Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Sous un soleil de plomb malgré les ombres grises de la pollution dans le ciel, je m'avance sur la dune de sable d'un pas lent mais décidé, le corps tendu et le pelage glissant sur mon corps au rythme du vent chaud. J'observe les lieux d'un oeil critique, et j'attends. Bientôt, deux des miens me rejoindront. D'abord Daren, le mâle ivoire impulsif et sauvage qui n'a de cesse de se battre contre tout et tout le monde. Ensuite Altaïr, un guérisseur récemment arrivé dont je ne connais que le nom. Je m'étire en silence, laisse les secondes passer et les regarde même devenir des minutes qui se suivent les unes après les autres. Etrange que Daren soit en retard, lui qui porte pourtant la réputation d'être un salaud obsédé par le sang et la violence. Mais je ne m'inquiète pas, je sais qu'il viendra. Et finalement, alors que ma patience commence à s’effiler, l'ombre blanche se dessine tout en bas de la dune, au sortir de la chapelle. Peut-être le guerrier s'est-il enfin décidé à m'offrir le privilège de sa présence. Je fixe le fantôme de mes yeux ambrés, la gueule close et les narines en mouvement, étudiant son odeur, les effluves qui volent autour de lui. J'essaie de capter d'ici son état d'esprit, les émotions qui l'habitent. Est-il là pour s'entraîner, ou pour se battre ? Quelles que soient ses intentions, je suis prêt à le recevoir. Alors que j'analyse son odeur, mes mâchoires s'entrechoquent de nervosité et ma queue bat de l'air. Je suis prêt, oh oui je suis prêt. Je l'attends de pattes fermes, guettant par le même temps l'arrivée du second mâle, encore inconnu mais plus pour longtemps.
Daren m'avait donné rendez vous pour un entrainement, pour me vider la tête. Peut-être une façon à lui de me remercier pour les soins ? D'un autre côté, ce n'est pas vraiment un cadeau. S'il se blesse, je devrais le soigner à nouveau... Je pousse un légèrement soupire, m'avançant sur la dune de sable. Le mâle blanc est déjà là, et je remarque la présence d'un autre mâle. Natan, le générale Navnik. Je baisse un peu la tête par réflexe, en signe de respect, avant de saluer Daren aussi d'un même mouvement de tête. Je finis par m'asseoir sur le sable, laissant ma voix porter.
- Pour l'entrainement... Vous voulez faire du 2 contre 1 ? Ou alors on se fait des duels ?
Je tournais la tête vers l'un et l'autre, en attente, la tête dressé et le corps tendu. Je ne voulais penser à rien, simplement sentir mes muscles brûler sous l'effort. Oui, ça allait me changer les idées.
Alors que je m'extirpe de la crypte dans le plus grand silence, déjà mon regard cyan fixe l'ombre fauve au sommet de la dune de sable. Le Général est déjà là-haut, à nous attendre patiemment. Je retrousse ma babine gauche comme pour montrer mon agacement, mais je suis trop loin pour lui être visible. Et puis, c'est moi qui l'ai convié à cet entraînement, je ne peux donc pas lui dire de dégager même si désormais l'envie me brûle. Le voir là-haut me dominer d'un simple regard, a le don de m'irriter le poil. Je le rejoins en trottant, pas que je sois pressé, mais si, de déverser ma rage sur lui. Et plus je m'approche, plus la carrure du grand mâle me force au respect. Alors, derrière moi, le sable glisse et je me retourne pour apercevoir l'arrivée d'Altaïr, le guérisseur le plus utile de la meute. Il salut respectueusement Natan, auquel je n'aurais même pas pensé à dire bonjour de moi-même, et me lance à moi aussi un signe de tête respectueux, que je lui rends.
- Pour l'entrainement... Vous voulez faire du deux contre un ? Ou alors on se fait des duels ?
Je pars dans un ricanement ironique et dévisage Altaïr quelques secondes.
- Non mais regardes-le, t'as vu le steak ? Même a deux contre lui on n'fait pas l'poids, t'es suicidaire ?
