Cela faisait quelques jours que nous avions déménagé vers les marais griffes vertes. Avec Anya, papa et mes frères et soeurs. J’avais commencé à apprendre à vivre au sein de cette nouvelle meute, et surtout de cette nouvelle « famille », si on pouvait le dire ainsi. En effet, mes frères et soeurs étant trop petits pour survivre sans nourrice, Anya les avait pris sous son aile et allaité comme ses propres enfants. J’étais très reconnaissant. Cette louve blanche était plutôt gentille avec Koda et Audric, mais j’avais été surpris et impressionné de voir à quel point elle veillait sur ses enfants plus que sur sa propre vie. J’avais d’ailleurs remarqué particulièrement Ahanu. Légèrement plus effacé que sa soeur qui bouillait sans arrêt sur place, il était néanmoins plus vif d’esprit. Il était plus subtil, plus sage aussi dans un certain sens même si étant plutôt bébé il avait toujours l’esprit d’un enfant.

Ce jour là, je revenais tout juste de ma recherche de plantes dans le marais. J’arrivais vers la tanière d’Anya pour aller chercher Audric et Koda lorsque j’entendis un bruit derrière moi. Je me retournais doucement, ayant surpris l’odeur de la personne non loin. C’était Ahanu. Tiens ! Il serait peut-être intéressant d’aller le voir. J’ai entendu dire qu’il hésitait à devenir guerrier ou guérisseur selon où la vie le mènerait. Peut-être que je pourrais l’aider ? Ou ne serait-ce que discuter ?

Je ne suis pas du tout du genre à faire la pipelette, en fait, je n’aime que peu le contact. Mais je ne sais pas pourquoi, j’avais très envie d’aller parler à Ahanu... Je m’approchais alors de lui, sans me cacher pour qu’il me voit bien arriver et ne soit pas surpris.

« Bonjour Ahanu ! Tu vas bien aujourd’hui ? »



Je lui adressais un grand sourire. J’étais le grand frère de ses frères de lait... donc ca nous rapprochait, je pense !

Faisant un effort sur moi même pour paraître moins fermé et plus amical, je souris à Ahanu, un peu comme je souriais à Audric, mon frère.  Il avait l'air ravi que je vienne le voir. Un sourire aux lèvres, il accrocha la conservation et me répondit.   Ainsi, il réfléchissait.  Ah mais oui! Mon frère m'en avait parlé ! Il allait devoir choisir son orientation. C'était une étape très importante dans la vie d'un loup. Il fallait décider ce qu'il deviendrait. Audric m'avait dit que Miuna savait parfaitement ce qu'elle voulait devenir, mais que c'était une toute autre histoire pour son frère.  Lui, hésitait entre guérisseur et je ne savais plus trop quoi. Alors avec un sourire, j'essayais de le faire parler un peu plus à ce sujet. Ça mère aidait mes frères et soeurs, alors c'était un plaisir d'aider Ahanu!


" Je vais bien aussi. Je poursuis mon apprentissage mais je dois avouer que plus ça va plus ça se corse. Audric m'a dit que tu allais devoir choisir ta voie. Si tu veux , je peux t'aider ! Je connais quelques trucs même si je ne suis qu'apprenti.  Tu as besoin de conseils ? "



Je le laissais un peu parler s'il le voulait  puis je continuais :

" Il faut que tu te dises que tout dépend de toi. De ton tempérament, des tes aptitudes. .. si tu es agile, furtif, et discret peut être faut il s'orienter vers le rang d'espion.  Si tu as la compétition et la rage de vaincre dans le sang, alors guerrier ou chasseur serait bien. Si tu es consciencieux, que tu aimes aider ou si tu t'intéresses à la nature, ce serait plutôt guérisseur.  Après c'est un petit liste exhaustive! Dis moi, qu'est ce que tu aimes faire ? "

Je souriais. Oui il avait raison. Il n'avait de toute façon pas ce qu'il fallait pour être un guerrier. Pour être un guerrier selon moi, il ne fallait pas réfléchir.  Enfin; pas réfléchir dans le sens, réfléchir à l'importance de la vie. Car on ne peut tuer lorsqu'on sait à quel point la vie est précieuse.  Moi je ne pouvais pas tuer de moi même.  Oh oui, j'aimais la viande, j'adorais la nourriture. Mais les choses que je mange sont déjà mortes. Elles doivent être mangées, c'est la suite naturelle des choses. Mais moi, j'étais incapable d'enlever la vie sans sourciller. Je le faisais quand j'étais obligé. Je suis un loup, n'abusons pas. Mais les guerriers doivent savoir tuer avec finesse, sans grandeur d'âme, capables même peut être de tuer leurs semblables.  Et je trouvais cela tout bonnement affreux. 

