Le jour se lève sur un monde qui me semble inconnu et pourtant qui est mien depuis déjà si longtemps. Je suis née ici, sur cette terre, j'ai grandi ici et je me suis développé ici. Je me suis épanouie aux côtés de mes frères, je les ai connus, aimés, profondément. J'ai aimé Kuro, veillé sur Zirconium, et les hommes nous ont séparés. Si j'ai retrouvé mon cadet, je cherche encore mon jumeau avec un espoir probablement vain, mais toujours présent et brûlant au fond de moi. J'ai retrouvé Zirconium. Je remettrais les pattes sur Kuro. Quoi qu'il arrive, quoi que le temps fasse à mon esprit et à mon corps, je n'aurais de cesse de le chercher que lorsque le l'aurais retrouvé. Parce que mon frère n'est pas seulement mon frère. Kuro est mon âme soeur, l'amour de ma vie, le seul loup en qui je peux laisser tous mes espoirs, toutes mes peurs et tous mes doutes. J'aime mon frère. Et si mon amour inconditionnel m'a porté jusqu'à Zirconium au moment où il avait le plus besoin de moi, je ne peux que croire que le Destin me mènera à Kuro quand lui-même aura besoin de ma présence à ses côtés, comme par le passé. Et si parfois la jalousie point, si parfois j'ai peur d'apprendre qu'il a refait sa vie sans moi, sans nous, je préfère oublier mes craintes et me concentrer de nouveau sur mes recherches. Je relève brusquement la tête, dresse les oreilles. Juchée au sommet de la dune de sables, j'observe en contrebas. Une louve approche. Sombre, je ne distingue d'ici que son allure. Une solitaire, pourtant sûre d'elle malgré son infraction à la loi de la meute. Je me lève d'un bond, m'avance dans sa direction mais plusieurs dizaines de mètres nous séparent encore. Je la fixe de mon regard d'émeraude, insatiable sentinelle en mal de reconnaissance auprès des siens. On m'a pris mon frère, on ne touchera pas à ma meute. Déjà, je montre les dents. Je sais qu'elle n'est pas là pour discuter. Ses muscles tendus ne m'annoncent rien qui vaille, et je n'ai aucune confiance en cette louve obscure à la queue haute et au regard fixe. Je la toise de mon regard le plus déterminé, je lui montre par mon attitude qu'elle n'a pas sa place ici et que je ne la laisserais pas passer.

L'ignorance, le mépris, l'arrogance même brille dans son regard vairon. Je gronde, retrousse les babines sur mes crocs acérés. Cherche-t-elle réellement les ennuis ? S'il est une chose que tous doivent savoir sur les Navnik, c'est qu'ils sont soudés comme les os d'un même corps. Que quoi qu'il arrive à l'un d'eux, tous seront derrière pour la protection ou la vengeance. Je me dresse de toute ma hauteur, et si la louve essaie de me contourner, je me décale pour lui faire pleinement face. Aucune peur dans mon regard, seulement la colère qui point doucement, grandissant dans ma tête et brûlant chacun de mes muscles. Prête au combat. Un commentaire irascible, une pique prétentieuse et sans fondement. Gamine ? Pour qui se prend cette solitaire au pelage sombre ? Parce qu'elle avance seule je devrais la craindre plus que les autres ? Elle n'est à mes yeux qu'une tâche sur le tableau. Elle n'est qu'un caillou sous ma patte, et mon pelage immaculé a été tâché de plus de sang qu'elle ne pourra jamais en voir. Je gronde plus fort, la fixe dans les yeux. Elle n'est pas sur son territoire, et je n'userais pas ma salive pour lui répondre ou pour la mettre en garde une énième fois. Qu'elle parte maintenant, ou qu'elle tente seulement de me passer sur le corps. Elle se souviendra à jamais de cette erreur monumentale qu'elle aura commise alors. Je m'avance d'un pas, diminuant la distance qui nous sépare et la réduisant de moitié. Nos truffes pourraient presque se toucher, mais je m'arrête et ne bouge pas davantage. Qu'elle parte. Oui qu'elle s'en aille et qu'elle ne remette jamais les pattes ici.