Mais déjà, sans attendre les ordres ou quelque réponse que ce soit de l'un ou de l'autre, je bande mes muscles et tourne autour du mâle fauve. Un deux contre un, ça me va parfaitement. Et alors que je suis dans le dos de Natan, je me projette en avant pour le percuter de toute ma masse, l'envoyer rouler aux pattes d'Altaïr dans un sourire narquois alors que je bondis à la suite du mâle déchu pour lui mordre violemment la nuque dans un grondement sonore. Quel plaisir de pouvoir bouffer du Général ...
J'observe Daren, puis Natan, à la recherche de la réponse à ma question. C'est vrai qu'un deux contre un reste toujours le plus efficace pour s'entrainer, mais aussi apprendre à se coordonner. Finalement, c'est le guerrier blanc qui me répond en plaisantant. C'est vrai qu'en observant le loup gris d'un peu plus près, il est facile de deviner sa musculature, sa stature aussi. C'est un loup entraîné, normal pour un général je dois dire. Lentement, je me dresse sur mes pattes, alors que Daren semble tourner autour du général. Dois-je lui rappeler ses paroles d'un peu plus tôt ? Sans trop comprendre pourquoi, je me rends compte que la situation m'amuse, me rappelle des choses que je pensais avoir oublié... Lentement, je me glisse à mon tour à pas de loup, laissant Daren et Natan se jauger. Daren lance le premier assaut, et alors qu'il jette le général à mes pattes, je bondis un peu en arrière, prenant de l'élan pour me glisser sur la droite, attaquant d'une morsure au postérieur, espérant le plaquer au sol avec l'aide de Daren, ou du moins l'affaiblir un minimum. Les muscles bandés, je tente de réveiller en moi ce vieil instant de guerrier que j'ai enterré depuis que je suis arrivé ici. Il ne doit pas être bien loin...
Humble, je ne vante aucun de mes mérites. Après tout j'ai travaillé dur pour en arriver là mais tout le monde peut en faire de même. Je n'ai pas plus de mérite que n'importe quel Navnik en nos terres. Je les regarde une seconde, comme si je n'étais qu'un simple spectateur, et finalement le guerrier n'attend pas davantage pour me percuter violemment dans le dos et me faire rouler au sol. Je me rattrape comme je peux dans les pattes d'Altaïr mais ce dernier a de bons réflexes et déjà, se jette sur moi. Ses crocs se referment sur ma chair, mais je me retourne avec violence pour lui frapper la tête d'un coup de patte brutal pour me redresser et me repositionner face aux deux mâles. J'affiche un sourire amusé, déjà intéressé par leurs capacités.
Natan parvient par de belles galipettes à se remettre d'aplomb, mais je n'ai pas dis mon dernier mot. Je m'élance même s'il est face à moi, et je le percute de tout mon poids pour essayer d'ébranler son équilibre. Ses crocs se referment sur moi mais je me jette en arrière pour l'obliger à lâcher prise ou à tomber, et je bondis en avant pour de nouveau le charger. Cette fois mes mâchoires claquent sur la peau de son épaule et je tiens fermement ma prise pour l'emporter avec moi, tirant avec force sur la peau épaisse de mon Général qui se secoue et me lance de violents coups de pattes pour se débarrasser de moi. Je lance un regard en coin à Altaïr qui semble réfléchir à une tactique ou un quelconque plan d'attaque. Et, dans un grondement furieux, sans toujours lâcher ma prise sur l'épaule du puissant mâle fauve, je tire en arrière et force sur mes pattes postérieures pour l'obliger à me suivre. Je bande les muscles de mes épaules et j'appuie brutalement sur le sol pour emporter mon Général, l'obligeant à avancer alors que je recule en tournant sur moi-même de manière à lui faire tourner le dos à son second adversaire. Je relâche ma prise et fonds sur lui à une vitesse fulgurante, bien décidé à lui faire oublier la présence de mon partenaire pour lui faire perdre sa concentration. Je gronde, claque des mâchoires, flanque des coups de pattes violents à mon adversaire, bondissant et reculant à un rythme effréné pour l'obliger à ne regarder que moi. Mais je crois que je l'ai sous-estimé, parce que dans un coup de tête fracassant, il m'envoie à distance et se retourne en une fraction de seconde pour arrêter de justesse une attaque d'Altaïr.
