Hel s'est pourtant entraîné dur. Chaque jour elle a essayé de dépasser ses limites, de pousser plus loin les retranchements de son esprit. Mais aujourd'hui, Hel a sept mois et aucun progrès ne se profile à l'horizon. Hel a toujours peur de tout et de tout le monde, et elle est plus faible que jamais. Le courage la quitte, revient et s'effile de nouveau pour s'enfuit au loin. Hel ne comprend pas pourquoi elle ne parvient pas à rattraper le retard accumulé au fil du temps. Elle donne pourtant tellement de sa vie pour faire comme les autres jeunes ! Pourquoi le Destin se refuse-t-il a lui donner sa chance ? Pourquoi rien ne semble vouloir lui permettre de grandir, de devenir meilleure ? Un jour, Nocturne décidera qu'il est trop tard, qu'il ne peut plus rien pour Hel et que son sauvetage aura été vain. Il découvrira qu'il a perdu son temps et son énergie dans une vaine tentative de faire d'elle une louve. Hel est profondément triste à cette idée, elle ne sait pas comment faire pour arranger les choses, pour progresser alors que le monde semble ligué contre elle. Elle se dit que peut-être, elle devrait partir. Disparaître dans la nature, s'envoler comme tous les efforts qu'elle a fait jusque là et qui n'ont pas porté leurs fruits. Mais le courage lui manque, Hel sait qu'elle mourra et elle ne peut pas s'y résoudre. Au fond, une lueur brille encore, plus que jamais malgré sa confiance qui s'effrite chaque jour. Nocturne croit encore un peu en elle. D'ailleurs, le voilà. Sa silhouette se dessine au loin, il est rentré. Pourquoi n'est-il pas directement venu à la tanière ? Hel s'extirpe de la grotte en silence, le pas léger et le corps silencieux. Elle s'approche de lui, les oreilles et la queue basse. Si il n'est pas venu la voir à son retour, c'est qu'il lui en veut certainement d'être si faible. Hel s'approche pourtant davantage de lui, jusqu'à n'être plus qu'à un mètre. Mais alors qu'elle découvre son erreur gravissime, il est trop tard pour faire demi-tour et fuir : l'oreille de l'être a pivoté dans sa direction. Hel se tend de tous ses muscles, écarquille les yeux et tombe assise sur son derrière. Il va la tuer. Parce que ce loup sombre qu'elle a osé confondre avec son tendre père, n'est justement pas ce dernier. Et Hel va mourir.

La jeune louve est tétanisée. Elle qui ne voulait pas s'enfuir par peur de mourir, voilà qu'il lui aura seulement suffit de mettre les pattes à quelques mètres de sa propre tanière. Là où nul danger n'aurait dû pouvoir l'atteindre. Hel sent son coeur battre à tout rompre, si fort qu'il semble vouloir exploser sa cage thoracique pour sortir et détaler. Hel cherche son souffle pendant ce qui lui semble une éternité, même si en réalité une seconde est bien plus courte. Et puis, l'animal tourne réellement la tête pour la regarder, et se relève rapidement. Hel voudrait reculer davantage, peut-être même espère-t-elle s'en aller avant qu'il n'ait le temps de l'avoir. Mais Hel ne bouge pas, figée sur place, ses quatre membres rendu rigides par la terreur. Mais finalement, de longues secondes plus tard, Hel est toujours en vie, et ses poumons continuent de se remplir et de se vider à grand peine de l'air qui l'entoure. Le loup, sombre aux yeux si clairs, si étranges, n'esquisse aucun mouvement agressif dans sa direction. Et même, sa voix s'échappe d'entre ses babines pour prononcer le nom de Hel. Elle hésite, dresse les oreilles et les plaques à nouveau contre son crâne. Quel assassin prononce l'identité de sa victime avant de mettre fin à ses jours ? Mais les oreilles de la jeune louve écoutent, et son cerveau lent comprend bientôt que le danger est écarté. Qu'il s'agit là, par chance, d'un allié. Alors, peu à peu, les muscles de Hel se détendent, et bientôt la voilà qui s'assied correctement, le buste en avant et les oreilles attentives à son nouvel interlocuteur. Carnage de l'Ephémère, frère de Miroir des Silences ? Hel comprend que quelque chose cloche. Hel cherche, réfléchit, mais ne sait pas pourquoi le frère de son père ne porte pas le même nom que ce dernier.