Pas le temps d'essayer de comprendre, pas le temps de réfléchir à ce qu'elle vient de dire et pas davantage le temps de le graver dans ma mémoire pour y réfléchir plus tard. La louve me percute violemment, ses crocs enserrent ma nuque et un grondement sonore s'échappe d'entre mes crocs alors que mon corps s'écrase au sol. Les vibrations de la douleur résonnent dans tout mon être, mais je me retourne violemment pour plonger mes pattes antérieures dans l'épaule de la louve et la forcer à reculer. Je roule sur moi-même, me redresse en une fraction de seconde et me propulse sur mon ennemie pour lui frapper la tête de plein fouet, l'emportant dans une chute violente durant laquelle je lance mes crocs dans toutes les directions pour tenter d'atteindre ce que je peux. Mes crocs meurtriers plongent dans son encolure et attrapent violemment sa peau épaisse pour la secouer de toutes mes forces, tendant mes muscles et contractant mon corps tout entier pour rester au-dessus d'elle et la dominer. Ca ne dure qu'une fraction de seconde, que le temps d'un instant, avant que je m'écrase de nouveau sous la masse de la louve sombre. Pourtant je ne lâche pas prise sur son encolure que j'attire à moi avant de rouler sur moi-même en la repoussant violemment, m'acharnant pour me relever malgré l'équilibre précaire que nous oblige notre liaison. Je balance mes griffes dans son épaule et pousse aussi fort que possible avant de me jeter en arrière pour l'emporter une seconde fois dans mon élan. Cette fois je relâche ma prise sanglante sur son épaule pour rouler de nouveau et reprendre mon équilibre sur mes quatre pattes immaculées désormais tâchées de sang.

Les coups pleuvent, la violence de la louve sombre est telle que je me sens rapidement dépassée par sa force brutale. Je m'élance en avant pour la fuir, m'efforçant de mettre entre elle et moi une distance considérable sans pour autant m'éloigner trop. Je me retourne brusquement pour lui faire face, et fonds sur elle comme une furie. Tous crocs dehors, je la percute rudement et, dans un grondement rauque, mes crocs plongent vers son épaule blessée pour la lui lacérer un peu plus. Je m'acharne sur ma prise pendant plusieurs secondes, en venant même à croire que je pourrais avoir le dessus avec un peu d'efforts. Je gronde, déchiquette la chair entre mes mâchoires meurtrières, jusqu'à ce qu'une brûlure sourde vienne entraver ma trachée et m'arracher un gémissement de douleur atroce. Mon corps est projeté en arrière, mes crocs se détachent de leur prise sans difficulté, comme si je n'avais plus la moindre force. Je m'étale au sol dans un bruit sourd alors que la louve sombre se jette sur moi, tous crocs dehors, un grondement menaçant sortant d'entre ses babines obscures. Je rampe sur le côté, échappe à sa première attaque, mais son sang-froid et son regard glacial la mènent jusqu'à moi pour m'écraser lourdement sous sa masse spectaculaire. Je balance dans ses flancs mes deux pattes postérieures pour l'éloigner de moi et tenter de me relever, roulant rapidement sur moi-même pour m'éloigner encore. Je fais un demi-tour brusque, lui fais face, et fonce dans sa direction les épaules en avant pour la percuter. Je freine à la dernière seconde et me jette sur le côté pour lui faire perdre l'équilibre par le flanc.

Un douleur sourde, violente, me lacère la nuque alors que je pensais pouvoir jouer sur l'effet de surprise. Le sang gicle sur les côtés, mouillant le sol et éclaboussant mon visage immaculé. Je la regarde en arrière, les crocs plantés dans ma nuque, me débattant de toutes mes forces pour me libérer de son étreinte mortelle. Elle secoue de toutes ses forces alors que je me débats avec violence et je fini par parvenir à une sorte de feinte, roulant mon corps et le tordant dans une position douloureuse pour placer mes quatre pattes sous elle alors que ses crocs maintiennent toujours ma nuque fermement ancrée entre ses mâchoires meurtrières. Je m'élance sur la droite, frappant violemment mon flanc contre le sol froid, et je balance mes postérieures vers ses cuisses pour la faire tomber. Elle s'écroule sur moi de tout son poids en me coupant le souffle, mais je joue des antérieures pour me dégager, profitant de ses crocs légèrement desserrés pour me libérer complètement et m'échapper avec force d'entre ses pattes. Je me redresse dans un bond fulgurant, lui balance un coup de griffe mémorable au niveau du visage et stoppe net mon geste alors que ses yeux abyssaux me fixent avec fièvre. Je recule d'un pas, mais comprends que je n'ai pas d'autre choix que de faire face. Alors je m'élance sur elle dans un grondement furieux et lui mords le visage avec autant de violence que je peux en faire preuve, griffant sa chair de mes crocs pour ensuite m'enfuir à toutes pattes entre les arbres, regardant derrière moi avec une trouille folle tandis que la louve me course pour assouvir une vengeance morbide.