Je tenais ma prise avec force, mais déjà le général me balayait d'un mouvement de bassin, me faisant lâcher prise. J'ai donc tant perdu que ça, avec le temps passé à ne pas faire travailler mes muscles ? Je gronde légèrement, d'avantage en colère contre moi-même. Je suis capable de bien mieux que ça, je m'en souviens. Les combats étaient plus équilibré, de là d'où je viens. Daren charge une nouvelle fois avant moi, j'observe sa manière de faire; C'est un guerrier de la meute, il sait comment se battre, les techniques. J'en connais quelques unes, propre à ma famille, mais je pouvais toujours en apprendre d'autres. Je capte le regard de Daren, comprenant rapidement sa manœuvre. Je bondis en quelques foulées dans le dos du combat, tentant de maquiller ma présence en me plaçant face au vent. Me faire oublier. Et alors que Daren se fait repousser, je plonge en direction de Natan, tentant une morsure au niveau de sa croupe. Mais se retourne, me frappe, et je roule dans le sable. Dans un bond réflexe, je me remet sur mes pattes et le charge à nouveau. Utilisons ce que je sais, ce avec quoi je me suis entraîné depuis mon enfance. Je plonge, saute, roule sur le dos et glisse sur le sable et me trouve alors sous le ventre de Natan. Je m'expose, certes, mais ça vaut la peine. Je plie mes postérieurs et lui assène alors un violent coup de patte dans la mâchoire, en profitant pour lui morte la patte arrière gauche, voulant lui faire perdre l'équilibre. Avec un peu de chance, Daren allait réussir à le dégager avant qu'il ne puisse me frappe et le mettre à terre.
A peine une fraction de seconde et voilà le Guérisseur de nouveau dans la partie, concentré sur moi et seulement sur moi. Je gronde de douleur alors que dans mes mâchoires résonne encore l'écho de son violent coup de pattes, et je m'écroule finalement sur lui pour y peser de tout mon poids, l'immobilisant au sol juste le temps de sentir à nouveau mes mâchoires et pouvoir lui rendre coup pour coup.
Empli d'une certaine colère qui m'est grandement familière, je me projette vers Natan alors qu'il se relève à peine de sa dernière chute. Mes pattes antérieures s'enfoncent dans la peau de son abdomen et j'en viendrais presque à sentir sous mes doigts ses entrailles, mais dans un violent mouvement de bassin il me déséquilibre et je suis obligé de retomber sur le sol pour ne pas finir sur le dos. Je lance mes mâchoires vers Natan malgré tout dans l'espoir de l'empêcher de se relever, sans même penser à m'enquérir de ce que fait Altaïr. Espérons qu'il aura la jugeote de venir m'aider et vite. Je gronde, claque des mâchoires deux fois avant d'arriver à capturer la peau de son épaule entre mes crocs. Je pousse alors violemment sur le sol pour revenir superposer mon corps à celui de Natan, et je secoue sa cuirasse dans des secousses brutales comme si je soumettais un ennemi ou comme si je cherchais à déchiqueter une proie. Les deux antérieures campées autour du poitrail de mon Général, je me sers de mes postérieures comme points d'appui pour garder l'équilibre et me maintenir au-dessus de lui jusqu'à l'arrivée de mon compagnon de combat.
Je n'en démordais. Et pourtant le loup gris s'étala sur moi, pesant de l'intégralité de son poids sur mon corps. Je pousse un profond grondement, tentant de me débattre, et bientôt ses crocs rencontrent ma chair. C'est alors que Daren fonce à nouveau, le dégage, le bouscule. Je roule alors sur le ventre pour me redresser le plus rapidement possible, à bout de souffle. Le blanc et Natan se cognent à plusieurs reprises, et enfin Daren parvient à immobiliser le grand loup avec ses antérieurs. L'ouverture grande ouverte, je plonge alors sur le dos du général, le mordant avec une grande force au niveau de la croupe, plantant mes griffes sur le dos. Je le chevauchais ainsi ou presque, sur sa gauche arrière, essayant d'appuyer de tout mon poids pour le mettre au sol, avec l'aide de Daren.
