Mambo s'était éloignée de son territoire dans l'espoir de trouver quelques remèdes. Elle pourrait, par la même occasion, se changer les idées loin de son territoire nouvellement envahi par les Meutes. Il semblait désormais interdit de finir sa misérable vie dans un semblant de tranquillité, loin de l'agitation et des rivalités.

La vieille louve pestait sans cesse, marmonnant des paroles incompréhensibles tout au long de son chemin. Elle trainait derrière elle sa vieille patte blessée qui semblait ne plus se remettre. Mambo maudissait tout ce qui lui passait par la tête: la vieillesse, la paresse, la maladie, les Meutes, ce monde désolé, les Hommes.

Rien ne semblait la distraire ces derniers temps, sauf peut-être son tout nouvel apprenti. A part ça, elle restait plongée dans des humeurs noires.

Alors qu'elle passait tout près de la Cabane du chasseur, un endroit qu'elle essayait d'éviter le plus possible en raison de la présence d'humain, elle entendit des hurlements.
Iris Vaudou qui d'habitude s'enfonçait profondément dans la forêt en quête de tranquillité, avait longé un ancien Chemin Noir  afin d'éviter les plantes trop encombrantes. Elle vit juste à temps deux lumières aveuglantes se profiler à l'horizon et se cacha derrière un buisson, avec la rapidité que lui permettait ses vieilles pattes. L'engin qui, d'après ses souvenirs s'appelait une voiture, passa tranquillement et disparut dans des bruits de pétarade assourdissants.
Maudits humains pesta-t-elle intérieurement.
Elle continua son chemin et entendit de nouveau les hurlements. Elle se figea et mobilisa son ouïe afin de localiser la source du bruit. La cabane.

Demandant un effort supplémentaire à son vieux corps, elle finit par aborder un grand trou, jadis recouvert de fausses plantes, qui donnait quelques mètres un peu plus bas. Dedans: une jeune louve blanche. Mambo reconnut immédiatement un des pièges humains dans lequel elle avait bien failli mourir, étant jeune.

Elle se pencha précautionneusement et scruta l'inconnue avec une certaine curiosité mêlée à un méfiance acquise au fil de sa vie.

« Je peux savoir ce que tu fais par ici, jeune imprudente ? dit-elle de sa voix râleuse. Tout le monde sait que par ici les bois sont truffés de ces sales pièges humains. »

La jeune louve semblait agacé du caractère râleur de la guérisseuse, ce qui n'affecta en rien cette dernière.
L'étrangère ne pouvait pas faire la maligne, d'où elle était. La solitaire la fixa sans un mot de ses yeux dorés.

« Oui, mais là peux-tu m'aider, après ça je t'expliquerai ce qui s'est passé. »

Mambo releva la tête, indignée. Comment cette étrangère se permettait de tutoyer une ainée qui, de surcroît, lui était inconnue ?  Et quel intérêt tirerait-elle du sauvetage de la louve blanche ? Rien du tout, certainement. Juste une occasion de se faire repérer lors du retour des Hommes.

Peu impressionnée par les grognements de son interlocutrice, Iris Vaudou se contenta de dire d'une voix lasse:

« En quel honneur t'aiderai-je, Esobek égarée ? Je suis une solitaire qui ne doit rien à personne. Je n'ai pas à assumer les erreurs des jeunes loups de Meutes qui tombent stupidement dans les pièges Humains. »

Elle dit ça comme pour s'en convaincre elle-même. Cependant, au fond, elle savait qu'elle n'était pas capable d'une telle cruauté et de laisser un loup se mourir au fond d'un misérable trou. Un ennemi commun rassemble parfois les pires ennemis. Voila ce que Mambo pensait souvent, même si elle aimait sa solitude et que pour rien au monde elle ne se serait mêlée à l'une des deux Meutes.

La guérisseuse attendit cependant la réponse de l'inconnue, avide d'entendre sa répartie.

« Parce que cela fait partie de l'entraide et je ne crois pas que vous ayez envie de me laisser mourir là. Puis, je crois que vous allez le faire, parce que vous serez heureuse qu'on vous fasse la même chose, si vous viendrez à être dans une situation semblable. »

Mambo écouta attentivement, sans rien laisser paraître. Son visage impénétrable semblait juger s'il était bon ou non d'aider cette louve.
Dans une vaine tentative d'évasion, l'inconnue prise au piège ne réussit qu'à se faire mal.

« De plus est, je crois m'être fait mal aux côtes en tombant. »

Ca, Iris Vaudou le savait déjà. Peut-être était-ce dû à son prétendu troisième oeil, mais la guérisseuse savait instinctivement quand son interlocuteur était blessé ou non. Chose sûrement dû à des années de pratique.

« Pouvez-vous m'aider svp? Je vais vous remercier et en guise de ma gratitude et pour vous le démontrer, j'irai vous chasser quelque chose. Est-ce que cela vous convient comme marché? »

La guérisseuse marmonna des paroles incompréhensible puis, sans rien cacher de son agacement, elle répliqua:

« J'admire ta témérité, jeune louve. En d'autres circonstances, je n'aurai pas laissé quelqu'un me parler ainsi. Mais vu l'état dans lequel tu te trouves,(elle montra le trou d'un geste de la tête), je vais t'aider à sortir d'ici. »

Elle, se retournant et s'effaçant temporairement du champ de vision de la louve blanche, elle s'approcha des arbres à la recherche de lianes ou de quelque chose qui y ressemblerait. Ne cessant de marmonner des paroles sur un ton râleur, ses recherches finirent par porter leur fruit et elle revint auprès du trou munie d'un épaisse liane qu'elle jeta aux pattes de la louve Esobek.

« Prend-la entre tes crocs, je vais tenter de te hisser. Dis-moi quand tu es prête. »

Elle disparut à nouveau et et fit le tour de l'arbre le plus proche, se munissant ainsi d'une aide supplémentaire. Elle prit l'extrémité opposée dans sa gueule et attendit le signal de la louve blanche. Il ne restait plus qu'à voir si ses faibles pattes tiendraient le coup.

La guérisseuse attendit, le corps tendu, les pattes raides et campées, les oreilles droites et attentives. Dans ce genre de situation, on pouvait facilement faire abstraction de son âge et de son statut. Elle ressemblait à n'importe quelle louve dans la force de l'âge avec, tout de même, un petit truc en plus. Enfin, c'est ce qu'elle aimait à penser.

« Je suis prête. Tu peux commencer à me hisser. »

Dès l'entente du signal, Mambo commença à reculer, gardant la liane solidement fixée entre ses crocs. Ses pattes se tendirent avec toute la force dont elles pouvaient faire preuve et tout son corps se ramassa vers l'arrière. La guérisseuse entendit une symphonie de grattements et de couinements d'efforts.
Iris Vaudou tournait le dos au piège mais elle espérait que sa force suffirait à hisser l'étrangère du large trou et que la liane ne cèderait pas.