Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Les jours filent les uns après les autres et je n'ai pas encore revu mes fils, ma fille, ni même ma tendre compagne à qui j'ai pourtant tant à dire. Je m'éloigne de ma tanière d'un pas lent, réfléchissant aux mots que je pourrais lui dire lorsque je trouverais le courage de reprendre le chemin de nos terres. Mais pour l'heure, je me sens impuissant, et vulnérable. Comme un louveteau qui se serait éloigné un peu trop de la tanière maternelle, j'ai la sensation de m'être perdu et j'ai comme une peur profonde de tomber sur un danger à chaque virage, à chaque nouvel arbuste. Pourtant je suis fort, je n'ai jamais été aussi puissant. Mais, je crois qu'au delà de la guerre, c'est l'ignorance que je redoute. M'ont-ils seulement trahi, ou on-t-il même fini par m'oublier complètement ? Suis-je encore présent dans certains esprits, ou ne suis-je plus que l'esquisse d'une légende, la poussière après la vie ? Tybalt ne m'a pas oublié. Mais les autres, avaient-ils cet attachement que nous avions l'un pour l'autre ? Etaient-ils réellement mes frères, dans le fond ? Ou ai-je à l'époque, donné ma loyauté à des loups qui n'en méritaient rien ? J'expire tout l'air de mes poumons comme pour purifier mon organisme, et je concentre ma pensée sur quelque chose de plus récent, de moins important. Manîthil. J'ignorais qu'elle était encore dans les parages, qu'elle errait quelque part alors même que je menais ma vie d'Alpha, il y a déjà si longtemps. Mais je sais désormais qu'elle est là, quelque part, et savoir que la mère de mon fils est bien vivante et si près de moi, me rend fébrile. Elle a détenu trop longtemps une vérité qui m'aurait pourtant été capitale, et je veux aujourd'hui des explications. Là, dans la brume d'un matin printanier, je m'avance vers le bunker où elle a élu domicile, et j'attends de voir sa silhouette apparaître. Je reconnais son odeur, maintenant que je la sens. En sera-t-il autant pour elle ? Reste encore à savoir si elle est là, quelque part autour de moi.
La gestation se poursuit pour la dame blanche qui ne cesse d'être de mauvaise humeur. Aujourd'hui encore, elle a chassé Châtiment de la tanière pour qu'il aille lui chercher de quoi se remplir l'estomac. Elle avait faim, bien trop faim, et cela l'irritait, tout comme la fatigue qui pèse sur elle. Combien de temps encore devra-t-elle enduré un tel supplice ? Plus pour longtemps, espère-t-elle. Bientôt, elle mettra bas et, à ce moment-là, elle espère ne pas avoir à subir de nouveau ce qu'elle avait subit lors de sa première portée … Oh que ces souvenirs sont douloureux tant elle avait eu l'impression qu'on tentait d'extirper ses entrailles de son corps. Oh qu'elle se souvient de cette atroce sensation, de l'horreur de voir ces corps morts nés alors qu'elle avait tant souffert pour les mettre au monde, quel malheur … Non, elle ne voulait plus d'une telle douleur et, ce souvenir la hante de plus en plus, rendant son sommeil agité et la mettant de piètre humeur au réveil …
La dame blanche était resté dans sa tanière aujourd'hui, allongé sur sa paillasse de feuille fraîche qu'elle a fait ramasser pour ne plus être sur quelque chose de sec et poisseux. Mais son repos sera de courte durée car, une odeur s'approcha, une odeur qu'elle pensait ne jamais sentir de nouveau … Est-ce réellement lui ? Est-il de retour ? Pourquoi vient-il ici ? Cela ne lui inspire rien de bon et, le fait qu'il soit de retour maintenant ne l'aide pas à calmer ses souvenirs bien trop encré dans son esprit car, après tout, il est le fautif de cette mise-bas qui avait faillit lui coûter la vie …
Elle se leva et, se traîna d'un pas lent jusqu'à l'entrée de sa tanière. Son ventre bien rond de chaque côté, elle fit alors face à ce spectre du passé, Isha.