Ahanu me fit sourire intérieurement de sa demande,.même si je restais très sérieux en le regardant.  Je hochais  les épaules, sans me moquer de lui le moins de monde et tout à fait sincère :

" Tu sais, quand tu guéris, il faut trouver de quoi guérir. Et quand tu cherches les choses pour guérir, tu dois aller si loin que tu découvre mille et une contrées ! Mon père a fait presque toutes les terres connues d'ici ! Tu imagines ? Je suis comme toi. J'aime découvrir encore et encore les choses.  J'aime la nature et la vie. Pour moi, une fleur et bien plus fascinante qu'un vulgaire combat entre deux loups droits comme des coqs qui se disputes pour un oui ou pour un non. C'est va qui est magique ! Vivre pour découvrir.  Tu ne crois pas ? Alors finalement... Explorateur ressemble à guérisseur ! Tu pourrais peut être demander à ta maman si tu peux l'aider à chercher des plantes ? Et alors tu découvriras plein de choses, plein de paysages et de nature ! On pourra même y aller ensemble si tu veux ! "

Je lui fis un énorme sourire, soudain jovial à l'énoncé de cette perspective.

Je souriais. Il avait l'air plutôt enthousiaste et je trouvais que c'était une très bonne chose.  Enfin je crois. Il commençait à s'inquiéter.  Il réalisait que guérisseur, c'était ça qu'il avait dans le sang. Oui, mais après ? Qu'allait il faire maintenant ? Je comprenais ses inquiétudes.  Pour moi la question je s'étais  jamais posée.  Papa était guérisseur et avant même que je décide de l'être il m'avait déjà appris bien des choses sur les plantes et les façons d'en user. Je souriais donc d'un air très serein et rassurant à Ahanu:

" Tu sais, ce n'est pas difficile ! Il te faut déjà trouver un mentor ! Ta maman a fini son apprentissage maintenant et en plus d'être générale elle est guérisseuse, elle pourra t en apprendre des choses tu sais ! Et puis en plus, il y a Emarok. Ta maman était son apprenti, et moi je le suis toujours.  Il pourra t'aider j'en suis sûr ! Mais avant tout pour être guérisseur il faudra que tu choisisses un mentor qui te corresponde, qui soit gentil, patient et attentionné, que tu aimes bien peut être.  Et il faut qu'il accepte aussi.  Moi par exemple, mon père, Emarok, est mon mentor.  Bientôt j'aurai fini mon apprentissage et je serais comme lui un guérisseur.  "


Oh que oui. Et c'était très stressant tout ça.  Tant de responsabilités qui allaient peser sur moi et uniquement sur moi!  C'était vraiment beaucoup.  Je souriais pourtant toujours à Ahanu, et d'autant plus lorsqu'il parla une seconde fois.

" Bien sûr !! Je t'emmenerai des que je le pourrais ! Si tu veux demain matin nous partirons ensemble chercher des plantes dans les marais.  C'est sans danger et vraiment juste à côté de notre nouvelle tanière.  Tu verras ce sera bien ! Je suis content de t'avoir aidé! Dis j'ai une autre question à te poser.  Aimes tu mes frères et soeur ? "

C'était une question assez anodine, car finalement mes frères et soeurs étaient comme les frères de lait de Miuna  et Ahanu  vu que c'était Anna qui avait aidé à l'allaitement des petits au début.  Je me posais quand même la question !

Le jeune loup était vraiment content que je l'emmène demain avec moi à la cueillette de plantes dans les recoins de nos nouvelles terres. Mais cependant il semblait intrigué par la question que je venais de poser, une curiosité d'enfant; de " et pourquoi ? Et pourquoi ??". Cela me fit sourire; il était content aussi. Alors pour ne pas le perturber davantage je poursuivis ma réflexion :

" Et bien si ta mère a nourri mes frères et soeurs Koda et Audric, alors vous êtes frères et soeurs de laits. Donc je me demandais au final  ce qu'on était toi et moi l'un envers l'autre.   Cousin? Grand frère et petit frère?  Connaissances ? Ah c'est compliqué ! "

Cette question qui pouvait paraître anodine voire stupide m'était arrivée à l'esprit comme ça et J'avais bien envie de savoir ce que cela donnait quand même ! Puis,je me rendis compte que j embetais et emmelait sûrement les idées de Ahanu.

