va bien ? Et si la douleur causée par la perte de Sayian la touchait au point de lui rendre ma vue insupportable ? Je me mets à faire les cent pas durant ces longues secondes qui me séparent de la réponse à mes questions. Comme si toute ma vie se jouait là, dans ce précieux instant. Mais bientôt, sa voix délicate et pleine de tendresse m'extirpe de mes mauvaises pensées, de mes doutes. Elle apparaît sous la lumière du soleil et j'étire un léger sourire, satisfait de pouvoir enfin la contempler de nouveau. C'est fou ce qu'une louve peut vous faire ressentir. Fou de se dire à quel point on peut être sauvage et dangereux, et à la fois si empli d'amour pour une autre.

- Qu'est-ce qui t'amène ici ?

Entreprenant comme à mon habitude, ce qui n'a peut-être jamais plu à Inka, mais dont je ne peux m'empêcher, je m'avance d'un pas et enfoui ma tête dans son encolure rien qu'une seconde, me délectant d'une étreinte volée malgré tous les rejets que j'ai dû encaisser jusque là par cette même louve au pelage d'argent.

- Je suis content de te voir, ça fait bien trop longtemps.

Oui, bien trop longtemps que je n'ai pu la regarder, que je n'ai pu la toucher. Bien trop longtemps que mon frère nous ignore et nous laisse là, perdus, des questions plein la tête. Bien trop longtemps que j'attends.

Je la détaille quelques secondes, me réjouissant de cette infime victoire qui est pour moi un énorme pas dans notre relation. Certes elle ne m'a pas déclaré sa flamme, mais comment ne pas espérer progresser alors que toutes ces années elle m'a rejeté avec véhémence, comme si j'étais un monstre impitoyable qu'il ne fallait surtout pas approcher ? Je n'ai de cesse de sourire et de la regarder en même temps, me ravissant de ce spectacle qui ne m'a jamais été offert. Elle est mon amie, presque de ma famille pour tout ce temps passé à vivre ensemble. Mais après tout ce temps, j'espère encore qu'elle sera un jour bien davantage qu'une soeur d'adoption.

- Tu veux qu'on aille se promener dans les parages et discuter ?

D'abord cette nuit passée ensemble au fond sa tanière alors que les recherches incessantes de Sayian étaient restées vaines. Un silence, et aujourd'hui elle me propose d'elle-même une balade rien que tous les deux. Ce n'est peut-être rien pour qui voit les choses avec objectivité, mais mon impulsivité et mon impatience me forcent à imaginer les plus belles retrouvailles, le plus bel avenir à ses côtés. Elle sera mienne, je finirais bien un jour par l'y convaincre. Je dépose sur son museau une lèche affectueuse avant d'orienter mon corps vers le chemin de ronde qui sépare sa tanière de la plus proche.

- Allons-y.

Les sens en alerte, je marche tout près d'elle, m'enquérant de tout ce qui se passe autour tout en m'enivrant de son odeur si proche de moi.

- Qu'as-tu fais, ces derniers mois ?

Pourquoi était-elle si loin ? Pourquoi ne pas m'avoir donné de nouvelles ? Pourquoi avoir été absente à chacune de mes visites ? M'aurait-elle fui ? Je ne le lui demande pas, je risquerais probablement de m'énerver encore.

Je ne suis pas un loup auquel on raconte sa vie en espérant être écouté. Je ne suis pas de ceux qui ont la patience de s'occuper des plus jeunes et de parfaire leur éducation lorsqu'ils quittent leurs parents et commencent à grandir. Et je suis encore moins parmi ceux qui s'obstinent dans une tâche qu'ils savent perdue d'avance. Pourtant, à l'image de ma tendre amie, je n'ai pas cessé de chercher mon frère, moi aussi. Sur d'autres pistes, dans d'autres lieux que ceux qu'elle a fouillé. Je n'ai eu de cesse de chercher, participant à des missions en territoire ennemi pour y trouver une quelconque trace de mon frère, mettant ma vie en jeu dans des quêtes absurde chez les Hommes sans jamais craindre d'y mourir.

