Je le baladais la depuis déjà quelques dizaines de minutes mais je n'avais pas remarqué tout de suite  cette présence pourtant si familière.  Je n'aimais pas du tout cet endroit. Il puait la destruction et la mort de la nature. Je marchais doucement entre les bâtisses, alors que mon regard furtif allait avec désolation de briques à pneus, de tiges de fer à morceaux de carrelage. Aucune végétation ici; non. Depuis déjà bien longtemps la Nature avait compris qu'elle n'avait plus sa place ici. Et moi j'espérais pourtant trouver ici des choses qui seraient utiles au garde manger de papa. De l'arnica peut être.  Une chose humaine que les bipèdes auraient perdus, abandonné ou laissé par mégarde.  Nous en aurions bien besoin.  Nos réserves se vidaient à vue d'oeil. Les blessés arrivaient de plus en plus vite, attaqués par les chiens de l'enfer et moi, moi qui détestait la violence, moi qui n'aimait pas me battre, moi je soignais ces gens là. Il m'était déjà arrivé une fois de me poser cette question : A quoi bon? A quoi bon guérir des plaies alors que d'autres prendront leur place puisque toujours nous aurons à nous battre.  Je n'avais pas trouvé de réponse à cette question à part peut être la survie de notre espèce.  Que serions nous sans le combat? Nous serions éteints, tous autant que nous sommes.  Une guerre à commencer et à partir d'aujourd'hui qui ne vaincra pas périra, guerrier ou non, volonté de se battre ou non. Nous n'avons plus le choix. Et moi je serrais la dans la tanière.  A réparer ce que les Hommes ont causé. Et ce que nous nous causons à nous même.

Des bruits de morceaux de carrelages qui glissent et s'entrechoquent entre eux. Je lève la tête.  Il y a quelqu'un un peu plus haut.  Je renifle un peu histoire de ne pas avoir de mauvaise surprise, mais normalement non.  La où les Hommes normaux passent parfois, les Chiens de l'enfer ne viennent pas.  L'odeur je la connaissais bien.  Elle ressemblait à la mienne, à celle de papa aussi.  C'était mon frère.  Je savais que c'était lui. Je ne savais pas exactement où il était mais il était par la.

D'une voix rassurée et pourtant légèrement incertaine; je lançais à qui voudrait l'entendre :

" Audric tu es là? "

J'aurai été content de le voir. J'ai l'impression de fois qu'il est perdu. Il nous échappe. J'aurai voulu lui parler, savoir si quelque chose n'allait pas. Notre changement de meute l'aurait il perturbé plus que je ne le pensais ? Pourtant il n'avait pas connu longtemps les Esobek...

Je levais la tête, Audric était là. Il était là haut, perché, me regardant d'un air presque froid. Il avait toujours été ainsi, très peu expressif, mais je savais qu'il avait un bon fond, même s"il ne montrait pas ses sentiments. C'était un loup calme, réfléchit, parfois susceptible et arrogant. Il aimait prendre les gens de haut, considérant qu'un jour, nul ne serait capable de faire pareil. Je n'avais pas de telles ambitions. Moi, je n'aspirais qu'à la paix, je n'aspirais qu'à guérir les gens et à découvrir encore et encore plus de choses, des objets, des plantes, des mélanges qui pourraient faire .. je ne sais pas... des miracles? J'étais un rêveur, Audric avait l'âme d'un guerrier, je le sentais du plus profond de mon être.

Quand il était très petit, j'étais assez proche de mon frère et de ma soeur, mais nous sommes très vite arrivés chez les Navniks et j'ai commencé en même temps mon apprentissage. Dès lors, nous ne nous voyions presque plus, et nos liens sont se progressivement amenuisés, effiloché.


