Mes pattes foulent les terres cendrées, je suis en chasse après avoir repéré l'odeur d'une proie potentielle, sûrement passée par là il y a quelques heures tout au plus. Je connais bien les lieux, je ne quitte jamais vraiment la zone de confort que je me suis faîte. Les terres du nord me semblent sombres alors que de faibles rayons traversent les feuilles restantes. Je me concentre au mieux pour la chasse et ne remarque pas la présence qui semble s'approcher. Même si c'était le cas, je n'en ai cure, ça ne serait pas la première fois que l'on me traque aussi et je cours vite maintenant, je n'ai plus besoin de me tapisser au fond d'une tanière sombre. Finalement un craquement se fait entendre et mes oreilles se tournent en sa direction. Une voix ?

Je me mets en position de défense dos courbé et oreilles couchées, abandonnant ma piste tant pis pour cette fois. Je n'aime pas me battre, mais cela arrive quand même alors autant savoir le faire. J'essaye de regarder autour, voir si ce n'est pas une meute qui m'aurait prise par surprise. Non, je l'aurai senti beaucoup plus tôt, mais pourtant il dégage plusieurs odeurs, donc il ne vit pas seul. Finalement l'individu noir finit par se présenter. Lorsque mes yeux se plongent dans les siens, quelques souvenirs me reviennent. Cela me semble si vieux et si proche à la fois ?

» Je .... Je suis Akasha.

Je me redresse finalement, adoptant une position normale et oreilles droites. Différents sentiments déferlent en moi, beaucoup trop pour que je puisse les identifier réellement. Mon coeur bat vite, mais j'essaye de rester calme. Que devrais-je faire ? M'approcher ou partir ? J'ai longtemps imaginé cette rencontre, j'ai cherché ce loup durant des lunes. Il m'a donné la force de vivre ma vie et le désespoir de la mort de ma mère à la fois.

» Je voulais te remercier... Pour m'avoir sauvé.

Je m'approche de lui doucement, testant le terrain en essayant de voir s'il a une once d'agressivité ou non et finalement colle ma tête contre son cou dans une caresse et lui lèche deux ou trois fois avant de me reculer.

Le mâle ne me repousse pas lorsque je m'approche pour le remercier, bien qu'il semble se crisper un peu. Cela ne me dérange pas, je sais que nous ne sommes pas tous aussi tactile que je peux l'être par moment. Je trouve même qu'il réagit bien.

» Je ne me force pas

J'hoche la tête de gauche à droite, rien ne m'y oblige. Si je ne voyais pas l'intérêt de le faire je ne le ferai simplement pas. Finalement Kobalt me demande si j'arrive à m'en sortir, chose qui me fait doucement rire tandis qu'il m'invite à marcher à ses côtés. Je le rejoins, me mettant à sa hauteur. Je ne sais pas trop comment me comporter avec les loups de meute. Devrais-je me mettre un peu plus en arrière ? A vrai dire, je ne connais pas vraiment le système de soumission. Je suis bien trop seule pour cela.

» Eh bien, je suis vivante. Je suppose que cela veut dire que je m'en sors relativement bien pour l'instant.

J'esquisse un sourire sincère. Je n'aurais probablement pas eu la force de vivre sans lui à l'époque. Cela me paraît tellement loin dans ma mémoire de louve, j'étais tellement jeune et inconsciente à l'époque, bercée d'illusions. Aujourd'hui ce n'est plus le cas. J'avance, qu'importe ce qui se dresse devant moi.

» Et toi ? Je veux dire, je crois que tu n'avais pas exactement la même odeur dans ma mémoire. Tu paraissais plus... seul ?

Je ne trouve pas le mot approprié, j'ai bien peur que le mot sonne comme un jugement négatif, ce qui n'est absolument pas le cas dans ma tête.

» Je veux dire, sans méchanceté aucune, tu as trouvé une famille ?

Mon sourire se mélange de chaleur et de tristesse, faisant écho à ma propre solitude familliale depuis que mes frères et soeurs sont partis il y a bien longtemps. Peut-être qu'eux aussi sont morts, qui sait. Je ne me fais pas de faux espoirs ni aucunes illusions. Le monde dans lequel nous vivons est rude, bien trop pour nous autres Loups. Vivre dans l'attente de fantômes est un risque bien trop fou et risqué, je ne me suis jamais enfermée la dedans depuis qu'il m'a sauvé.

