Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Le jour se lève sur un monde en ruines où plus rien ne ressemble à ce qu'il a été. Moi y compris. Dans ce carnage de métal et de cendres, je ne suis que l'ombre d'un loup autrefois immaculé, aujourd'hui rouge de sang et noir de croûtes. Je soupire, me redresse difficilement et me mets en marche. Je dois trouver le guérisseur de ma meute et au plus vite, avant de perdre connaissance. Ma tête tourne, le monde semble vouloir me faire perdre tous mes repères, et je sens au fond de moi que mon esprit menace de s'échapper de l'intérieur de ma boîte crânienne. Pourtant je dois marcher, trouver celui qui pourra m'aider, sauver ma misérable vie de tous ces traînements que je lui ai infligé ces derniers temps. Les entraînements groupés, les combats, tout a été prétexte à abîmer mon corps et aujourd'hui je ne suis même plus capable de me lever sans lâcher un pitoyable gémissement de douleur. Je soupire, serre les crocs pour ne pas japper, et je prends la route du centre de nos terres où j'aurais plus de chances de trouver notre guérisseur. L'un d'eux en tout cas, puisque si nous avons eu une pénurie de soigneurs, il me semble que nous en comptons désormais plus que nécessaire. Espérons que les autres meutes n'en ont pas autant, histoire qu'on ait une avance sur eux lorsque les collaborations seront enfin terminées. Mélanger les meutes ... Quelle idée méprisable ... La fierté de notre Leader n'est décidément pas bien grande. Je grogne lorsque j'arrive, boitant fortement, à la crypte de la chapelle où est rassemblée une grande majorité des miens. Où sont ces fichus guérisseurs ?
Je me déplaçais lentement sur le territoire navniks, tournant légèrement en rond. Les choses avancent lentement; avec Drakariss... Son ventre est de plus en plus ronds, les petits sont pour très bientôt. Nous attendons, sans doute tous les deux avec impatience. J'avoue que j'angoisse à l'idée de fonder ma propre famille. A renier mes origines pour définitivement entrer au sein de cette nouvelle porte qui s'ouvre à moi. Alors que je déambule, le son de pas me fait dresser les oreilles, puis le corps. Je pouvais apercevoir alors Daren, qui semblait boiter. Je me glisse rapidement dans les décombres, avant de m'annoncer dans un jappement soucieux. - Daren ? Puis-je m'occuper de toi ? Tu sembles dans un sale état...
Je baissais légèrement la tête, demandant l'autorisation. Il fallait que je remplisse mon rôle dans cette meute. Celui de guérisseur. Il faut que je protège des vies. Je lui fis signe de se coucher dans un coin du museau, avant de prendre dans mes réserves le nécessaire à la guérison du guerrier. Il avait des saignements, et une blessure à la babines. Je mobilisais une graine de pavot pour apaiser la douleur, avant de prendre de la boue du marais, l'étalant pour désinfecter la blessure, avant de les couvrir de toile pour réduire les différents saignements. Je pris une courte inspiration, observant mon travail d'un oeil satisfait, avant de questionner à mi-voix. - Comment t'es-tu blessé ?
Un geignement me fait tourner la tête et grogner quand la douleur dans ma nuque me réveille. Il propose de prendre soin de moi, c'est avec un nouveau grognement que j'accepte. Ai-je seulement le choix ? Je pose mon regard cyan sur l'animal en face de moi. Jamais vu jusque là. Comme la plupart des Navnik en fait. Je traîne peut-être trop hors des terres, à me battre contre d'autres loups ou à faire l'idiot avec ma tendre soeur. Je ne suis pas fait pour me faire des amis, voilà tout. Alors que d'un coup de museau il m'indique où m'installer, je lance un regard autour de moi comme pour m'assurer que personne ne me verra m'affaler comme un pleutre dans un coin. Je le laisse soigner mes plaies sans rien dire, serrant les dents lorsque la douleur menace de m'arracher des grognements. Et alors que les soins semblent prendre fin, alors que son regard me détaille comme si j'étais son oeuvre d'art, je l'observe du coin de l'oeil. Quoi ?
- Comment t'es-tu blessé ?
Je lance un léger soupire en guise de réponse et je détourne les yeux pour poser ma tête au sol, inspirant profondément comme pour reprendre mon souffle. C'est apaisant, de sentir les effets de ses soins.
- Je suis un guerrier. La chair à canon, tu vois l'genre ?
