Hel se rappelle parfaitement le jour où elle a reçu son prénom de la part de son père. Hel est reconnaissante de cette identité offerte même si elle ne sait pas se servir de cet incroyable cadeau qu'il lui a fait. Comme si lui sauver la vie n'avait pas été suffisant, son père lui a également donné de quoi se différencier des autres, tout du moins encore plus qu'elle ne l'est déjà. Hel sait qu'elle n'est pas pareille que tous les jeunes de son âge. Elle sait qu'elle a des lacunes difficiles à pallier, des faiblesses bien plus grandes que n'importe qui d'autre. Mais Hel n'a pas rencontré grand monde, tout au plus la fille de celle qui l'a nourrie jusqu'à son sevrage. Et encore, ces deux dernières ont été tellement occupées ailleurs que Hel ne les connait pas vraiment, quand elle y réfléchit. Alors Hel attend que son père ait le temps de l'entraîner encore. Elle veut lui prouver qu'il n'a pas fait tout ça pour rien, elle veut prendre cette chance que son père lui a donné et en faire sa force. Elle est peut-être faible, pathétique, misérable, mais elle voit les choses sous un angle bien différent. Si elle ne peut pas être plus faible qu'elle ne l'est déjà, elle peut au contraire progresser. Elle peut se battre chaque jour contre toutes ses difficultés et donner tout ce qu'elle a pour faire de son mieux, devenir une louve comme les autres. La jeune louve s'avance près des ruines de la chapelle, observe les alentours et s'assure d'être parfaitement seule. Alors, dans un silence pesant, elle pose ses antérieures sur un muret de pierres pour tenter de s'y hisser. Elle pousse fort sur ses postérieures et s'agrippe à l'aide de ses griffes, mais elle tombe dans la poussière et roule sur elle-même pour se redresser lentement, trop lentement. Elle souffle son désarroi.

- Hel ne comprend pas ...

Elle tourne sur elle-même en observant ce muret, cherche un autre moyen de s'y glisser. Si elle arrivait à monter, si elle parvenait à s'élever ... Son père serait si fier de la voir progresser ...

Hel a beau chercher, tourner autour de l'estrade et continuer de réflechir, rien n'y fait. Elle ne trouve pas le moyen de monter, elle ne parvient pas à progresser. Hel se sent minable, humiliée par ses propres faiblesses. Elle ressent un tel désespoir que lentement les doutes s'insinuent en elle. Et si elle ne parvenait jamais à progresser ? Et si elle était condamnée à dépendre toute sa vie de son tendre père ? Et si les efforts de Nocturne avaient été vains ? Si Hel ne méritait pas de vivre ? Elle soupire, baisse le regard vers le sol. Non, Hel ne méritait peut-être pas de vivre. Sa génitrice a peut-être eu raison de vouloir sa mort, finalement.

- Bonjour, tu veux savoir pourquoi tu n'arrives pas a grimper ? je peux t'aider si tu veux.

Hel se retourne vivement. La voix la surprend, lui arrache un sursaut et elle lance un regard effrayé à celui qui vient de débouler de nulle part sans qu'elle ait eu le temps de le voir venir. Si Hel n'avait pas été sur les terres des Navnik, elle serait probablement morte. Si ce loup n'était pas l'un des siens, Hel aurait certainement été tuée. Hel soupire, désappointée. Décidément, le Destin se joue d'elle, refuse de lui donner le courage que son père tente pourtant de lui inculquer depuis toujours.

- Parce que Hel est faible ...

Bien sûr, voilà pourquoi elle ne parvient pas à atteindre son but. Elle est trop petite, ses muscles sont trop mou, ses membres trop incertains, trop maladroits. Hel est trop faible pour parvenir à grandir, à devenir plus forte, plus grande. Hel mourra. Si ce n'était pas pour hier, ce sera pour demain.

- Je ne pense pas que tu soit faible. Tu ne réfléchis pas a l'essentiel c'est tout. Si tu veut grimper, prend de l'élan, comme pour la chasse. Recule !

Il répond du tac au tac, comme si sa logique était implacable. Hel l'observe avec incrédulité. Il semble si sûr de lui ... Comme son tendre père. Est-ce là un nouvel allié ? Sans un mot, Hel recule pour laisser de l'espace entre elle et son objectif. Pourquoi s'éloigner du but ? Il faut du temps à Hel pour analyser la situation, pour comprendre que reculer lui permettra de mieux sauter. Et lorsque le jeune mâle décide qu'elle est en place, Hel reste parfaitement immobile, obnubilée par le regard du jeune planté dans le sien.

- Maintenant ça devrait aller. Cours, rapproches-toi du muret mais pas trop près, et après tu sautes ! va-y essayes.

Hel le dévisage. Serait-il devenu fou ? Lui demander de courir et de sauter ? Il veut peut-être qu'elle meurt ? Pourtant, dans ses yeux rayonne une franchise que Hel ne parvient pas à démanteler. Il ne lui veut pas de mal, Hel le sent. Alors, après un long regard appuyé sur le jeune mâle comme pour prendre une partie de son courage, la louvette part en courant. Elle se concentre sur ses membres, frappe le sol à un rythme régulier et fixe chaque caillou qui passe sous ses pattes. Hel est si absorbée par les pas qu'elle fait pour ne pas s'emmêler les membres, qu'elle ne regarde plus devant elle. Hel relève la tête une seconde avant l'impact mais trop tard, la louvette s'emmêle les pattes dans la panique et se fracasse le crâne contre le muret de pierre, tombant au sol dans un hoquet de stupeur. Hel s'affale sur le flanc, reste couchée un long moment en fixant le lointain, désespérée et douloureusement sonnée.