J'écoute Kobalt me faire le récit de sa nouvelle vie. Devenir père ? Wow, cela doit être une sacrée expérience ! Le mélange d'impatience et d'angoisse doit être un sacré cocktail d'adrénaline avec ses hauts et ses bas, sans parler de l'amour qu'il faut pour porter ce cadeau dans ce monde devenu si obscure et malsain. Finalement, il me parle d'une meute... Non d'un groupe plutôt, une sorte de famille spirituelle accueillante et libre de décision. Le loup noir me parler de la rejoindre, ou de me trouver éventuellement quelqu'un. L'idée en soit n'est pas déplaisante, j'y ai souvent pensé, mais pour l'instant c'est impossible.

» Dans d'autres conditions j'aurai sûrement accepté. Mais, j'ai pour l'instant des projets qui nécessite la solitude.

J'ai surtout besoin de me prouver à moi-même que je suis capable de vivre seule, que je ne suis pas simplement un boulet qu'on traîne lourdement. Je dois être capable de survivre et trouver qui je suis, ce que je veux réellement. J'ai besoin de ça pour ne plus me sentir tirailler entre deux mondes. Je tourne la tête vers Kobalt. Je lui souris chaleureusement, je suis vraiment heureuse de le revoir et de constater que sa vie évolue dans le bon sens.

» Mais je garde ça en tête pour le moment venu, promis. Sais-tu combien de petits ta femelle attend ? Est-ce pour bientôt ? Tu dois être excité au fond de toi !

C'est vrai que le mâle semble calme, bien trop selon moi. Je me penche à mon tour pour m'hydrater à la rivière avant de m'asseoir. J'examine le territoire autour de moi, puis Kobalt en penchant la tête. Je ne comprends pas comment il peut rester ainsi, paisible. Moi je suis toujours à l'affût de tout ce qui m'entoure. J'imagine qu'en attendant des bébés cela serait bien pire. J'adore les petits, je n'ai jamais eu un tempérament très calme quoiqu'il arrive, je suis et demeure une grande enfant. Cela à ses avantages et ses inconvénients. Maman disait souvent que je serai difficile à supporter pour un mâle plus tard.

Kobalt me raconte ses impressions vis à vis de sa paternité. Je l'écoute calmement, les yeux fixés sur l'eau qui s'écoule paisiblement dans son nid. Il ne pensait pas devenir père et d'après ce que je peux ressentir, je sens l'excitation et l'angoisse. J'esquisse un sourire discret. Peut-être que moi aussi un jour, je serai mère à mon tour et je pourrais ainsi ne pas commettre les mêmes erreurs que ma mère. Mais pour tout cela, il faudrait peut-être que je rencontre d'avantage de mes congénères.

» Je pense très sincèrement que tout les parents font des erreurs c'est ainsi. Nous ne naissons pas avec un talent inné pour la maternité ou la paternité. Mais, ainsi tu apprendras et ne répétera pas ces fameuses erreurs. Peut-être même qu'elles seront si infimes que tu ne les remarquera pas. Le plus important est que tu sois en accord avec toi-même et ta femelle.

Je lève les yeux vers lui et lui sourit chaleureusement. Je suis heureuse de voir que dans ce monde il y a un peu de bonheur et d'amour malgré toutes les horreurs qui se passent. Mon tour viendra un jour, j'en suis sûre.

» Je suis vraiment très heureuse pour toi Kobalt. Tu n'imagines pas à quel point cela me réchauffe le coeur. Félicitation, vraiment.

Et je suis on ne peut plus sincère, je trépigne littéralement en imaginant de petits êtres courrir partout autour de lui et le rendre à moitié fou. Je ne peux m'empêcher de rire à cette idée et lui fait par de mon imagination. Je l'imagine parfaitement dans le rôle de père, je crois qu'il sera très bon pour tenir ce rôle. Je sais au fond de moi qu'il est quelqu'un de bien.

» Si toi et ta femelle acceptez, j'aimerai peut-être passer un de ces jours pour voir votre portée et féliciter ta dame de vive voix. Je sais que vous serez heureux et je vous souhaite sincèrement tout le bonheur du monde avec vos bébés.

Je me mets dans l'eau pour prendre une sorte de petit bain, rafraîchissant ainsi ma fourrure et mon mental. Cela fait un bien fou, j'aime beaucoup l'eau depuis que je suis petite. Je m'ose à mettre un coup de patte de l'eau dans l'espoir d'éclabousser Kobalt en riant. Après tout je suis jeune et joueuse et j'espère que cette petite folie lui fera oublier son angoisse quelques secondes.