Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Me voilà avec un apprenti. Owen. Ils étaient en manque de loup. Et qu'avais-je à perdre, à m'en occuper ? Au pire, il mourrait, ça m'était bien égale de toute manière. Il veut devenir fort, de ce qu'on m'a dit. Fort... Un mot grand pour de petites choses. Si Xyrion était là, il dirait que Dieu est tout puissant, et que le fort ne sert à rien face au tout puissant. Xyrion et moi sommes deux dieux bien différents... Peut-être y aura-t-il un intérêt à entraîner ce jeune Owen. Avant de lui donner rendez vous, je m'étais renseigné : il a quitté les Esobek, sa meute de naissance, pour un groupe de solitaire rapidement disparu. Puis il avait rejoint les Sekmets en quête de force. Un voyageur. Sa mère Nyméria a disparu, donc sans doute morte. Son père Sköll porté disparu aussi. Donc mort. En fait, ce louveteau était seul. Ce gamin n'avait plus de lien. Peut-être car il me ressemble, je désire jugé. Ce n'est pas lui qui a coupé ses liens. D'une certaine manière.
Alors je l'attends, dans la clairière fumante. Ancien territoire Sekmet, abandonné par la faute des hommes. Qu'est-ce qu'on s'en fiche. Le petit ne désire pas être espion, mais sentinelle. Dans les deux, cas, ça demande de la discrétion, de la rapidité, et un minimum de force physique. Voyons voir ce qu'il faut. Je le vois approcher de ma position, je ne prends pas la peine de me lever. Le toisant, le regard aussi vide qu'à mon habitude, je lui lance sobrement un "Owen" interrogatif avant de lui faire signe de se mettre en face de moi. Puis de but en blanc, j'ajoutais.
- Si jamais ta mère entrait dans le territoire Sekmet alors que les Sekmets et les Esobek sont en guerre, que ferais-tu, petit ?
Mon ton était froid, et sans appel. Il n'y avait qu'une réponse à ma question. Et s'il ne répondait pas, je la lui donnerais. C'est ainsi que ça fonctionne avec moi. Tu veux devenir fort ? Abandonne tes émotions. Abandonne ta peur, tout simplement. Je ne l'ai pas choisi, mais soyons honnête un instant... Même la mort ne me fait pas peur. Rien ne m'arrête. Et c'est pour ça que je serais plus fort que mes adversaires. Car je n'ai rien à perdre.
Tout s’était enchaîné dans la foulée, je n’avais pas vraiment eu le temps de comprendre à vrai dire. Je suis rentré dans la meute, accepté par Athos, on m’a attribué un mentor du nom d’Elrön pour remplacer celui que j’avais chez les Esobek, le guérisseur du nom d’Astral. Mon nouveau mentor est espion, si j’ai bien écouté tous les murmures qui trainaient. Je n’ai pas vraiment parlé à de nouveaux loups à vrai dire. Je ne sais même pas à quoi ressemble le loup qui va m’entraîner, je l’ai peut-être croisé lors de la réunion de meute sans que je n’en sache rien. Au moins, je sais que j’ai rendez-vous dans la Clairière fumante, un territoire Sekmet pour le moment à l’abandon à cause des attaques répétées des Hellhound. Mais nous y retournerons bientôt selon les dires d’Athos. Et je le crois. J’ai foi en lui, il est mon Alpha après tout. Quand j’arrive sur place, je reconnais aussitôt le loup de la réunion, celui qui n’était pas content. Alors ce sera donc mon mentor. Je prends un peu peur sur le coup, nos caractères sont tellement opposés … Mais en y réfléchissant, ce sera sans doute une bonne chose. Il me montrera qu’il n’y a pas que des loups doux et gentils, que certains n’ont pas de temps à perdre avec un apprenti arrivé d’on ne sait trop où.