- Et bien comme tu le sais, je cherchais Saiyan.. j'ai essayé de partir à sa recherche loin d'ici mais toutes les odeurs que je trouvais me ramenaient ici... Du coup j'ai décidé d’arrêter les recherches. La vie continue.

Et si les pistes ont toujours ramenée Inka au même endroit, celles que j'ai suivies n'ont pas porté davantage leurs fruits. Il semble que mon frère ait disparu, complètement, ne laissant aucune trace derrière lui. Nous forçant à tourner en rond avec nos espoirs et nos angoisses, nous obligeant à regarder tourner dans nos tête les mille et unes questions qui tourbillonnaient sans cesse au fil des jours.

- J'ai aussi beaucoup pensé à toi Natan.. de ce que tu faisais..

Je pose sur ma tendre amie un regard empli d'amour et de détermination, ce même regard que Saiyan a toujours jugé dangereux par ce mélange d'émotions contradictoires et instables chez moi.

- Et où t'ont menée tes réflexions, Inka ?

Où tes pattes t'ont-elles portée ? Jusqu'où ton esprit a mené la cadence ? Es-tu rentré pour suivre les traces de mon frère, ou pour me retrouver, moi ?

Je l'observe de ce regard de braise qui a toujours été mien et je revois toutes ces années passées côtes à côtes, avec mon frère également. Nous en avons passé, du temps tous les trois. Inka n'a jamais supporté mes avances probablement parce que je n'ai jamais su faire preuve de délicatesse. Mais je suis ainsi et je l'aime. Je ne changerais pas, je ne mentirais pas sur celui que je suis pour atteindre son coeur et finalement la décevoir en retirant le masque. Je suis persuadé qu'elle finira un jour par s'habituer à la rudesse de mon tempérament et à la force de mon caractère. Je suis certain qu'elle finira par m'aimer pour celui que je suis et qu'elle cessera d'attendre que je m'adoucisse. Mais je perds patience. Les années passent et rien ne change, j'ai la sensation de faire un pas en avant et deux en arrière, chose qui me rend nerveux et me met les nerfs à fleur de peau.

- Et bien ici apparemment... une promenade avec toi, à parler de choses.

Son hésitation, son manque d'assurance m'agacent subitement. Je m'arrête tout à coup et lui fait face, plongeant dans son regard empli de douceur, mes orbes dorée pour les y ancrer une bonne fois. Ma voix résonne, plus forte et plus sèche que depuis le début de notre conversation. Cessons donc ce jeu du plus fin, je ne suis pas doué.

- Inka, j'ai toujours été sincère avec toi. Je ne suis ni le plus doux, ni le plus patient, mais je suis honnête et franc. Quand me donneras-tu ma chance ? J'estime la mériter amplement après tout ce temps que j'ai passé à t'attendre.

C'est autant une question qu'un ordre, en fait je suis lassé de la regarder vaquer à ses occupations et de voir les mâles lui tourner autour alors qu'elle est mienne depuis toujours. J'en ai assez d'être privé de ce droit de la posséder alors que je suis celui qui l'aime depuis toujours.

Je plonge mes yeux dans ceux de mon amie, cherchant à l'empêcher de se déconnecter de moi. Je veux des réponses, une bonne fois pour toutes. Marre d'attendre. Marre de patienter. Je me suis déjà trop attardé.

- Natan, tu sais qu'on se connait depuis un petit moment maintenant.. Et je sais que malgré tes attentes, je ne t'ai toujours pas donné ce que tu veux: mon coeur. Par contre, j'aimerais te donner une chance que je tombe amoureuse de toi. Oui je connais le dur loup en toi, celui qui ferait tout pour me protéger, mais j'aimerais te connaitre sur un niveau plus.. intime? Que l'on parle toi et moi, comme par exemple de tes sentiments pour moi, ou de ce que tu aimerais qu'on fasse dans le futur ...

Qu'on parle de mes sentiments pour elle ? Ne les ai-je pas assez étalés, depuis trois ans ? Je serre les mâchoires et étouffe un léger grognement agacé.

