Tapie dans le fond de la tanière, Hel laisse de longues minutes s'écouler avant de ramper pour s'avancer de quelques centimètres vers l'extérieur. Hel sent encore l'odeur de Nocturne, parti depuis un petit moment, mais elle sait qu'il n'est plus dans les environs. Parti chasser pour nourrir son handicapée de fille, le loup sombre a dû s'éloigner pour trouver quelque chose à tuer. La petite louve hume les effluves pour analyser les différentes présences au dehors. Elle cherche, se concentre, et reconnait l'odeur d'un lièvre ainsi que celle d'un écureuil. Elle entend même, en tendant l'oreille, les galopades du premier dans l'humus de l'été. Hel souffle entre ses babines, hésite encore un moment. L'air est chaud, lourd, humide. Il colle à son pelage malgré le soin qu'elle prend à rester à l'abris dans la tanière. Et finalement, après d'interminables minutes, Hel se décide. Elle rampe un peu plus, jusqu'à s'extirper complètement de la tanière. D'abord le museau, prudemment. Puis une patte, avec hésitation. Elle sort la seconde, pleine de doutes, mais décide de ne pas se fier à sa peur qui contrôle beaucoup trop sa vie. Elle s'ébroue dehors, se libère de la poussière et de la terre qui collent à son pelage. Elle se roule même au sol, sentant le froid s'insinuer sous son pelage pour la soulager de l'électricité qui la dérange et qui danse autour d'elle, dans l'air. Après un moment, Hel se rend à sa petite cachette, non loin de la tanière, où elle entrepose ces derniers temps les découvertes précieuses qu'elle fait durant les absences de son père. Hel les compte, comme pour s'assurer que tout est là.

Hel vérifie la taille et l'odeur de chaque trésor, elle va même jusqu'à en lécher certains, comme si elle voulait s'assurer qu'ils ne portent pas le goût d'une autre présence, d'un potentiel voleur. Hel est fière de toutes ces découvertes. Si fière qu'elle voudrait pouvoir les protéger de quelconques dangers s'ils venaient à se présenter à eux. Mais Hel n'a aucun courage, aucune force. Elle ne saurait faire face si un chapardeur venait à s'emparer de ses biens. Là, hors de la vue de quiconque, la petite louve étire ses babines en un sourire difficile, le premier de sa vie. Finalement, malgré toutes ses difficultés, malgré toutes ses faiblesses, Hel progresse. Et quoi qu'aura pensé sa génitrice à sa naissance, Hel arrivera à prouver qu'elle méritait de vivre. L'air électrique ébouriffe légèrement son pelage, mais Hel n'y fait pas attention. Trop absorbée par la splendeur de ses trésors, elle ne prend plus garde à rien le temps de quelques secondes. Et puis, quelque chose la fait brusquement tressaillir, comme un mauvais pressentiment. D'instinct et sans même se rendre compte de ce qui la pousse à le faire, Hel s'éloigne de sa cachette, levant la tête pour humer l'air à la recherche d'une réponse olfactive à sa question silencieuse. Que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui peut bien provoquer ce doute, cette incompréhension dans sa tête ? Cette angoisse qui naît au creux de son estomac ? Hel s'éloigne encore de quelques pas, cherchant toujours l'origine de son étrange état. Soudain dans le ciel, un flash violent l'aveugle une fraction de seconde. L'instant d'après, dans un énorme fracas assourdissant, Hel s'envole pour se plaquer rudement au sol.

Elle reste là, béate, de longues secondes, avant de sentir un danger mortel se profiler. Elle se redresse, tourne la tête vers sa cachette aux trésors. Son regard s'écarquille d'horreur : là, devant Hel, juste au-dessus de sa cachette, des choses chaudes, dans toutes les nuances de rouge, de jaune et d'orange, s'étalent sur les arbres calcinés et l'herbe qui avait tant peiné à repousser. D'abord, Hel ne comprend pas et la curiosité la pique, teintée pourtant de cette panique qui lui est naturelle. Et puis, des flammes jaillissent des animaux, des rongeurs, des écureuils et toutes sortes de créatures paniquées qui courent vers Hel et lui passent autour sans la voir. Et les flammes, chaudes et meurtrières, dévorent tout sur le passage, se dirigeant aussi vers elle. Dans une pulsion qu'elle ne saurai s'expliquer, Hel se précipite vers le brasier. Elle se jette sur sa maigre réserve, lance ses antérieures en avant comme pour protéger son butin. Hel ne laissera pas le feu emporter tous ses efforts ! Elle ouvre grand la gueule, attrape un maximum de plantes et de trouvailles, et part en courant vers la tanière de son père. Elle s'enfouit à l'intérieur, tasse ses trésors tout au fond, et retourne chercher ses dernières précieuses trouvailles pour les cacher également. Elle se tapi ensuite tout au fond de la tanière, collée contre ses trésors, et tremble enfin de tout son corps en laissant aller la panique qui sommeillait en elle alors que le courage avait pris toute la place dans son esprit. Hel attend durant longtemps que la chaleur, là-haut, commence à disparaître. Heureusement qu'aucune plante ne mène les flammes jusqu'à Hel, et que les pierres qui forment l'entrées ne conduisent pas le feu.