« Owen »
Une voix intérieure en colère ne manque de dire Owen Souffle Ardent. C’est le nom que Koda m’a donné, c’est mon nom. Pas Owen, pas Souffle Ardent. Je suis Owen Souffle Ardent. C’est Koda qui me l’a donné. Je me souviens encore de notre expédition et de notre jeu, je me souviens de sa jolie fourrure et de ses yeux marron toujours joyeux. Elle a dû grandir maintenant, elle doit être une grande et belle louve. Moi, je n’ai pas changé. Pas encore. Je vais changer ! Je me place face à mon mentor, comme demandé. Il continue, je ne dis rien. Je me contente d’un salut comme j’ai pu le voir le faire les membres de meute entre eux, j’espère qu’il est approprié.
« Si jamais ta mère entrait dans le territoire Sekmet alors que les Sekmets et les Esobek sont en guerre, que ferais-tu, petit ? »
Nous en venons à la seconde partie de « tout s’était enchaîné dans la foulée ». La partie où j’ai appris la disparition de ma mère, mon père, ma sœur et mon frère. Tous. Disparus, sans laisser de traces, sans un mot, sans un au revoir. Je ne sais pas s’ils ont fait ça parce qu’ils me pensaient mort ou parce qu’ils ne m’aimaient pas. Un peu des deux, peut-être. Après tout, j’ai toujours été le raté de la famille. La dernier à naître, le dernier à s’entraîner, le dernier à la course, le dernier à la bataille … Le dernier à parler aussi. Je n’ai jamais eu l’occasion de parler à ma mère, ne serait-ce pour lui dire que je l’aimais. Parce que c’est ma maman après tout. Maintenant, c’est trop tard. Maman est partie pour toujours. Personne ne veut me le dire, mais moi je le sais. Maman ne reviendra pas.
« Maman ne rentrera pas sur notre territoire. Elle est morte. »
Logique imparable pour le louveteau. Quand on est mort, on est mort. Y’a pas de sorcière pour nous ramener à la vie, peu importe sa couleur, qu'elle soit rouge ou verte.
Il voulait que je dise que j’allais me battre contre elle, mais on ne se bat pas contre un fantôme. Tant pis s’il avait pris ma mère pour faire d’elle un exemple concret. C’était un mauvais exemple.
Les oreilles droites, je gardais mon regard vide d'émotion sur le petit loup qui semblait répondre avec conviction. Et bien, au moins, voilà un réaliste. Je n'exprimais rien, même si au fond, le petit avait marqué un point : ce n'est pas un chouinard qui attend désespérément que la lune lui tombe dans la gueule. Et même si le sens de ma question avait été détourné, cela ne m'embêtait pas. En fait, rien de m'embête, tout me passe au dessus de la tête. Mais c'est un détail qu'il n'est pas obligé de connaître, le gamin. Je me redresse sur mes pattes avant, toujours assis, le toisant d'un regard froid.
- Nous étions dans l'hypothèse mais en effet, elle est morte. Si elle avait été vivante, ça aurait été un problème. Car comme tous les petits normaux qui peuplent ces terres, t'es un gamin qui devait aimer sa "maman chérie". Sache que ça te fera une épine en moins dans la patte. Les sentiments sont une épine. Et sache qu'elle viendra toujours te faire chier quand tu n'en auras pas besoin. J'ai la chance de ne pas avoir ce problème, et de ce que j'ai pu voir, on se porte très bien sans cette épine.
Je me redressais tranquillement, commençant à m'en aller tranquillement au travers du bois au pas. Si j'allais l'attendre ? Même pas en rêve. Je dois juste lui apprendre des trucs, pas lui servir de maman de remplacement. Je tournais la tête tout en marchant.
- Bouge ton cul un peu Owen. Je suis pas ta nourrice.
Mon ton était glacial. Pas menaçant, ni moqueur. Simplement creux d'émotion et de vie. Je suis un morceau de glace qui bouge, recouvert de poil.
- Tu veux devenir Sentinelle, de ce que j'ai entendu. Ton boulot, c'est d'empêcher les autres loups à passer la limite du territoire. Et pour ça, va falloir apprendre à te battre.
Je m'arrête alors tranquillement, regardant la clairière qui nous entoure. - La clairière, à la limite des arbres. Voit le comme le territoire de la meute. Si j'arrive à entrer et à atteindre le rocher au centre, tu échoues. Si tu tiens jusqu'à ce que le soleil soit au dessus du rocher, tu réussies. Dernière chose : je ne trouve pas l'échec intéressant, alors tout échec sera sanctionné. Mets toi en place.