La louvarde observe le puissant mâle adulte à la carrure si semblable à celle de son père. Elle regrette de les avoir confondus, mais peut-être leur lien de parenté et cette silhouette presque identiques ne l'ont-ils pas aidé à voir clairement les différences qui les opposent. Pourtant maintenant qu'elle le voit en face, qu'elle peut détailler son visage, le loup sombre n'a rien de son père. Ni ce regard empli d'amour, ni cette posture protectrice, ni les sens systématiquement en alerte pour la protéger, elle, du monde si vaste. Elle reste là, assise et silencieuse, à observer Kobalt qui n'a plus du tout l'allure d'un monstre, maintenant qu'il fait la même taille qu'elle. Elle garde à l'esprit qu'il pourrait la tuer d'un coup de crocs, mais il a dit être un ami, alors Hel n'a pas peur.

- Tu as bien grandi ... Tu deviendra sans doute très belle, Hel.

Grandi ? Bien sûr qu'elle a grandi ! Si seulement elle s'était aussi étoffé ... Si seulement elle s'était également musclé, comme tous les louvards de son âge ... Hel détourne le regard, parce que si sa naïveté est presque légendaire, les flatteries ne l'atteignent pas. Elle sait voir la vérité en face et elle sait quand un loup est aveuglé par ses liens avec les autres. Il est son parrain, il ne peut lui dire qu'elle ne vaut rien. Mais Hel, elle, le peut.

- Hel est faible ...

Sa voix, si basse, si fébrile, ne changera probablement jamais. Hel ne pense pas une seconde qu'elle pourra un jour rattraper ne serait-ce que les jeunes de son âge. Ils auront toujours une longueur d'avance sur Hel, et elle est triste d'en être à ce point consciente.

- Tu n'es pas faible Hel. Tu as juste une force différente. Il ne tient qu'à toi de la trouver. Je peux t'aider si tu veux. A devenir forte.

Hel n'en croit pas ses oreilles. Elle a entendu son père lui répéter des millions de fois qu'elle trouverait sa voix un jour, qu'il lui faudrait du temps et que ce temps, Nocturne le lui donnerait à n'importe quel prix. Mais Hel pensait que son père croyait en elle par amour, seulement. Pourtant aujourd'hui, c'est un mâle adulte et inconnu qui le lui dit. Elle tend les oreilles, penche la tête sur le côté et se repasse les mots dans sa tête pendant de longues secondes de silence. Hel pourrait devenir forte ? Et pourquoi pas, finalement ? Si cet inconnu le dit, même s'il est le frère de son père, peut-être le miracle est-il encore possible ? Après tout, Hel n'a finalement que sept mois ...

- Tu sais que tu es différente Hel, des autres. Et ça te demandera beaucoup de travail ... Mais il est toujours possible de changer ... Ton père est un exemple parfait, je trouve.

Il s'est relevé, elle garde un oeil sur lui, comme si elle avait une chance de fuir en cas de problème. Hel baisse les oreilles, les plaque contre son crâne de nouveau et détourne les yeux. Oui, Hel est différente. Même lui l'a remarqué alors qu'elle ne le connait pas. Elle soupire entre ses babines, un soupire timide et déçu. Finalement, il a probablement changé d'avis. Hel ne vaut pas la peine de se donner du mal, elle en est certaine. Le loup sombre lui fait un signe de tête et déjà, s'éloigne. Hel le regarde de longues secondes avant de comprendre ce qu'il attend d'elle. Alors, d'un seul coup, elle se met à trottiner pour le rattraper, comme pour faire semblant d'avoir compris dès le départ.

- Veux-tu que je t'apprenne quelques trucs, Hel ?

Hel dresse les oreilles, le fixe de son regard brun. Apprendre ?

- Hel veut toujours apprendre !

Cette fois, sa voix se fait moins timide. Proposer à Hel un nouvel entraînement, c'est comme lui dire qu'elle est vivante parce qu'elle le mérite, et qu'elle peut encore faire tout ce qu'elle pourra pour atteindre son but. Proposer à Hel de progresser, c'est comme être déjà son ami. Alors il se penche en avant et attrape quelque chose entre ses crocs pour le tendre à la jeune louve brune.

- Essaye de la prendre à l'autre bout. On va voir si tu as un peu de force, d'accord ?

Hel baisse les oreilles, marque un pas de recul.

- Hel n'a pas de force ...