« Tiens donc, un revenant. »
Lança-t-elle sans la moindre saveur dans sa gueule si ce n'est la fatigue. Si il se trouvait devant sa tanière, ce n'était sûrement pas pour rien. Ainsi, elle l'invite à entrer d'un mouvement de la tête puis, s'installe au centre de la pièce principale, se couchant de façon à essayer d'être bien posé, ce qui n'est pas chose évidente …
« Que me vaut cette visite, Isha ? Je te croyais disparu. »
Si on m'avait dit que cette louve porterait un jour à nouveau, je ne l'aurais pas cru. Est-ce là encore une portée accidentelle ? N'a-t-elle jamais décidé de se poser enfin avec un mâle pour fonder une famille ? Ou peut-être est-ce là justement cette maturité nouvelle qu'elle porte en elle. Je l'observe quelques secondes. Je n'ai pas fréquenté Manîthil assez longtemps pour la connaître réellement, mais elle me semble fatiguée, épuisée même. Et à cran. N'importe qui peut voir qu'elle a les nerfs à vif. Je plisse légèrement les yeux, cherchant dans mon esprit un quelconque signe qui aurait dû attirer mon attention à l'époque. Non, je n'ai pas eu le temps de savoir tout ça. Elle est devenue mère longtemps après mon départ. Bien trop longtemps pour que je devine.
- Tiens donc, un revenant.
Même sa voix est marquée par la fatigue. Ou peut-être est-ce la lassitude ? A moi, elle n'évoque que le passé. Un passé révolu que je ne regrette pas, et qui ne me manque pas davantage. Elle m'a donné un fils, c'est tout ce qui m'importe aujourd'hui.
- Que me vaut cette visite, Isha ? Je te croyais disparu.
- Mort, tu veux dire. J'étais mort, et je ne suis encore pour bien du monde ici bas. Mais plus pour longtemps.
Non, plus pour longtemps. Bientôt les rumeurs se répandront comme une traînée de poudre. Le Roi est de retour. Peut-être la loyauté de certains renaîtra de ses cendres. Peut-être la trahison des autres se fera encore plus violente, plus réelle. Mais je suis là désormais, et bientôt je reprendrais ce qui m'appartient.
- Tu as porté mon fils, je suis là pour avoir des réponses, aujourd'hui. Pourquoi me l'avoir caché tout ce temps ? Tu l'as abandonné, tu aurais dû me l'amener.
Je n'étais à l'époque peut-être pas un compagnon idéal, mais elle n'avait pas le droit de juger ma capacité à paterner alors qu'elle ne me connaissait, finalement, bien peu.
Disparu ou mort, qu'importe, pour elle ça revient au même. Il est mort depuis le jour où il est sortie de sa vie. Oh elle n'en a été nullement touché. Des mâles, elle en a vu, elle en a connu mais, il fut le dernier avec lequel elle eut une aventure, le premier avec qui elle a eu une portée. Oh évidemment, maintenant, un autre loup a cet avantage, par moment, Châtiment, mais Isha est le dernier loup avec lequel elle s'est amusé à fricoter, payant le prix fort pour cesser ces idioties. Par la suite, les mâles, elle les avait esquivé, chassé. Enfin … Le voilà désormais de retour et, s'il est ici, ce n'est sûrement pas pour rien et, il le lui confirma …
Et voilà, la discussion tant attendu … Pandémonium … Il fallait bien que cela arrive tôt ou tard après tout, comment cela aurait-il pu en être autrement ? Pandémonium a su retrouver son père, comment d'ailleurs ? Elle l'ignore. Ah si ! Son nom de lune ! La seule chose qui a pu lui permettre de retrouver son père ! Dommage, cela aurait été drôle que ce jeune louveteau tourne en rond, désespéré, sans jamais rien trouver, sans jamais connaître son géniteur …
La dame blanche lâcha un bâillement avant de se lécher les babines. Elle avait déjà eu une discussion similaire, avec sa sœur, Leikn, concernant le pourquoi de cet abandon et, autant dire que sa belle et tendre n'avait pas accepté cela, en sera-t-il de même pour Isha ? Ceci est une bonne question mais, elle aura bien rapidement la réponse …
« Oh voyons, même pas on me demande si je vais bien ? Tu préfères directement sauter dans le vif du sujet ? Soit ! Tu n'as pas à me blâmer. Tu m'as prise, tu es partie alors, pourquoi t'aurais-je couru après pour te dire que j'attendais un de tes rejetons ? Navré mon cher, malgré ta belle gueule, je n'avais aucune envie de te courir après pour te retrouver et t'annoncer la nouvelle ! Tu as disparu tu n'as pas chercher plus, point. Nous n'avions rien de plus à voir l'un envers l'autre, gosse ou non. »
Lâcha-t-elle sèchement sans le moindre ménagement. Pourquoi diable se serait-elle emmerder à courir après un loup juste pour lui annoncer qu'il était père ? Oh elle aurait pu le faire mais, certaines circonstances ont fait qu'elle a préféré rester dans son coin a ruminer sa rage.