Je m'éloignais alors lentement, lui laissant la clairière un moment, me glissant au niveau des arbres. J'attends, le guette depuis les fourrés, tapit tranquillement. Je dois l'entraîner et lui apprendre des choses. Autant lui faire comprendre de suite que la vie ne lui fera pas de cadeau. Je me déplace et bondis dans son dos, parcourant une bonne partie de la clairière en courant, arrivant rapidement au corps à corps avec le jeune. Je n'hésite pas une seconde à sortir les crocs, le percutant poitrail contre poitrail, mordant son échine avec force.
Mon cœur se serre. Les sentiments ne sont pas une épine, ils sont une force. Ce sont eux qui nous donnent la forcer de nous lever chaque jour et de faire ce que nous devons faire. Sans sentiments, sans sensations, nous serions de vrais légumes. Et même si je ne m’y connais pas beaucoup en botanique, je ne pense pas qu’être un légume soit quelque chose de bien. Peut-être que parfois – souvent – ça fait mal, c’est vrai. Mais on vit pour que ça ne fasse plus mal, on vit pour devenir heureux. Je ne suis pas d’accord avec mon mentor, je pense même l’exact opposé de lui. Pourtant je ne dis rien, je suis Owen après tout. De même que tout le monde a une maman, qu’on le veuille ou non. Et les mamans ne sont pas des épines non plus, ce sont grâce à elles que nous sommes en vie et on devrait leur être reconnaissants plutôt que de toujours mal parler d’elles. Peu importe notre âge. Une maman veut toujours notre bien, elle ne vient jamais « faire chier ». Il s’en va. Je le suis sans un mot. La journée sera longue et difficile, je le sens. Et ce sera de même pour les mois à venir, nous avons une vision des choses tellement différente l’un et l’autre … Il me dit de me bouger, ce que je fais. Je n’ai plus le moral à m’entraîner alors que nous n’avons encore rien fait. Cela se voit sûrement sur mon visage et pour la première fois de ma vie, je m’en moque. Je me moque de ce qu’il pense de moi. Cela ne va rien changer au fait qu’il va devoir m’entraîner puisqu’il a été choisi et que c’est comme ça. Jusqu’à ce que je sois prêt à devenir Sentinelle, il sera mon mentor. Pour devenir Sentinelle il ne faut pas forcément se battre dès qu’on voit une touffe de poils n’appartenant pas à la meute. On peut dialoguer aussi, c’est une des raisons du pourquoi j’ai choisi de devenir sentinelle … C’est la seule en fait. J’ai aussi agi par élimination. Mais ça on s’en moque. Le fait est que je suis sentinelle parce que justement il n’y a pas tout le temps besoin de se battre pour un oui ou pour un non. Je n’en parle cependant pas à Elrön, j’anticipe déjà se réponse : « T’es con ou tu le fais exprès ? » ou quelque chose d’aussi gentil, vous voyez. Le courant passe déjà entre nous, youpi. Et là vient l’annonce de mon entraînement. Est-ce que j’ai eu peur ? Non. Ah ah, faux. Je suis terrifié. Totalement terrifié, incapable de bouger, les yeux bloqués dans le vide et écarquillés. On sait tous ce avec quoi rime « punition », cela rime avec sacrée raclée à la bagarre. Et qui ne s’est jamais battu de toute sa vie entière ? Moi bien sûr ! Cela n’aurait pas été drôle dans le cas contraire.
Et le jeu commence. Pardon, la mise à mort.
Je me rapproche du rocher et tourne autour, à une distance d’une dizaine de pas de l’objet. Je dois pouvoir l’intercepter peu importe de quel côté il arrive. Dommage pour moi, il se lance sur le rocher quand j’ai le dos tourné. Il arrive à grand vitesse et prit de panique, je fais la seule chose qui me semble censée sur le coup : me jeter sous lui tout en attrapant sa patte avant de mes crocs pour le faire tomber. Je ne suis pas fort, je suis pas endurant. Mais au moins je suis agile ! C’est déjà ça. Et pas trop con aussi. Mon but est de le faire tomber, puis de ne plus lâcher sa patte en me mettant sous lui. Il ne pourra pas m’atteindre puisqu’il me servira de bouclier avec son ventre. Il faudrait qu’il se retourne pour se libérer. Mais ça il va le comprendre bien vite.