" Pardon  si je t'embête ! Mais je ne sais pas pourquoi, cette question  le trottait dans la tête et il fallait que je la pose !"

Je lui Souriais.

Ce petit loup me faisait sourire. Il faut dire qu'il me faisait tellement penser à moi, pas seulement au même âge mais aussi maintenant. Moi, j'étais toujours resté un peu enfant, au crochet de mon père et pourtant si solitaire. Il me parla un instant, tout d'un coup portant un soudain intérêt à cette question qui pouvait sembler tellement stupide au premier abord. J'appréciais cette réaction de sa part, c'était un jeune loup pas comme les autres, qui poussait la réflexion bien plus loin que le bout de son museau, s'il continuait dans cette voie, il ferait très probablement un excellent guérisseur. Je suis sûr qu'il réussira, un jour prochain.

Ahanu me fit alors des réflexions auxquelles je ne m'attendais pas le moins du monde. Il avait bien compris, évidemment, que lui et moi n'avions aucun lien de sang, et encore moins des liens de lait, puisque j'étais loin d'être en âge d'être nourri par une nourrice. Pourtant, il avait l'air attaché à ce principe de fraternité, comme si ce lien nous liait à jamais et m'empêchait pour toujours de l'abandonner, de le laisser seul dans cette course de longue haleine pour devenir guérisseur, et surtout, cette longue route en solitaire, puisque souvent, les guérisseurs, trop pris par leur travail, se retrouvaient tous seuls. Papa était seul. J'étais seul. Anya était seule. Une vie de solitude en don pour celle des autres. Mais finalement, peut-être que je me trompais, peut-être que la vie d'un guérisseur n'était pas cloisonné à un état de solitude intense. Pourtant cela ne m'aurait pas déplu.


" A vrai dire, on ne peut pas être ce que l'on est pas. Je ne suis pas ton frère de lait, alors je ne pourrais jamais l'être. Mais il existe d'autres sortes de frères, un peu comme un lien personnel, un lien spirituel qui ferait que malgré tout on soit comme des frères l'un pour l'autre. Je pourrais devenir ton grand frère de coeur si cela te dit ! Et pour moi tu pourrais être comme mon petit frère et je t'apprendrais tout ce que je sais! "


J'espérais sincèrement que cette perspective lui plairait, et puis c'est surtout que je n'en voyais pas d'autre en fait...

Un petit sourire discret. Je trouvais en Ahanu le frère que j'aurai aimé avoir en Audric. J'avais eu peur, tellement peur de le perdre. Mais de tout ce que j'avais pu imaginer, ce qui était arrivé était bien plus inattendu encore. C'était de son propre chef que Audric avait installé une barrière entre nous, ce rapprochant de plus en plus d'un mercenaire.  Je n'étais pas de nature à détester quiconque. Mais je pouvais dire sans me tromper que je ne tenais pas les mercenaires dans mon coeur. C'était des êtres viles, qui ne pensaient qu'à leurs intérêts, sans même vouloir aider qui que ce soit. Ils vivaient pour eux et pour écraser les autres tant qu'on leur en donnait le prix. J'étais tellement déçu et désarçonné. Je sentais mon propre frère se détacher peu à peu de sa famille, se détacher de moi. Cela me faisait terriblement mal. Nous aimait il seulement ? Je ne savais pas. Il y a peu de temps encore, j'aurai répondu oui sans une once d'hésitation. Pourtant, oui, pourtant ! Maintenant tout semblait avoir changé, tout se bousculait. Ma famille se disloquait.  Je semblais destiné à ne jamais connaître de vraie famille. Mon géniteur le Sekmet,  le vieux général, n'avait pas voulu me voir. Ma mère m'avait abandonné chez Emarok. Emarok.  C'était lui mon père.  Lui et personne d'autre.  Il m'avait élevé, aimé, tout appris.  Il était ma famille, lui et les siens. J'avais si peur de les perdre...


Ahanu était comme un petit frère maintenant. Je ne ferai pas la même erreur qu'avec Audric. Je ne le laisserai jamais se sentir seul. Je m'occuperai d'Ahanu comme de mon propre frère. Je le protégerai et je le soignerai.  Bientôt, je serai guérisseur. Je pourrai tout lui apprendre.


Dans un grand sourire attendrit,  je dis à Ahanu:

" Je suis ton frère et tu es mon frère ! Ensemble nous ferons de grandes choses !"

Je passais ma patte sur la tête du louvard  pour lui ébouriffer les poils du dessus de la tête.  Je ne le perdrai pas. Pas lui.