Je freine brutalement des quatre pattes dans la terre meuble. La louve sombre, tout près derrière moi, me percute de tout son poids et m'envoie valser contre un arbre, mais je parviens à anticiper la chute et à amoindrir le choc en me rattrapant sur mes antérieures qui me sont dès lors extrêmement douloureuses. Je roule sur moi-même avant qu'elle ne me saute à la gorge, lui écrase la trachée entre mes mâchoires puissantes et tire violemment à moi pour l'écraser au sol à son tour, la plaquant sous ma masse quoi que minime comparée à la sienne. Je parviens à garder le dessus quelques précieuses secondes, le temps de reprendre un tant soit peu mon souffle, avant de lâcher ma prise pour remettre entre nous une distance raisonnable. Tout ça pour faire fuir une intruse de mon territoire ... Tout ça pour protéger les miens ... Je m'élance, la frappe d'un coup de griffe en plein poitrail, visant les plaies déjà ouvertes par mes précédentes offensives. Je recule, la charge encore une fois pour frapper au même endroit, avec la même fureur malgré la fatigue qui me prend aux tripes et amenuise la portée de mes attaques. Un violent coup de patte sur le crâne me sonne quelques secondes, le temps pour la louve sombre de me jeter par terre avec une violence rare. J'ai la sensation qu'elle ne fatigue pas, pourtant je continue de m'épuiser à mesure que les minutes s'écoulent. Le temps me semble s'arrêter le temps d'un si long moment, et brutalement ma vue commence à se troubler. Mais je m'acharne, me relève et continue de la charger avec toute l'agressivité dont je peux faire preuve. Je finirais par la faire déguerpir.

Je me débats entre ses pattes puissantes, m'efforçant de rechercher dans mes muscles endoloris une réserver d'énergie qui semble malgré toute ma volonté, inexistante. Je gronde, claque des mâchoires tout près de son museau. Ma vue trouble n'aide en rien mes manoeuvres désespérées pour la faire dégager d'au-dessus de moi, et son sourire carnassier continue d'étirer ses babines pleines de mon propre sang. J'écope d'un nouveau coup de crocs, aussi violent que les précédents, et dans un coup de patte d'une brutalité sauvage, mes oreilles se mettent à siffler. Je me redresse dans un dernier élan, balançant un coup de tête dans la mâchoire inférieure de la louve et la forçant à reculer dans ma manoeuvre, avant de lui faire face. Les pattes tremblantes, la tête basse, je la fixe avec rage avant de foncer sur elle en ouvrant grand les mâchoires; J'attrape quelque chose entre mes crocs, plus capable de discerner ce dont il s'agit. Je serre aussi fort que je le peux, je sens le goût du sang s'étaler entre mes crocs, glisser contre ma langue et tâcher mon pelage immaculé. Je serre encore avec l'espoir de lui faire lâcher prise sur ma gorge qui m'empêche de respirer, qui me fait bientôt suffoquer et rend ma morsure plus douloureuse encore que mes muscles ne ne sont déjà. Je peine à garder l'esprit clair, et bientôt l'obscurité envahie mon champ de vision et m'empêche de discerner clairement les traits de mon ennemie. Elle ricane, du moins je crois, et alors que mes yeux se ferment, son rire résonne dans ma tête. J'aperçois vaguement sa silhouette qui s'étire loin devant moi, avant de sombrer doucement dans l'inconscience. Elle s'en va ... J'ai ... réussi ...