Je le prenais sans aucune délicatesse à l'encolure, alors que lui plantait ses crocs dans ma patte avant. Je poussais un long grondement sortant de mes entrailles, alors qu'il glissait, prêt à me faire perdre l'équilibre. En effet, je glissais sur le dos d'un seul coup. Pas mal, pour un gosse. Il se coucha contre mon ventre pour se protéger, ne lâchant pas ma patte pour autant. Tu essaye de m'immobiliser ? Tu es encore trop petit pour ça, tu ne fais pas la bonne taille, gamin. Je pousse sur mon dos dans une impulsions, me retourne, avant de me projeter volontairement contre lui, le frappant d'un coup de crâne. Je me redressais sur mes quatre pattes, le plaquant au sol de mes pattes avant, gonflant chacun de mes muscles pour le maintenir au sol. Je claquais alors mes mâchoires au dessus de son crâne, avant de bondir, me fichant bien de l'écraser. Mon objectif est le rocher, après tout. Alors je m'élance vers l'avant à toute allure, sur le point d'atteindre le fameux centre de la clairière.
"I hated every minute of training, but I said, "Don't quit. Suffer now and live the rest of your life as a champion." "
Il parvient à se libérer de mon emprise avec une facilité déconcertante. Je sais que je ne suis encore qu’un apprenti, mais j’avais espéré résister un peu plus qu’une brindille sur son chemin. Il m’a littéralement écrasé. Alors qu’il repart à l’assaut de son rocher, je me lance encore une fois dans un élan désespéré dans le seul et unique but de l’arrêter (ou plutôt, soyons francs, de le retarder). Je sais très bien qu’il va atteindre ce fichu rocher avant la nuit tombée et que je vais perdre. Seulement je veux que maman et papa soient fiers de moi là où ils sont, et Tyrell et Cadeyrn aussi. Quand mon frère et ma sœur sortaient pour s’amuser à se battre, moi je restais dans la tanière. Alors peut être que si j’avais eu moins peur du monde extérieur quand j’étais petit, j’aurais pu résister à mon mentor aujourd’hui … Tout est toujours de ma faute, peu importe la voie qu’on emprunte. Mais ce qui compte, c’est que même si je suis nul, je garde espoir. Un jour je serai une grande sentinelle et je défendrai les Sekmet ! Et ce jour-là, toute ma famille sera fière de moi dans le ciel. C’est tout ce que j’ai toujours demandé.
Attrapant mon encolure de ses crocs, Elrön m’envoie une nouvelle fois voltiger au loin. Je me remets aussitôt debout mais à force il est trop tard. Il a atteint le rocher. J’ai perdu. C’était couru d’avance et j’étais le seul fou à avoir ne serait-ce une minute cru à ma victoire. Alors, avec aucune assurance et ma frêle petite voix de louveteau je lance un : « Tu vas me faire quoi ? » apeuré.
Je pose ma patte sur le rocher, scellant le destin du jeune loup par la même occasion. Je tourne vers lui un regard flou et pourtant vide. Je ne me réjouis pas de son échec, simplement de ce qu'il allait devoir vivre à présent. Je me redresse sur mes pattes et approche de sa direction à pas tranquille. Il me demandait ce que j'allais lui faire. Et bien... Moi, pas grand chose, mais mon expérience sans doute. Je fis craquer ma nuque sur la droite avant de regarder à l'horizon.
- Je veux que tu quittes le campement pour une semaine entière. Et que tu me rapporte le casque d'un Hellhound. Si tu y arrives, tu pourras rentrer. Ah et au fait.
Je lui donne un violent coup de patte en plein visage, relevant la tête.
- Apprend aussi à encaisser les coups.
Je me retourne alors lentement, le plantant là. C'était plus simple ainsi. Au moins maintenant, il connait ma méthode.