Mais la louvarde ne peut pas simplement faire demi-tour et abandonner l'entraînement alors même qu'il n'a pas commencé. Hel s'est battu ces sept derniers mois pour progresser et devenir meilleure. Si ses efforts n'ont pas porté leurs fruits, s'ils ont ébranlé sa maigre assurance, ils n'ont pas fait de Hel une louve abattue pour autant. Et tant qu'il y aura quelqu'un pour croire en elle, Hel se relèvera et marchera. Elle se redresse, inspire, et attrape la corde entre ses crocs d'un mouvement lent pour tirer en arrière. D'abord doucement, elle finit par basculer tout son poids sur l'arrière de son corps et pousser fortement sur ses antérieures pour s'agripper au sol et se servir de ses appui pour tenter de tirer l'adulte jusqu'à elle.

Hel aime tirer sur cet objet que tient fermement le mâle adulte. Et si elle ne parvient pas à lui faire esquisser le moindre mouvement, si elle n'a visiblement pas la force d'une louve adulte, elle n'en apprécie pas moins l'exercice qu'elle n'avait encore jamais tenté auparavant. Kobalt relâche finalement la pression, et sur le moment Hel accentue les tractions, ne comprenant pas tout de suite qu'il veut lui faire lâcher prise. Mais dès que l'information atteint son cerveau et que ses neurones font le rapprochement, elle lâche la corde en une fraction de seconde et lance un regard désolé à son nouvel ami en baissant les oreilles en signe d'excuses.

- C'est un bon début Hel, tu sais comment faire pour utiliser ton corps. Maintenant, il va falloir que tu te muscles un petit peu, mais tu verras, ce n'est pas le plus difficile.

La petite louve est plus attentive que jamais, la rencontre de ce mâle adulte lui plait de plus en plus. Hel est ravie de voir de nouvelles choses, d'apprendre d'autres techniques pour pallier à ses faiblesses naturelles. Formée par deux loups si puissants, Hel pourra peut-être un jour prouver à sa génitrice qu'elle a eu tort de vouloir mettre fin à ses jours. Parce que Nocturne lui a sauvé et que Hel refuse de montrer au monde qu'il n'aurait pas dû. Elle fera tout pour lui donner, pour mériter la chance qu'il lui a donné.

- Essayes de faire comme moi Hel, d'accord ?

Hel l'observe se fléchir, étudie chacun de ses mouvements d'un oeil vif et attentif, guettant le moindre poil qui se mouve dans l'air. Elle identifie chacun des détails qui fait partie d'un tout naturel sur le corps de Kobalt. Elle remarque chaque détail, grave chacun d'eux dans sa mémoire. Hel s'appuie sur ses pattes avant, bascule vers l'arrière et suit avec exactitudes les déplacements de son nouvel ami. Devant, derrière, devant, à gauche, derrière, à droite. Hel ressent les mouvements dans son propre corps et les voie dans le même temps sur celui de Kobalt. Les muscles se tendent, roulent sous la peau, se dessinent et glissent comment dans une chorégraphie parfaitement programmée.

- Est-ce que tu sens la différence quand tu bouges, Hel ? C'est cette différence qui te permettra d'avoir plus ou moins de force. Si tu veux un exemple... Si tu veux partir vers l'avant très rapidement, tu dois d'abord mettre son poids vers l'arrière, pour avoir plus de force, puis ensuite basculer en avant, en avançant tes pattes. Tu veux essayer de courir un petit peu ?

- Hel sent ...

Hel est émerveillée par toutes ces sensations qui dansent dans son corps. Hel adore cette impression de tout contrôler. Parce qu'aujourd'hui, Hel ne tombe pas. Hel contrôle chacun des muscles qui se cache dans son corps, et Hel se sent forte, capable de tout.

