L'aube se lève sur le monde, et j'observe les dernières étoiles disparaître lentement dans le ciel. Voilà quelques jours que je suis revenu parmi le monde où j'ai vu le jour. Si peu de temps et pourtant, j'ai l'impression qu'il est passé des années avant que je ne remette les pattes dans les parages. Je soupire, me concentre sur les parois de la tanière, devant moi. Je me sens si faible, si misérable à côté de ce que j'ai été. Mais ces temps sont révolus, et aujourd'hui je dois recommencer tout le mal que je m'étais donné autrefois. Je dois reprendre ma vie où je l'ai laissé et faire de nouveau tout mon possible pour redevenir le loup puissant que j'étais lorsque les humains ont posé leurs sales pattes sur moi. J'inspire profondément et je commence à m'étirer, puis j'entame une course de trot autour des terres que Nocturne habite. Mes muscles se tendent sous ma peau, mes pattes foulent le sol à un rythme régulier et si je sens la chaleur envahir mon corps, l'effort me fait un bien phénoménal malgré tout. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas eu le loisir de courir en toute liberté. Mais déjà, l'heure est venue d'affronter encore une fois celui qui a sauvé ma vie et qui a, même s'il estime ne pas l'avoir fait, veillé sur mes fils. Ce n'est pas grâce à Atom, qu'Adriel, Pandémonium et Dalioka sont en vie. C'est uniquement parce que Nocturne a su retrouver mes fils et les a pris en charge. Mes petits sont de fiers Dragons, mais ils restent des louvards d'à peine plus d'une année. Ils n'ont aucune expérience. Je m'arrête après quelques minutes, face à la tanière, et j'attends que l'ombre sorte de l'obscurité.

Je sursaute, surpris par son arrivée. Je l'attendais de l'intérieur, mais il est là derrière moi. Je me tourne rapidement pour lui faire face, dévisageant le loup sombre comme s'il était un ennemi, alors que j'ai bien compris la veille qu'il ne l'était pas. Je montre les crocs, le fixe dans les yeux. Il sait qui j'attends. Il sait pourquoi je suis là. Et campé sur ses membres, il sait ce que j'attends. Mais ce n'est pas lui qui lance la première offensive. Je saute dans sa direction, les quatre pattes en avant et les crocs à découvert. Je mords dans son encolure et me bascule sur le côté pour l'entraîner dans mon élan, le faisant valser autour de moi comme un vulgaire louveteau. Je reprends mes bonnes vieilles habitudes de meneur, je veux lui montrer que je ne suis pas le combattant des humains, qu'au fond de moi vit encore et toujours le véritable Isha. Je gronde, le relâche pour qu'il tombe en arrière, et bondis à sa rencontre pour lui mordre l'épaule et lui asséner de violents coups de griffes dans les flancs. Je recule instantanément et l'observe qui se relève mais déjà, sans lui laisser le temps de se remettre d'aplomb, je recommence mon stratagème. Je fonce sur lui, attrape brusquement en épaule entre mes mâchoires et tire de toutes mes forces. Cette fois, mon adversaire sait à quoi s'attendre et dans un coup de patte magistral me force à lâcher prise pour reculer de nouveau. Je le toise une seconde, gronde légèrement, et repars à l'assaut la seconde suivante. Je le percute, le flanque au sol et roule, emporté dans mon élan. Il me surplombe mais j'utilise sa propre force contre lui en tournant sur moi-même pour l'emmener avec moi et le dominer de nouveau. Je cherche à atteindre sa gorge, sans chercher à le blesser pour autant.

Un grondement de douleur s'échappe d'entre mes mâchoires alors que j'entends les galopades de l'autre qui, déjà, s'élance entre les arbres. Il me faut plusieurs secondes avant de pouvoir me servir à nouveau de mes yeux, mais l'habitude d'avoir une mauvaise vue me permet de m'adapter rapidement malgré la douleur dans mes iris saphir. Je m'élance à la suite de l'animal, grondant et claquant des mâchoires tout près de son arrière-train alors qu'il accélère pour fuir mes assauts. Pourquoi s'enfuit-il cette fois ? Pour l'entraînement ? Ou a-t-il quelque chose à cacher dans l'obscurité de sa tanière ? Je m'élance plus vite, plus loin, forçant sur les muscles de mes quatre membres pour l'obliger à céder sous la force de ma poursuite. Je ne le lâcherais pas. Soudain je disparais de derrière lui, virant brusquement à droite pour m'échapper entre quelques arbres. Je me rappelle. Je connais cet endroit. Je coupe par un autre chemin, rattrape le retard de quelques centièmes de secondes que j'avais sur sa position, et dans un bond prodigieux je coupe la route de Nocturne en le percutant de tout mon poids. Je l'envoie rouler au sol dans un grondement sinistre, et avant même d'avoir moi-même repris mon souffle je m'élance sur lui pour le dominer de toute ma taille et lui lacérer les flancs de mes griffes. C'est ainsi que nous nous entraînions autrefois, dans la Horde. A la différence qu'aujourd'hui, c'est moi le novice. Mais je n'ai pas tout oublié, et bientôt je rattraperais ce que les hommes m'ont pris sans la moindre pitié. J'écrase mon camarade sous mon poids et continuer de frapper ses flancs à coups de pattes rageurs alors que mes crocs dansent autour de son échine et de son épaule.