Alors, enfin, la chaleur diminue. Le fleuve à dû apaiser la colère du ciel. Hel reste pourtant encore longtemps couchée là, dans sa tanière, attendant que Nocturne revienne de la chasse. Mais rien. Rien que le silence et les crépitements des braises qui s'éteignent peu à peu, alors que Hel veille farouchement sur ses trouvailles si durement acquises. Lorsque le bruit du feu à complètement cessé, Hel s'extirpe prudemment de la tanière et observe les alentours : tout a été détruit. Le sol n'est plus que poussière noire, les arbres ont quitté leurs manteaux verts magnifiques et même les pierres autour de sa tanière se sont assombries. Hel soupire, tremble encore de cette mésaventure. Mais elle réalise vite l'ampleur de la situation : Hel a survécu. Alors, dans son regard naît quelque chose de nouveau, de plus grand encore que le contentement : la fierté. Hel a survécu, sans l'aide de personne cette fois, elle a survécu et a même sauvé ce qu'elle avait mis tant de temps à trouver ! Hel part d'un rire léger et timide, maladroit. Et alors que le sol n'est plus que tiède, la jeune louvarde ressort toutes ses découvertes de la tanière et cherche un nouvel endroit où les cacher. Elle ne veut pas encombrer la tanière de son père avec ses étranges passe-temps, Hel ignore si cette nouvelle passion qu'elle s'est trouvé pour les plantes est normale, alors elle ne veut pas encore en parler à Nocturne. Finalement, elle jette son dévolu sur le tronc d'un arbre désormais mort, brûlé à vif, que le feu à presque déraciné. Elle creuse un peu en dessous des racines, et commence à y ranger ses précieux trésors sans plus faire attention au reste du monde.

Hel a sauvé toutes ses découvertes. Hel est extrêmement fière d'elle ! Hel contemple ses trésors et les range consciencieusement dans le creux de l'arbre mort où elle a décidé qu'elle cacherait désormais toutes ses trouvailles. Elle donne de légers coups de museaux dans un sens puis dans l'autre, déplace les plantes à l'aide de ses pattes minutieuses, cherchant le tri parfait. Quand une voix résonne derrière elle, faisant pivoter ses oreilles en réflexe.

- Est-ce que tout va bien ? Est-ce que le feu t'a touché quelque part ?

Hel se retourne vivement, le corps tendu entre l'étranger et sa cachette, comme si elle avait la moindre chance de protéger ses précieux contre un vol ... Mais le loup, un mâle adulte qui sent le Navnik, ne semble pas sur le point de lui dérober ses possessions. Au contraire, Hel perçoit l'inquiétude dans sa voix, et elle sent au fond qu'il n'a pas peur pour les plantes, mais bien pour elle. Elle penche légèrement la tête sur le côté, comme si elle cherchait à comprendre la raison de cette inquiétude. L'aime-t-il, comme Kobalt et Nocturne l'aiment ? Pourquoi avoir peur alors qu'elle est rien pour lui ? Finalement, sa voix fluette et son élocution lente prennent leur tour.

- Hel n'a rien ...

Hel voit le regard du loup dévier sur ses trésors, elle n'esquisse pas le moindre mouvement.

- Ces plantes sont à toi ?

La louvarde tourne la tête pour les contempler encore une fois, si fière de les avoir toutes sauvées. Plantes.

- Oui ! Hel a tout sauvé !

Hel est si fière ... Si fière ... Hel n'a désormais plus qu'une impatience, voir rentrer son père et lui raconter ce qu'elle a fait, le courage dont elle est persuadé d'avoir fait preuve ! Mais, avant toute chose, apprendre. Parce que Hel a bien noté que le loup sait. Il sait ce qu'Hel a trouvé, et il en connait peut-être d'autres qu'elle pourrait chercher.

- Hel adore ... Plantes ... Hel aimerait en trouver d'autres ...

Hel aimerait tellement pouvoir mieux exprimer ce qu'elle ressent, ce qu'elle veut ... Elle lance au mâle un regard implorant, priant pour qu'il comprenne.

L'adulte écoute Hel avec attention, comme si ses mots avaient une importance quelconque, et Hel se sent flattée d'autant d'intérêt de la part d'un inconnu.