Les consignes se suivent, Hel se concentre sur ce qu'elle entend, elle écoute avec attention chacun des mots que peut lui donner Kobalt. Hel se sent bien, à ses côtés. Hel se sent forte, soutenue. Comme si plus rien ne pouvait l'arrêter. Hel a envie de sourire, de rire même. Et si Hel savait le faire, elle le ferait. Alors qu'elle continue de faire danser les muscles sous sa peau, alors qu'elle continue de faire vibrer chacun d'eux et de les sentir, de se concentrer sur leur existence et leur puissance, elle observe le mâle qui la contourne et change de position. Elle l'observe en silence, n'arrêtant pas ses mouvements répétitifs pour muscler ses membres, comme il le lui a expliqué. Et puis, l'adulte prend une position à côté d'elle, et elle cesse tout mouvement pour donner toute son attention à son nouvel ami. Elle le regarde, note dans sa tête chacun des mouvements qu'il lui montre. Elle observe son tibia qui s'arque vers l'arrière, elle observe son coude qui se plie, ses cuisses qui se tendent, les muscles qui roulent. Elle voit tout, chaque détail, chaque infime partie du corps qui se met en mouvement. Hel voit. Alors, le mâle effectue un bond en avant, prodigieux pour la jeune louve qui en reste bouche bée. Elle ne sait plus quoi dire, tant toute cette chorégraphie lui semble belle. Hel se redresse, se met en position. Hel se concentre, elle revoit chacune des secondes qui s'est écoulée. Elle abaisse son arrière-train vers l'arrière, elle ferme les yeux pour sentir les muscles tendus dans ses cuisses fébriles. Elle sens que ses pattes avant ne portent plus son corps, mais qu'elles lui permettent un appui dans le sol. Hel sent la force couler dans ses veines, hurler dans son corps. Et alors que ses tendus sont pliés, que ses muscles sont tendus et que son souffle est arrêté, Hel se concentre un court instant, et se propulse en avant. Elle sent la fierté bondir dans sa tête en même temps que ses pattes postérieures l'éjectent du sol, et elle sent brutalement la douleur dans sa mâchoire inférieure lorsqu'elle rencontre le sol dans une chute violente. Ses antérieures coincées sous son poids, Hel reste ainsi de longues secondes, cherchant dans sa mémoire les gestes qu'elle n'a pas copiés. Mais rien ne vient, elle a plié les membres, tendu les muscles, s'est concentré sur la puissance de ses membres. Pourquoi l'atterrissage n'a pas été aussi beau que celui de Kobalt ? Qu'a-t-elle manqué ? Hel plaque ses oreilles sur son crâne et n'ose plus se lever, elle reste là, interdite, les yeux clos et le corps frissonnant.

- Hel devait courir. Hel est trop faible ...

Un sanglot la secoue brusquement, sans prévenir, et Hel ramasse son corps sur lui-même pour se rouler en boule. Sa mâchoires et ses épaules douloureuses ne sont rien comparé à l'humiliation de la dure réalité : Hel n'arrivera jamais à rien.

Hel reste immobile ce qui lui semble être une éternité, et elle envisage même de le rester jusqu'au retour de Nocturne qui saura la rassurer et lui rappeler que même faible, Hel est aimée. Il saura lui dire que ce n'est pas grave, qu'il l'aime quand même. Alors Hel pourra rentrer à la tanière et se pelotonner contre Nocturne pour oublier l'extérieur cruel qui veut sa mort, ce dehors étranger et dangereux qu'elle craint plus que tout.

- Hel. Ce sont tes échecs qui te rendent forte. Fais d'une chute un moyen de te lever. Ne décourage pas, tu vas finir par y arriver.

Hel ne bouge d'abord pas, mais elle écoute. Lui aussi croit qu'elle peut y arriver ? Que malgré les difficultés, elle peut encore essayer ? Elle sent la langue chaude effleurer le haut de sa tête et inspire profondément dans le creux de ses pattes. Lentement, elle ressort son petit museau d'entre ses antérieures et relève une tête timide vers Kobalt qui la regarde d'un air bienveillant. Et puis, les crocs du mâle adulte viennent prendre sa nuque et la soulèvent de terre. Hel tend ses pattes, ça lui rappelle son père lorsqu'elle était encore toute petite. Elle se repose sur le sol, debout, et lance un regard encore larmoyant à Kobalt.

- Marches droit devant toi Hel, ça sera plus simple. Marches et tentes d'aller un peu plus vite à chaque fois, d'accord ? Je vais rester à côté de toi, il faudra que tu sois tout le temps à ma hauteur. Essayes ma grande.

Hel se redresse lentement, garde son regard brun rivé à Kobalt qui, déjà, commence à marcher. Elle pose une patte devant l'autre et le suit. Elle se concentre sur chacune de ses pattes, sur chacun de ses mouvements. Elle veut essayer encore, même si elle sait qu'elle tombera de nombreuses autres fois avant de savoir faire.

- Quand tu te sentiras prête, tu pourras commencer à courir. Tu le sentiras Hel, comme tu as senti ton corps tout à l'heure. C'est quelque chose que tu as en toi. Tu dois juste trouver un moyen de le faire sortir, et je t'aiderais.

