Je quitte les maris griffes vertes empli d'une colère sourde. Les miens ne comprennent-ils pas l'importance de garder nos terres ? De rester sur nos propres territoires et de ne pas nous en éloigner ? Non, il a fallu que nous traînions des gamins blessés et des adultes en piteux état jusqu'ici pour "y être en sécurité". Foutaise. A défaut de fuir, nous aurions dû laisser les faibles là-bas, ils auraient servi de diversion pour nous protéger nous, les forts. Je soupire en m'éloigne progressivement de notre nouveau campement. Il me faut prendre le large, aller me calmer quelque part. Les seuls Navnik avec lesquels je me sois entraîné ces derniers temps sont mes deux apprentis, encore deux louveteaux ignorants et inutiles. Trop jeunes pour se battre ou pour chasser, trop grand pour mourir de froid. Mais alors que je rapproche du fleuve qui traverse le monde, j'aperçois l'un des miens, un jeune guerrier plutôt discret dont j'ignore le nom. Je me rapproche de lui en trottant, analysant son odeur tout en m'avançant pour être sûr de ne pas croiser la route d'un ennemi. Je m'avance jusqu'au bord de l'eau où je l'observe qui lape l'eau avec avidité. Une petite soif, mon ami ? Mes babines s'étirent en un sourire narquois. S'il ne tombe pas malade, il mourra directement d'empoisonnement. Comment peut-on être si stupide ? Si naïf ? Comme si les hommes allaient nous laisser un point d'eau aussi grand, aussi évident. Pourtant je ne fais aucun commentaire sur l'eau, le laissant se débrouiller avec ses propres problèmes.

- Eh, Guerrier ! Un entraînement, ça te tente ?

Vu ses faibles muscles, il ne sera pas difficile de le terrasser, mais je pourrais toujours apprendre quelques techniques supplémentaires et mettre en pratique ce que je connais déjà. Et s'il lui vient une violente envie de pisser, eh bien je l'aurais sauvé avant qu'il ne digère cette eau souillée.

J'affiche un sourire narquois alors que de sa voix amicale, l'autre Navnik accepte ma proposition. Je penche légèrement la tête sur le côté sans me départir de cet air suffisant et je me réjouis à l'entente de mon prénom prononcé avec autant de méfiance dans sa voix. Me serais-je fait une réputation au sein même de ma propre meute ? Quelle joie. Je m'avance de quelques pas, l'observe encore quelques secondes, et finalement je fonds sur lui tous crocs dehors pour le percuter de plein fouet. L'obligeant à rouler au sol à cause du choc de mon propre corps. Je ne lui laisse pas le temps de se relever, tombant sur lui de tout mon poids et plantant mes crocs dans son échine pour ensuite prendre appui sur mes antérieures et le relever par la peau du cou, l'attirant à moi avant de le relâcher et de faire un écart en arrière pour m'éloigner de la berge. Il ne s'agit pas de le noyer, même si il mériterait sa mort s'il ne savait pas remonter seul. Je remonte un peu plus haut, où l'eau ne risque pas de nous emporter dans son sillon violent, et je fais face à mon frère de meute, mon adversaire du jour. Mes babines toujours étirées par ce rictus moqueur, je le toise de longues secondes en silence, comme si j'attendais qu'il s'énerve ou fasse le premier pas. Mais en réalité, je le jauge. Vaut-il vraiment le coup de se donner cette peine ? Ou suis-je en train de perdre mon temps ?

- Je propose un corps à corps, pour commencer.

Oui, il l'aura sans doute deviné. Mais je préfère le dire de vive voix, pour qu'il imprègne que c'est seulement "pour commencer" ...

Quelques secondes, c'est tout ce qu'il faut au mâle immaculé pour se jeter sur moi. Je ricaine en me satisfaisant de la colère qui point déjà dans son regard, et de la rage qu'il met à l'ouvrage pour me dominer à son tour. Je termine sous lui, et malgré sa masse bien inférieure, il sait se placer de manière à m'empêcher tout mouvement. Il me faut balancer mes postérieures sous son abdomen pour parvenir à me dégager de lui, et même de la sorte il m'est grandement difficile d'enfin me dégager. Je gronde, me redresse, plonge mes crocs sous sa gorge et remonte pour capturer sa mâchoire inférieure que j'enserre entre les miennes avec une force brutale, comme s'il était un véritable ennemi. Je me contorsionne pour parvenir à me relever et lui faire face, et sans lâcher sa mâchoire inférieure, j'avance tout contre lui pour l'obliger à se plier sous ma force. Je le contrains de se soumettre pendant plusieurs secondes avant que ses antérieures ne viennent violemment faucher les miennes. Mes crocs ripent sur sa mâchoire mais je lâche ma prise malgré tout, et lui laisse contre mon gré une occasion de revenir à la charge. Je me plie en deux malgré tout, attends qu'il arrive et percute son poitrail de toutes mes forces en redressant violemment la tête, avant de tourner le cou pour capturer son encolure entre mes crocs. Tirant violemment en arrière et l'obligeant à tomber sur moi, je me sers de mes postérieures comme d'un balancier pour le faire passer par-dessus moi et j'écrase son corps sur le sol avant de rouler sur moi-même pour me porter au-dessus de lui et de plonger mes mâchoires vers son visage, maintenu à quelques centimètres de ce dernier par la seule force de ses antérieures malgré tout bien musclées.

Je me retrouve bloqué dans une racine en une fraction de seconde, dès lors incapable de me sortir de cette mauvaise passe alors que l'autre mal se met à galoper dans l'autre sens. Un danger ? Abandonne-t-il là l'un de ses compagnons de meute ? Mais non, j'entends la voix de l'animal qui résonne à mes oreilles. Si je sais courir ? Je m'arrache à l'emprise de la racine et je me tourne vivement dans sa direction pour voir son arrière-train s'éloigner à grande vitesse entre les arbres. Je me projette en avant, propulsant mon corps par la force de mes pattes postérieures et frappant le sol de mes antérieures pour faire de plus grandes foulées avec l'espoir de le rattraper plus vite. Il est rapide malgré tout, et il est visiblement déterminé à me semer. Mais je cours avec hargne, m'accrochant à ma propre rage de vaincre pour le rattraper à mesure que mes foulées se suivent et que les siennes le portent le plus loin possible de moi. Soudain, je disparais de son sillage. Je vire brutalement à droite et je coupe à travers les bois, anticipant sa destination. C'est dans un virage à quelques centaines de mètres de là que je bondis par-dessus un buisson pour le percuter de toutes mes forces, l'envoyant rouler au sol et valsant moi-même dans la terre pendant quelques secondes avant de parvenir à me relever pour lui faire face. La fatigue nous gagne, je reprends difficilement mon souffle.

- Je crois qu'on est bons pour aujourd'hui.

En fait ce n'est pas une proposition, je n'ai pour ma part pas l'intention de continuer.