- Tu veux en trouver d'autre... Des plantes tu veux dire ?

Hel hoche la tête avec énergie, comme si son corps pouvait exprimer ce qu'elle ressent plus vite que sa voix.

- Veux-tu que je te montre un endroit où tu peux trouver des plantes ici ?

Hel le regarde, puis regarde autour d'eux et le regarde à nouveau. Peut-elle lui faire confiance ? Il n'est personne. Il n'a même pas de prénom. Et s'il lui voulait du mal ? Alors il l'aurait sans doute déjà blessée. Et Hel a senti, elle a entendu la sincérité dans sa voix lorsqu'il lui a demandé si elle allait bien. Hel a confiance, les Navnik sont la meute à qui Nocturne l'a confiée, ils sont forcément bons. Hel s'approche du mâle, puis fait vivement demi-tour et tire une racine souple en partie arrachée pour la poser au-dessus de ses trésors, les camouflant ainsi pitoyablement du monde extérieur. Alors seulement, Hel rejoint le mâle adulte, le regardant comme s'il était une divinité apparue par miracle. Parce qu'il sait. Et Hel veut apprendre.

Après quelque distance parcourue, il tourne vers elle un regard intéressé, comme si la plante pouvait les voir et s'enfuir. Hel l'observe et le rejoint dans un silence parfait, brisé seulement par le bruissement de ses pattes sur le sol.

- Regarde... C'est ce qu'on appelle du thym. Tu peux le sentir à l'odeur... C'est une plante très bonne pour le mal de ventre, ou pour digérer... Il faut en manger après le repas si la viande n'est plus trop fraîche.

Hel observe la plante et l'analyse, elle essaie de se rappeler si elle en a déjà ou non et où elle aurait pu en voir ailleurs. Le mâle finit par cueillir la plante pour la lui présenter plus près, et Hel observe avec intérêt. Non, jamais vue auparavant, mais l'odeur l'attire, elle se rappellera à l'avenir.

- Regarde Hel, c'est ça. Tu peux goûter, c'est très bon.

Hel goûte timidement et déguste finalement ce qu'il partage avec elle, aimant particulièrement ce goût étrange et nouveau, mais pas moins agréable sur sa langue.

- Au fait, je m'appelle Altaïr... Tu es Navnik, non ?

Altaïr. Hel pose sur Altaïr un regard reconnaissant, autant pour avoir partagé son identité que pour lui avoir fait goûter ce délice qu'est le thym.

- Hel vit ici avec Papa.

Et papa ne tardera plus à rentrer de la chasse, mais Hel espère que pour une fois, il traînera un peu en chemin, même si elle en doute.

Hel hume l'air par réflexe, chose qu'elle fait tout au long de la journée pour savoir si quelqu'un approche de la tanière en l'absence de Nocturne ou si, justement, son père est sur le chemin du retour. Cette fois, en plus de l'odeur persistante d'Altaïr, Hel perçoit les effluves sanguins de Miroir des Silences, et elle comprend qu'il est urgent de faire partir l'inconnu même s'il est Navnik et qu'il ne lui veut aucun mal. Son père le tuera sans lui demander son nom, s'il le voit si près de Hel.

- Ton père te laisse ici toute seule ?

- Papa chasse pour Hel ...

Et papa ne va pas tarder, si Hel en croit sa truffe ... Elle commence à observer autour, elle sait qu'il doit partir mais tout en l'écoutant, elle cherche encore les mots.

- Si tu le souhaites, je peux t'emmener à ma tanière ... Il y a de nombreuses plantes que je pourrais te montrer ... Et puis ça évitera que tu restes seule ici ...

Hel dresse les oreilles, oubliant un instant le retour imminent de son tueur de père. Hel suivre un loup inconnu pour apprendre ? Hel hésite, et comme si elle n'était pas déjà convaincue, le mâle la conforte dans la bêtise qu'elle se sait sur le point de faire.

- Si tu le souhaites, je pourrais t'apprendre les plantes, chez les Navniks ... Je vois que ça semble te plaire énormément et je pense que tu pourrais un jour savoir les utiliser ... Qu'en penses-tu, Hel ?

- Hel viendra demain ! Tu partir maintenant, Papa pas te voir ...

Hel le presse en se rapprochant de lui comme pour le pousser à s'en aller rapidement. Plus les secondes passent, et plus le mâle risque sa vie. Il l'ignore, mais Hel le sait et compte bien ne pas le regarder mourir entre les crocs protecteurs de son père. Mais dans la précipitation, Hel oublie de demander le lieu de rendez-vous. Il faut qu'il parte, c'est tout ce qui compte.