Je suis là pour ça, pour être blessé et remporter des batailles au nom d'un Tout. Je suis là pour donner mon corps et obéir aux ordres. Pour défendre les loups comme lui, qui restent au camp. Chacun sa place, n'est-ce pas ?
Son regard rencontra les miens, sévère, comme s'ils étaient mécontent que je puisse le regarder. Alors je détourne le regard, légèrement intimidé. Daren était connu, même d'un étranger comme moi. Je me reculais de quelques pas en inclinant la tête, assez bas. Finalement, le grand blanc me répondit d'une voix claire, et qui pourtant porte des mots qui me semblent étranges. Trop brut peut-être à mon gout. Il semble se détendre légèrement, ce qui m'apaise dans le même temps. Je ne suis pas encore à l'aise avec tous les membres de ma nouvelle meute, mais ça ne devrait pas tarder à aller mieux... Je l'espère en tout cas. Finalement, je repris à voix basse.
- Je n'estime pas qu'un guerrier est de la chair à canon... Comme tu dis...
Je me redresse lentement, bombant un peu le torse pour reprendre un peu d'assurance.
- J'ai été guerrier moi aussi... A une époque... Nous ne considérons pas les guerriers comme de la chair à canon, dans mon clan... S'ils meurent, il n'y a plus personne pour protéger le reste de la meute, alors ils sont importants.
Je pris une courte inspiration, me rendant compte que je m'étais une nouvelle fois plongé dans mes souvenirs. Un pincement nostalgique me prit le coeur, alors que je grondais légèrement, essayant de revenir sur terre, en face de mon interlocuteur.
Je ressens une grande satisfaction à mesure que je l'impressionne, et il l'ignore probablement mais son attitude nourrit mon égo et me régénère par la même occasion. Je suis un salopard, je l'assume et je me porte très bien ainsi. Mais lui, que sera-t-il pour moi ? Un poids ? Un loup que j'aurais oublié demain à mon réveil ? Déjà, les méandres du sommeil me guettent, m'empêchent de garder les yeux ouverts. Je l'écoute, l'entends, puis plus rien. C'est ainsi que l'on s'endort : d'abord lentement, on cherche les rêves, on réfléchit à ce qu'on aimerait voir ; puis tout à coup, et on ne se rend plus compte de ce qui nous entoure. Les sons s'amenuisent, les images perdent leur clarté, et on ne voit plus rien. On perd la notion du temps et de la réalité. C'est ainsi que je sombre moi aussi dans le néant alors même que le Guérisseur me parlait. De quoi déjà ? Guerriers ... Clan ... Mais je ne suis déjà plus là.
Je demeurais perdu dans mes pensées, me rendant alors compte que le loup en face de moi venait de s'endormir, sans doute fatigué par ses blessures. J'étais sans doute parti un peu trop loin dans mes pensées, ne me rendant pas compte du temps qui passe. Finalement, je baissais la tête dans un soupire, me redressant sur mes quatre pattes dans un soupire. J'observais les blessures de mon patient une dernière fois, vérifiant que tout allait pour le mieux, avant de tirer une couverture pour le couvrir, au cas-où. Je jetais un coup d'oeil aux alentours, avant de m'éloigner lentement, le laissant ainsi se reposer. J'avais rempli mon rôle après tout, je n'avais pas besoin de plus que ça : laisser ceux que j'avais soigné en bonne santé. Et puis, il faut que j'aille voir Drakariss... Elle me manquait, d'une certaine façon.
Les jours ont passé, mais si les premières blessures ont disparu, je suis aujourd'hui de nouveau blessé. Je m'approche de la tanière du guérisseur à pas de loup, comme si je voulais être discret et ne pas le déranger. En fait, je me rappelle simplement notre première rencontre. Je me souviens de sa voix, des bienfaits de ses soins, mais je me souviens aussi que je me suis endormi sans plus l'écouter. Pas que j'aie des remords, mais il suffirait qu'il soit un peu rancunier pour qu'il refuse de me soigner encore aujourd'hui, et il serait dommage de devoir faire appel à un autre quand lui me convenait. Je m'approche et finalement, je me râcle la gorge pour m'annoncer sans pour autant entrer vraiment. Si je ne m'inquiète jamais de gêner ou non, je ne voudrais pas le déranger. J'ouvre la gueule pour appeler son nom, je peux au moins savoir s'il est là ou non, mais je réalise que si lui connaissait mon nom la dernière fois, moi je n'ai aucune idée de son identité. Alors je ferme ma gueule et j'attends, triturant la terre sous mes pattes. J'espère seulement qu'il est là, je serais bien con d'attendre bêtement alors que la tanière est vide. Et puis, après quelques minutes, je m'impatiente. Je passe une patte, puis deux, et finalement j'entre dans la tanière sans plus attendre. Lentement, le pas mesuré, mais l'oeil vif et les sens aux aguets. Pas que je puisse être en danger au coeur même de mon propre territoire, mais sait-on jamais ce qui peut se cacher dans la tanière d'un guérisseur ...