« J'avais autre chose à faire que chercher après toi, Isha. Sache aussi que Pandémonium n'était pas le seul de la portée. Sais-tu ce que c'est de mettre bas dans une tanière infecte, à ne cesser de hurler à cause de la douleur et de voir son sang s'écouler à chaque contraction et poussé ? Voilà ce que j'ai vécu. Une mise-bas qui a bien faillit me coûter la vie et, pourquoi ? Pour un seul et unique survivant ! Un louveteau si frêle qu'il s'agit d'un miracle qu'il ai survécu ! Oui, le reste de la portée est morte et seul Pandémonium a survécu ! Un ridicule louveteau maigrelet qui ne cessait de geindre à tout vas ! Oh j'ai quand même fait l'effort de le garder auprès de moi pendant quatre mois ! Et je ne l'ai pas laissé sans rien, je lui ai laissé de quoi survivre, il aurait été mieux sans moi de toute manière. Ton fils n'est pas un chiot qu'on tue si facilement, la preuve. Il a survécu dans des conditions merdique de début de vie et, il a survécu après que je l'ai laissé. Ça lui a forgé le caractère au moins, n'es-tu pas fier de ton fils ? »
Finit-elle par lâcher d'un ton à la fois acerbe et amusé à la fin. Malgré sa haine pour ce petit après l'avoir mis au monde, elle avait tout de même essayé de s'occuper de lui, et même, de l'aimer mais, à chaque fois qu'elle le regardait, il n'y avait que la rage et la douleur de cette naissance qui revenait et, elle n'avait pu supporter cela plus longtemps. Valait mieux l'abandonner avant de le tuer et, de toute manière, elle en avait assez de devoir se sacrifier et pourrir son confort pour ce marmot indésiré.
« Ah … Si seulement tu m'avais offert un fils comme l'adorable Adriel, rien de tout cela ne serait arrivé. J'avoue, j'ai un petit faible pour ce petit, vas savoir pourquoi ! Peut-être son insouciance et sa force intérieur ? Mais bref. Quoique j'ai pu faire à Pandémonium, n'oublie jamais que j'ai faillis mourir en lui donnant la vie et que je lui ai quand même donné sa chance malgré toute la haine que je peux ressentir à son égard. Alors, si maintenant tu souhaites me faire la moral, Dragon, passes ton chemin ! »
Gronde-t-elle finalement en fixant le mâle d'un regard dur. Elle en avait déjà assez de parler du passé. Elle n'aimait pas cette période, se rappeler de cette douleur, déjà qu'elle ne cesse de s'en souvenir alors que sa gestation progresse. Puis, de toute manière, personne n'a à juger de ses actes, strictement personne ! Elle a fait tout ce qu'elle pouvait pour Pandémonium, elle a prit sur elle mais à un moment, elle ne pouvait tout simplement plus.