Encore cette attaque furtive et traîtresse, il me lance de la terre dans les yeux et pour la seconde fois en deux jours, je me laisse bêtement avoir par le stratagème. Je gronde, me frotte brutalement les yeux comme si ça pouvait arranger les choses, et je me jette à sa suite dans un grognement de rage. Il ne s'en tirera pas comme ça, j'en fais le serment. Je me jette corps et âme dans une course folle contre celui qui fut mon apprenti et qui aujourd'hui demeure pour moi un allié de choix. Mes pattes frappent le sol avec une telle force que je n'ai pas l'impression d'être sorti de l'Enfer depuis si peu de temps. Et même si j'ai encore beaucoup à apprendre, je sais que grâce à cette distance que mon frère de meute a imposé entre les miens et moi, je peux retrouver celui que j'ai perdu au fond de ma mémoire sans risquer de nuire à ma famille. Je m'écrase contre un arbre, roulant au sol dans un vol plané violent, et me redresse presque aussi vite avant de vaciller quelques secondes. Mais avant que le noir ne se retourne pour voir ce qui se passe, je suis déjà de nouveau à ses trousses, courant à toute allure malgré les douleurs qui tambourinent à mes tempes et les étoiles qui ne veulent pas dégager ma vue trouble. Je vois son obscure silhouette se rapprocher de moi, me donnant l'espoir de le rattraper, et j'accélère encore l'allure pour faire diminuer jusqu'à disparaître la distance entre nous. Je gronde, bondis violemment en avant et projette tout mon corps sur l'arrière-train de Nocturne pour l'affaisser et le faire rouler au sol, tombant avec lui dans un fracas assourdissant. Je mords dans son épaule pour l'obliger à rester dans la terre cette fois-ci, bien décidé à ne pas le laisser fuir une seconde fois.

Le loup noir n'est plus simple spectateur de ma colère. Il en est désormais l'élément déclencheur, celui qui la provoque et la maîtrise par des coups de crocs et de pattes tous aussi dangereux les uns que les autres. Et je continue d'abattre ma rage de vaincre dans chacun des coups que je lui porte, bien décidé à lui faire payer quelque chose dont il n'est pas responsable. Je bondis en avant, lui balance un violent coup de crocs au visage et manque ma cible de peu alors que l'animal, désormais rieur, me tourne autour comme autour d'une proie. Concentré sur la colère qu'il me fait éprouver, je ne prends pas garde à un quelconque piège, reculent alors que l'autre continue de me charger, et faisant pas après pas, une offensive à chaque fois comme pour lui montrer que malgré mon recul, je n'abandonne en rien le combat. Je me concentre totalement sur lui, lui donne toute mon attention et le charge à un rythme régulier pour continuer d'essayer de lui porter autant de coups qu'il peut m'en donner. Je gronde, claque des mâchoires, jappe lorsque ses crocs se referment sur une plaie encore mal cicatrisée et me retourne vivement à chaque fois qu'il s'attaque à mes flancs. Je m'efforce de charger en premier, mais mon tour ne vient pas toujours et si je continue de faire des bonds en avant pour le percuter ou pour le mordre moi aussi, je continue de reculer incontestablement sans y faire attention, sans prendre garde au bourdonnement menaçant du courant qui hurle derrière moi. Je m'élance de nouveau, mordant son épaule et le tirant à moi, mais je lâche alors que ses griffes se plantent dans mon poitrail et je recule une fois de plus.

L'animal semble savoir ce qu'il fait, pourtant je ne parviens pas à anticiper ses attaques. Et si je continue de le charger et de mordre à chaque fois que l'occasion se présente, je ne me rends pas compte que je continue de reculer dangereusement vers la mort. Jusqu'à ce que mon adversaire me rentre brutalement dans les flancs, m'envoyant valser dans les eaux sinueuses et meurtrières du styx. Je jappe de surprise, et le froid qui engourdit immédiatement mes muscles me rend tout à coup fiévreux. Je me débats dans le courant avec un acharnement violent, parce que cette fois ma vie dépend de ma volonté et seulement de ma volonté. Combatif, je bas des pattes plus fort que je ne l'ai jamais fais, et je crois même que même lorsque je cours je ne sens pas autant de sang accourir dans mes membres, à tel point que la chaleur combat le froid de l'eau avec une force prodigieuse. Je nage comme un dément pour ne pas me faire emporter par le courant, et même si Nocturne suit mes déplacements comme s'il était maître de la situation, je réalise que la peur s'est déjà insinuée en moi et que tout en combattant le sens du courant, je me bats contre ma terreur profonde. Je nage jusqu'à la rive en prenant plusieurs fois la tasse, mais après de longues minutes d'une lutte acharnée contre les eaux tumultueuses je parviens à agripper de mes griffes la terre boueuse du rivage et je chercher immédiatement une prise à attraper avec mes crocs pour me hisser hors de l'eau. Je plonge mes crocs puissants dans d'une racine d'arbre, large et solide, et je force spontanément sur les muscles de mes mâchoires pour hisser tout mon poids jusque sur la rive où je m'étale lourdement, à bout de force et de souffle, sans être même capable de relever un regard furieux sur celui qui se prétend mon allié et qui m'a jeté sans scrupules dans les bras de la mort.