- J'ai toujours eu des sentiments aussi pour toi Natan, mais ils étaient voilés jusqu'à présent à cause de Saiyan, tu le sais bien. Mais je veux être sure que nous sommes parfaits l'un pour l'autre plutôt que tu te lasses de moi.

A cause de Saiyan ? Cette fois je l'observe avec incrédulité.

- Qu'est-ce que mon frère a à voir avec mes sentiments pour toi ?

Et surtout, qu'est-ce qui pourrait lui faire penser que je me lasserais d'elle quand ça fait trois foutues années que je l'attends ?

Je perds patience. Le temps s'écoule trop lentement, ou trop vite, et mes nerfs sont mis à rude épreuve. D'abord cette attente interminable pour obtenir enfin les faveurs d'une seule louve, que jamais je n'ai trahi malgré ses incessants rejets. Et puis maintenant, le nom de mon frère donné comme raison de cette attente, comme s'il était un pilier trop important, comme s'il avait été un mur entre elle et moi.

- Et bien tu sais, ton frère, toi, et moi avons beaucoup parcouru de chemin ensemble, et je me suis attachée à vous deux. J'avais du mal à voir mes sentiments pour toi jusqu'à présent. Mais Natan, je pense.. je pense être prête à ce que nous découvrons ensemble ce que nous pourrions être ensemble.

Si ce n'est que ça, alors je n'ai finalement pas de raison de m'inquiéter. Je demeure là, le regard rivé à elle, écoutant avec intérêt ce qu'elle se décide enfin à me dire. Je fais un pas, hésite, et finalement m'approche encore pour enfouir dans son encolure mon museau puissant. Dans un soupire soulagé, je me délecte de cette nouvelle intimité que je semble avoir gagné.

- Je suis tiens. Je l'ai toujours été. Et je ferais de toi ma compagne, quel que soit le temps que ça prendra.

Et quel qu'en soit le prix.

Je suis vainqueur. J'ai gagné un coeur que j'ai si longtemps désiré, et aujourd'hui j'ai enfin atteint cet objectif jusque là inapprochable. Je soupire d'aise, là tout contre elle, et je reste silencieux alors que seul mon souffle se mêle à son pelage clair. Bientôt, son corps s'emmêle au mien et son souffle se faufile entre mes poils pour caresser doucement ma peau. Je ferme les yeux, là tout contre elle, et je me sens enfin arrivé à destination.

- Tu es tellement.. chaud.

Je serais toujours là pour elle. Toujours présent dans les froides nuits d'hiver, toujours non loin lorsque le soleil frappera son corps avec rudesse. Mon corps puissant se reposera à jamais devant elle pour veiller sur son existence. Elle est ma raison de vivre, l'a toujours été. Je soupire une seconde fois, inspire profondément, et me recule lentement pour la regarder dans les yeux.

- Je t'aime, Inka.

Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain.

Déjà, le ciel se teinte d'une grisaille familière. Lorsque le soir tombe, nous autres loups, nous éveillons pour chasser en meute mais seulement en partie. Le reste de la meute, éveillée le jour, rejoint les tanières pour s'y endormir paisiblement. J'ai été, fut un temps, de ceux qui partaient alors que le soleil disparaissait à l'horizon. Aujourd'hui je suis monté en grade, j'ai pris du galion et j'ai cessé de me lever lorsque la meute se couchait. Je le fais encore, parfois, simplement pour me rappeler l'époque où j'étais un membre lambda. Simplement pour me rappeler à quel point je peux être fier de ce que j'ai accompli alors que je subissais malgré moi les incessants rejets de ma louve aimée. J'esquisse un sourire en coin alors qu'elle balbutie une réponse mal assurée, et je lui donne une seconde étreinte, plus rapide mais pas moins douce que la première. Inka est désormais mienne. Et si nous retrouvons un jour Saiyan, il sera le premier à qui j'aurais envie de le dévoiler. Parce qu'il est mon frère.

- Rentrons, maintenant.

Il se fait tard et je n'ai plus qu'une envie, veiller sur ma compagne jusqu'à ce que la mort nous sépare.