En elle, n'est-ce pas ? Rien n'est moins sûr, du point de vue de Hel. Elle est faible et elle le sait. Maladroite aussi. Pathétique, en fait. Hel soupire, baisse les yeux, mais continue de marcher. Après tout, en réalité elle sait courir. Elle l'évite seulement, pour ne pas tomber. Elle arrive déjà à s'emmêler les pattes en marchant, alors en courant ... Mais alors que les secondes passent, Hel parvient à suivre le rythme de Kobalt. Elle marche tout près de lui, ne quittant pas les antérieures du mâle des yeux pour ne pas se laisser distancer. Et si elle trébuche à plusieurs reprises, elle n'en demeure pas moins debout, encore et toujours, inlassablement. D'un coup, sans même qu'elle s'en rende compte, la distance qui la sépare de Kobalt grandit, et la petite louve accélère encore. Cette fois ses pattes foulent rapidement le sol, de sorte que son corps soit dans les airs une allure sur trois. Hel ne s'en rend pas compte, mais elle trotte aux côtés de Kobalt. Hel sent les muscles danser en elle. Hel sent la douleur dans ses membres, agréable sensation de contrôler sa propre allure. Hel sent les mécanismes qui roulent sous sa peau et pourtant, elle ne se rend pas compte qu'elle ne marche plus. Mais elle aime ça. Et c'est le plus important.

Hel écoute les battements de coeur de Kobalt, mais aussi les siens qui accélèrent et qui pulsent dans ses veines. Elle sent, écoute, goûte l'air qui emplit ses narines et sa gueule alors qu'elle tire la langue, concentrée néanmoins sur sa tâche ardue. Elle ne se rend pas compte, non. Elle veut seulement suivre Kobalt, ne pas le laisser la semer. Elle ne voudrait surtout pas se perdre, réaliser trop tard qu'elle a quitté sa tanière sombre et protectrice. Mais, bientôt, ses muscles brûlent et la chaleur dans son corps augmente. Elle ne comprend pas ce qui se passe, réalise qu'elle commence à avoir peur. La situation est nouvelle, effrayante même pour la jeune louve. Mais elle continue parce que Kobalt continue. Hors de question d'abandonner encore. Hors de question de tomber et de pleurer de nouveau. Kobalt a dit qu'elle saurait, alors Hel saura. Et puis, alors que les minutes ont filé, que le corps de la petite louve est en feu et que ses muscles lui font terriblement mal, l'adulte ralentit et finalement bien s'arrêter pour se placer face à elle comme pour lui indiquer de s'arrêter. Hel force ses pattes à cesser leur danse ininterrompue, le regard posé sur son nouvel ami, pour finalement remarquer ce sourire immense qui étire ses babines. Heureux ? Elle penche légèrement la tête sur le côté, cherchant son souffle entre deux questionnements silencieux.

- Hel ! Tu as réussis ! Tu as couru !

Hel écarquille les yeux. Elle a réussi ?

- Hel a couru ?

Alors c'était ça, cette chaleur ? C'était ça, ces douleurs ? Hel cherche toujours à remplir ses poumons d'un air nouveau, comme s'il manquait quelque chose à son organisme. Si courir fait si mal aux pattes, Hel n'est pas sûre d'avoir envie ... Mais elle se tait, elle se nourrit de cette joie qui inonde le visage de Kobalt. S'il est heureux, Hel courra de nouveau.

- C'est bien Hel... C'est très bien... Tu peux être fière de toi.

La queue entre les pattes, Hel ne bouge pas, elle écoute en silence. Hel a couru ... Hel a couru, comme une louve, comme une grande. Hel pourra le dire à Papa, et Papa sera très fier d'elle. Hel va progresser, devenir forte, et rattraper le retard infligé par celle qui lui a donné la vie.

- Il faut que tu montres ça à ton père Hel... Je suis certain que Nocturne sera fier de sa fille...

Hel esquisse une ombre de sourire. Hel est fière, mais elle ne s'en rend pas compte. Hel le montrera à Papa, pour sûr ! Mais pour l'heure, Hel baille et se rapproche de Kobalt après un regard hésitant vers la tanière sombre et rassurante. Hel ne se sent pas la force d'aller jusque là-bas. Elle s'accole à Kobalt, se roule en boule à ses pattes et enfouit sa tête dans ses antérieures. Papa sait comprendre sans les mots, quand Hel veut dormir. Hel n'a pas l'habitude d'expliquer. Alors, là entre les antérieures de Kobalt, Hel s'endort, épuisée ...