- Y'a quelqu'un ? J'ai b'soin d'un coup d'pattes ...
Et si ce coup d'patte pouvait arriver rapidement, ça m'éviterait de me vider de mon sang sur son sol si propre ...
Un nouveau cauchemar était venu me hanter... Je poussais un long soupire, alors que la migraine s'implante un peu plus encore dans mon crâne. Comme un bulbe qui n'atteint plus qu'à grandir plus le temps passe. Je manque clairement de sommeil, et ça joue sur mon humeur. Finalement, au fond de ma tanière, je trie les plantes, encore et encore, essayant de m'occuper l'esprit. Quelque chose ne va pas en ce moment chez moi. C'est instinctif... Je le sens sous mes poils, dans ma peau. Je sens que quelque chose cloche, mais je ne trouve pas quoi. Et ça m'agace, ça me met sur les nerfs. Je prends une large inspiration, avant de me coucher sur le sol, la tête sur la pierre froide. Allons... Reprend tes esprits Altaïr, arrête de te préoccuper de tes rêves. Ce ne sont que des rêves, rien que de ce que tu penses voir n'arrivera. Je me répétais ces mots, en boucle dans mon esprit, encore et encore. J'expirais, calmant mon rythme cardiaque, alors que le monde devient flou autour de moi. J'ai besoin... De sommeil...
- Y'a quelqu'un ? J'ai b'soin d'un coup d'pattes ...
Je relevais mollement la tête, les yeux encore clos, au fond de ma tanière. Besoin de soin ... ? Je reconnaissais cette voix, je l'avais déjà entendue, un peu plus tôt. Je me lève péniblement sur mes pattes, marchant dans sa direction, prenant le temps d'ouvrir mollement mes yeux pour mieux analyser le loup en face de moi. Daren, couvert de blessure à nouveau. Je le zieute, de haut en bas, avant de souffler.
- Encore ?
Je lui fais signe de se coucher sur la paillasse, allant dans mon stock de plantes. Ma démarche est sans doute un peu gauche, mais je tiens à peine debout, et je le sais. Même si ça ne m'empêchera pas d'accomplir mon devoir. Dans un silence religieux, je prend toutes mes affaires et approche pour le soigner, sans un mot, le visage fermé.
Soins: - 1x Boue du marais ( désinfecte les plaies) - 1x Graine de pavot (apaise la douleur des contusions) - 5x Toiles d'araignée (ralentit le saignement)
Mon regard cyan se pose sur lui, et je remarque rapidement la fatigue qui étire ses traits. Je me surprends à esquisser un sourire en coin, malgré les boitements qui me forcent à ralentir ma démarche déjà difficile.
- J'connais un guérisseur qu'a pas beaucoup dormi.
Mais si mon amabilité est aussi rare que les Edelweiss en pleine vallée, lui ne semble pas sensible à ce privilège et reste aussi silencieux qu'une tombe, titubant jusqu'à ses réserves et me soignant sans un mot, comme si je n'étais qu'une ombre dans son obscurité rassurante. Je le laisse faire, n'en place pas une, et patiente jusqu'à ce qu'il ait terminé avant de me redresser lentement. Il n'est pas dans son assiette, je ne vais pas risquer de le voir faire une erreur médicale alors que c'est moi le cobaye. Et puis, alors qu'il range son matériel, je l'observe en silence quelques secondes. Je soupire finalement comme si j'étais lassé de la situation, comme si j'étais le genre de loup habitué à écouter les autres alors qu'il n'en est rien.
- Allez, racontes c'qui t'arrives, mon pote.
Je le fixe de mes yeux cyan, le défiant de refuser mon soutien accordé à si peu de loups en ce bas monde.