Audric était un loup de taille moyenne, mais déjà bien battit pour son âge. J'étais plus âgé que lui mais il était très probablement plus fort et plus entrainé que moi, sa carrure, déjà, était plus épaisse, ses pattes plus puissantes, son dos plus musclé. Moi, j'étais très grand, très haut, mais en finesse, assez freluquet à vrai dire, et même si j'avais les épaules plutôt large, ce qui aurait dû avoir pour effet de me permettre d'avoir un poitrail très musclé, je ne m'entrainais jamais, ce qui faisait que tel n'était pas le cas. J'étais mince et je n'avais pas tant de force que cela. Mais cela ne m'avait jamais gêné. Je ne m'étais jamais battu contre autre chose qu'un petit lapin, une fois. Jamais je n'avais senti la nécessité de développer mon corps plus qu'il n'en faut. Je mangeais normalement, et passais mon temps à partir à la découverte de choses nouvelles et à chercher des plantes. Et puis, je n'avais jamais éprouvé le besoin d'être fort. Après tout, si jamais il y avait quelque chose, il y avait mon père pour m'aider. Moi, peu m'importait d'être capable de battre un loup à plat de couture ou non.


Audric me regardait et semblait lui aussi réfléchir. C'était un loup qui semblait aimer la solitude, comme moi, mais d'une autre manière.


" Qu'est ce que tu fais là haut? "

Question anodine, que j'aurai pu ne pas poser. Mais j'étais son frère, et le seul fait qu'il se soit éloigné à ce point du territoire Navnik n'était pas une chose normal. Ce n'était certes plus un bébé, mais cela restait un jeune louvard et les Chiens de l'Enfer pullulaient dans la région...

Mon frère.  Audric.  Je l'avais vu bébé, j'avais joué avec lui, je m'en étais occupé alors même que sa mère n'était pas là pour lui. J'avais aidé mon père à prendre soin d'eux, les deux petits qu'il avait eu avec cette solitaire. J'avais aimé ces deux enfants comme si c'était les frères et soeurs. Les deux loups étaient bien différents. Koda, la petite, avait son caractère mais au fond c'était une belle personne. Audric...était différent.  C'était étrange pour moi. Mon frère,  mon propre me frère me considérait presque comme un étranger.  Je ne taisais jamais mes sentiments. C'était pour moi inutile. Alors je savais, je savais que cela me faisait très mal de voir mon frère hair notre meute d'adoption, de voir mon frère nous regarder durement, avec arrogance, pire encore parfois : avec mépris.  Il était jeune et présomptueux. Si physiquement il était bien plus développé que moi, j'en savais bien plus que lui. Je connaissais chaque plante qui nous entourait. 

Je connaissais cet arbre, la bas, dont les fleurs pouvaient provoquer des évanouissements. Pendant un instant je m'imaginais un loup beige géant me sauter à la gorge.  Ce loup avait le visage de mon frère,  mais ce n'était pas mon frère.  Alors je m'imaginais attraper une branche et la lâcher d'un coup; faisant s'envoler le pollen dans son visage. Je voyais alors la grosse masse s'effondrer, puis rapetisser tout doucement pour devenir un petit louveteau adorable, une petite bouille endormie. Mon petit frère. 


Je crispais les mâchoires.  Il m'invitait à monter avec lui. Audric ne m'aurait pas invité  s'il n'avait une idée derrière la tête. Une voix dans ma tête  me disait de me méfier,  mais je ne l'écoutais pas.  C'était mon frère ! Pourquoi voudrait il me provoquer ?  Pourquoi voudrait il se mesurer à moi ? Je me décrispais,  mais je n'avais jamais réussi à mentir ni faire semblant. J'étais un peu gêné, je savais qu'il le voyait.  Pourtant, d'un air innocent que je ne feignais pas, je montais la haut. A ses côtés. 


" Je vois que tu apprends quand meme des choses là où tu es."

Ce n'était pas une provocation. Il n'était pas un apprenti assidu, ce n'était un secret pour personne. Mais ici il apprenait la maîtrise de son environnement et de soi. Enfin... était ce seulement ça son but ?