Le loup blanc ne perd pas une seconde pour me flanquer au sol, m'envoyer valser comme si je n'étais qu'un vulgaire louveteau. S'il n'était pas si fourbe, je l'aurais écrasé comme une mouche. Je dois avouer qu'il compense à la perfection ses faiblesses physiques face à un adversaire plus fort que lui. Je me débats sous sa masse, mais le combat s'éternise et la rage mise dans cette bataille par le guerrier aux yeux cyan ne m'épargne pas. Bientôt son acolyte prend la suite, le rejoignant sur mon dos pour me maintenir au sol comme une proie qu'ils seraient en charge de mettre à mort. Je continue de gronder, de lancer des coups de crocs dans les directions qui me sont offertes, mais je n'ai plus ni la capacité de me libérer, ni celle de les atteindre. Alors, après de longues secondes de lutte, je lâche quelques aboiements brefs pour signifier aux deux mâles que l'entraînement est terminé. Daren semble hésiter entre finir le travail et me rendre ma liberté, mais heureusement pour moi il se rappelle probablement les lois de la meute pendant cet instant de doute, et la pression sur relâche sur mes épaules pour que je puisse me relever. Essoufflé, rompu par les crampes, mais bien vivant. Je lance un regard aux deux combattants. Bien joué.
Un violent coup de crocs tout près de son oreille, un autre vers sa nuque, et je tire sur la peau comme pour le dépecer sans pour autant faire couler son sang. Je suis un guerrier, certes, mais tuer mon Général serait probablement mal vu par la hiérarchie. Je gronde, garde les antérieures plaquées de chaque côté de son corps pour le maintenir au sol, et je sens bientôt la présence d'Altaïr venir me prêter patte forte dans ma tentative. Heureusement, si mon seul poids aurait donné moins de difficulté à Natan, les deux combinés ne lui permettent plus aucune manoeuvre d'extorsion, et je n'ai plus aucune peine à dominer le mâle fauve sous mes crocs et mes pattes, ne guettant plus le moindre mouvement de mon acolyte qui, j'en suis certain, fait parfaitement bien son travail. Alors je m'acharne avec violence, brutalisant le Général comme s'il s'était agi d'un intrus sur nos terres, comme si je voulais lui faire du mal. Mes grondements résonnent avec les siens et ceux d'Altaïr, et nos pattes s'emmêlent les unes dans les autres alors que nous ne faisons plus qu'un tous ensemble. Les Navnik comme certains aiment les voir : soudés comme les doigts d'une pattes. Je ricane intérieurement, ce n'est peut-être pas l'image exacte ... Et puis, bientôt, le Général déclare forfait, mettant fin à l'entraînement par le même biais. Après une longue hésitation, je m'écarte de lui et le regarde qui se relève, reprenant mon souffle comme mes deux compères. Dommage, je lui aurais bien enlevé quelques morceaux pour le plaisir des trophées de chasse. Mais là encore, ça aurait peut-être été un peu mal vu par certains ... Je lance un regard à Altaïr, l'air inquisiteur. Alors, le détour t'as plu ?
Je garde ma prise le plus longtemps possible, tirant sur chacun de mes muscles pour parvenir à maintenir le général. C'est difficile, mon corps me lance de partout et ma mâchoire commence à me faire mal. Mais je maintiens ma prise, me prenant des coups dans le ventre dans l'agitation, Natan tentant de se débattre entre ses deux adversaires. Enfin, le général semble se rendre, et je recule presque immédiatement, à bout de souffle, la tête basse. Je garde la décence de ne pas me coucher directement sur le sol. Il faut que j'attende d'être à ma tanière pour ça, pour que je sois invisible. Je salue le général d'un coup de tête alors qu'il s'éloigne, rendant son regard à Daren. J'étirais un maigre sourire en remerciement, avant de faire demi-tour. Je suis fatigué et crevé, j'ai besoin de me reposer un petit peu... Et j'avais réussi à me changer les idées, enfin.