Je demeurais le regard dans le vide, agissant par automatisme. Je guéris depuis que je sais marcher. Je me bat depuis que je sais marcher aussi. Ma vie n'a toujours été que code et modèle de conduire à suivre. Alors je le suis, même si mon esprit est ailleurs. Le loup s'adresse à moi, mais je ne répond que par un hochement de tête, préférant me concentrer sur les soin du guerrier que sur ces paroles. Après tout, des paroles perdus valent moins qu'une vie. Je m'éloigne, range mes affaires, et la voix du loup porte à nouveau à mes oreilles. Je me retourne dans sa direction lentement, la vue trouble. Est-ce que je semble en si mauvais état, pour qu'il s'inquiète ? Et pis... "Pote", ce n'est pas comme ça que je pourrais définir notre relation. Je n'ai pas d'ami. Je les ai tous perdu. Il n'y a plus que Drakariss dans ma vie, et les petits à venir... Je tendais mes épaules, répondant finalement.
- Je fais simplement des cauchemars qui m'empêche de dormir... Sans doute le stresse, rien de très important... Si ça devient trop grave, je prendrais une herbe pour dormir.
J'inspire une goulée d'air, me rendant compte que j'étais presque à bout de souffle au bout d'une phrase. Je dois prendre d'avantage soin de moi, où je vais finir par devenir un poids. Quoique, tant que je peux guérir, on me demande rien de plus, non ? Je m'approchais lentement du mâle blanc, avant de lui demander à mon tour d'une voix fatiguée, me couchant sur le sol.
- Et toi, comment t'es-tu blessé cette fois ? Un combat j'imagine, vu la taille de tes blessures... Un autre loup ?
Ajoutais-je. J'avais l'habitude de voir les blessures, je peux même dire d'où elles peuvent provenir avec le temps. Un renard ne fait pas les mêmes blessures qu'un ours.
- Je fais simplement des cauchemars qui m'empêche de dormir... Sans doute le stresse, rien de très important... Si ça devient trop grave, je prendrais une herbe pour dormir.
Je l'observe en silence. Pas que son état m'inquiète, il n'est rien d'autre qu'un guérisseur pour moi. Mais à vrai dire, sa mauvaise humeur risque de mon contaminer trop vite, et je ne voudrais pas avoir finalement besoin de me défouler sur celui qui soigne mes plaies avant tant de professionnalisme. Je reste silencieux. J'ai proposé d'écouter, pas de trouver des solutions miracles. Et puis visiblement il connait déjà l'issue nécessaire si les choses s'aggravent.
- Et toi, comment t'es-tu blessé cette fois ? Un combat j'imagine, vu la taille de tes blessures... Un autre loup ?
Il s'approche, s'allonge pas loin de moi. La confiance grandit trop vite dans la tête de certains. Je reste un guerrier, et un animal prêt à tout pour se battre. Il ne faudrait pas qu'il l'oublie, pourtant je ne suis pas pris de la frénésie du combat quand je le regarde. Dans un soupire presque exaspéré, je me laisse tomber sur le flanc et me renverse légèrement pour le regarder, la tête à l'envers.
- J'aime user d'mes crocs.
Et je pourrais même dire que j'adore ça, voire même que c'est vital pour moi d'arracher quelques touffes de poils et autres lambeaux de chair pour être en bonne santé.
- Allez, j'te donne deux jours pour te remettre. Quand mes blessures auront nettement cicatrisé. Dans deux jours, rejoins-moi sur la dune de sable. Je t'y attendrais et je te montrerais comment un guerrier se calme les nerfs.
Et déjà, sans plus de politesse, je ferme les yeux et me tourne de manière à avoir les yeux face à la paroi, loin de la luminosité du dehors, pour me reposer.
Je poussais un soupire, demeurant coucher. Le loup en face de moi ne semblait pas apprécier l'aise que je venais de prendre mais je suis claqué, et j'ai autre chose à faire que me préoccuper de lui. Arf... Mon irritabilité encore qui me joue des tours... Roulant sur la droite, j'écoute d'une demi-oreille les paroles du guerrier blanc en face de moi, qui semble me mettre au défis. Il veut qu'on s'entraine ? Bien...S'il en a envie, ça fait longtemps que je ne me suis pas battu. Je finis par hocher la tête, répondant alors à voix basse.
- Comme tu veux... On verra si ça m'aide à me détendre aussi.
Le loup se retourna, et je fis de même, m'endormant presque instantanément. J'étais trop crevé...