T out d’abord, ça n’avait été qu’une légère vibration. Une sorte de frémissement du sol, les prémices de quelque chose de mauvais. Quelque chose qui ne s’annonçait pas de bon augure. Quelque chose qui ne tournait pas rond. Puis le frémissement était devenu un véritable tremblement, puis un grondement sinistre. Quelque chose d’infâme et d’atroce se dirigeait inexorablement vers lui, c’était certain désormais. Il avait reculé d’un pas, flairant l’air avec perplexité. Ce bruit, il le connaissait bien. Il surgissait souvent là-bas, au laboratoire, il avait pu le sentir à travers les parois lisses et blanches. Il l’avait aussi entendu, juste avant qu’Ils ne l’emmènent. Lorsqu’il était tombé, comme une simple marionnette, voué à la paralysie la plus totale, croyant venir ses dernières heures. Il avait survécu, pourtant.
Mais à présent, il savait. Il savait qu’il devait fuir, parce qu’Ils feraient absolument tout pour le capturer à nouveau. Il était parvenu à Leur échapper, après tout. Ils voulaient leur vengeance.

Palladium fait brutalement demi-tour, pivotant sur ses pattes postérieures avec une facilité déconcertante. Ah, quand il s’agissait de fuir, il était bel et bien le meilleur… Il bondit en avant, se propulsant violemment à travers la forêt. Plusieurs troncs d’arbres couchés surgissent devant lui, tandis qu’il court à en perdre haleine. Il bondit au-dessus d’eux, sans réfléchir, sans hésiter. L’obstacle n’est jamais trop haut, jamais trop large pour ne pas être dépassé. Ce qui lui colle aux pattes, là-bas derrière, vaut la peine de mourir de fatigue. C’est ça, plutôt mourir que d’y retourner. Mais Leurs machines sont infatigables, et le loup brun lui, ne l’est pas. Il est doté d’artères qui drainent trop de sang, d’un cœur qui bat trop vite et qui s’épuise, rapidement. Trop rapidement. Ses yeux affolés cherchent déjà un endroit où se cacher, une planque de repli, un endroit où il aurait pu se dissimuler. Il parcourt encore un ou deux kilomètres avant d’apercevoir un tronc assez haut pour qu’il puisse se glisser dessous. A bout de souffle, le Pantin se jette sous cet abri de fortune plus qu’il ne s’y coule, dans un vacarme assourdissant. Il attend, le cœur palpitant, les yeux révulsés, que le convoi passe. Ils sont là, tout près. Ils passent, lentement, dans ce bruit si oppressant que le loup brun en a la nausée. Ils ne le voient pas, ne l’entendent pas.
Ils s’en vont.
Ils sont partis.

Palladium s’extrait avec peine de sa cachette, le cœur battant encore la chamade. Il fait quelques pas, les pattes tremblantes. Des branches craquent sous ses pattes lourdes et épuisées, mais il n’en a rien à foutre. Il est en vie. Vivant.
« Q-Qui est là ? » La voix sourde, criarde, résonne dans ses tympans comme une menace, un cri agressif et sournois. Qui est encore prêt à lui faire du mal ? Mû par un réflexe, instinctif et sauvage, Palladium se jette dans la direction de la voix vicieuse qui veut encore essayer de lui ôter la vie. Il bondit par-dessus un tronc, puis par-dessus un deuxième. Ses yeux révulsés fouillent les moindres interstices, sa truffe frémissante sonde chaque soupçon d’effluve. Puis, il tombe dessus. Sur la bestiole infâme, qui tente probablement de lui faire la peau. Dans le doute, il plante ses crocs dedans au hasard, n’ayant plus la capacité de fuir, et serre ses mâchoires dans une étreinte douloureuse qui fait éclater des vaisseaux sanguins sous ses canines.
Brutalement, il lâche sa prise. Recule de quelques pas. Analyse la situation. Comprend que quelque chose ne va pas, en lisant la douleur dans les yeux apeurés du « monstre ». Qu’est-ce que c’est encore que ce bordel ?

I l reste bêtement planté là, à attendre. Les yeux effrayés de la louve sont braqués sur lui, faisant déjà résonner la douce musique coupable qui s’élève déjà entre ses deux oreilles. « Pa-Palladium ? T-Tu… Q-Quoi ? J-je ne… » Elle se tait, brutalement, devant la triste réalité : elle est totalement prise de panique et ne parvient même plus à s’exprimer. Et tandis qu’elle abaisse sa tête fine vers son épaule pour panser sa plaie, son sang répand encore son goût métallique sur la langue du Pantin. Il la contemple, quelques instants, les yeux dans le vague : elle, si frêle et si fragile, offerte à ses changements d’humeurs les plus soudains, à ce maelström d’émotions impétueux et imprévisible. Si fragile. Les mâchoires du loup brun se serrent. Qu’est-ce que ça serait, de la tuer après tout ? Une goutte d’eau dans un océan de massacres ? Qu’est-ce que ça pouvait bien faire ? Ce n’était même pas une pulsion meurtrière, ni une envie subite : c’était simplement un triste constat. Sa mort ne l’affecterait pas plus que ça. Leurs vies avaient de toute manière si peu d’importance…

Il échappe brutalement à ses pensées macabres pour s’inquiéter du sort de la jeune oméga. Il contemple son corps tremblant avec une mine dépitée. Il est bel et bien l’auteur de ce crime, mais ça ne lui fait ni chaud ni froid – étrangement. A croire qu’il a finit par s’habituer à la violence. Un frisson parcourt son échine : non, on ne s’habitue pas à la violence. On ne s’habitue pas à Eux, ni aux armes, ni aux bombes, ni aux guerres, ni au sang, ni à Tybalt. On encaisse de mieux en mieux, simplement. La douleur est plus courte, le choc est moins rude.

« Je suis désolé Keana… Je t’ai prise pour un HellHound… »

Ses oreilles se plaquent sur son crâne, sa queue file entre ses pattes postérieures pour s’aplatir contre son ventre et son regard se fait fuyant. Toutes ces mimiques qui montrent bien qu’il est sincèrement désolé. Menteur ! Il n’a fait qu’exécuter que son devoir, il croyait bien faire en exterminant ce qu’il avait pris pour un HellHound. Menteur ! Il aurait du faire attention, c’est vrai, mais… Menteur !
Il secoue lentement la tête, geste qui passera probablement pour de la grande désolation mais qui est en fait un moyen de se soulager des insultes incessantes qui se répètent dans son crâne. Au fond, il n’est pas désolé. C’est vrai, qu’il n’a pas fait attention – et ce, parce qu’il n’en avait rien à faire. Non, il ne l’a pas confondue avec HellHound – sinon il se serait enfui, soyons logiques. Il ne sait même pas pourquoi il l’a attaquée, il n’a fait qu’obéir à une impulsion sauvage, destructrice, qui lui a dicté de le faire. Mais peut-il lui aplatir ça comme ça, être totalement franc avec elle ? Bien sûr que non. Malgré leur différence de rang, elle n’en demeure pas moins une menace.