Nos territoires ont été ravagés par les hommes, massacrés par leurs bombes et leurs immenses tanières de métal mouvantes. Je suis triste. Triste pour ceux que nous avons perdus. Mais je suis aussi et surtout en colère. Parce qu'ils n'ont pas seulement attaqué nos terres. Ils s'en sont pris à nous, aux nôtres, et à nos louveteaux tout autant qu'aux adultes forts et braves. Ils cherchent à nous détruire, ne savent visiblement pas que nous sommes au moins aussi combatifs et entêtés qu'ils peuvent l'être. Ils ne comprennent pas qu'ils ne pourront nous soumettre sans que nous l'acceptions, et que nous ne l'accepterons jamais. Ils espèrent faire de nous des êtres inférieurs, soumis et dressés par la peur. Mais nous ne sommes pas des chiens, nous sommes des loups et nous demeurerons indomptables jusqu'à l'extermination de leur race, ou de la nôtre. Alors que je fais ma ronde habituelle sur les restes de la dune de sable, je remarque l'odeur d'un loup qui ne fait pas partie des miens. Bien, en tant que Sentinelle mon rôle est d'autant plus important maintenant que les terres perdent de leur taille et de leur victuailles. Je dois protéger les frontières. Aussi, je suis l'odeur inconnue en longeant la crête que j'ai pour habitude de suivre lors de mes heures de surveillance, et je découvre rapidement le propriétaires des effluves étrangers aux miens. Je l'observe quelques secondes, fouinant dans le sable à la recherche de quelque chose. S'il espère voler de la nourriture, il va vite être déçu. Nous n'avons plus rien. Nous sommes dénués de toute proie depuis l'attaque des hommes. Il me remarque, j'avance lentement à sa rencontre alors qu'il s'arrête de fouiller et me regarde, m'attend.

- Avant toute chose, je m'appelle Kobalt... J'ai l'autorisation d'être ici, suite à un accord avec votre Alpha Helya. Au cas où vous ne seriez pas au courant, bien sûr.

- Et as-tu l'autorisation de fouiller nos terres ? La présence ne justifie pas le pillage, Kobalt.

Je les observe, lui et son sourire hautain, suspicieuse de son honnêteté. Mais si, il est probable que sa présence en ces lieux soit tolérée. Helya a parlé d'un petit groupe de solitaires avec qui elle a passé un accord. Je ne connais pas tous les termes du contrat, mais je sais que ma Leader haie les Mercenaires et qu'elle fera tout son possible pour ne pas s'allier à eux.

- D'ailleurs, n'est-ce pas risqué pour une louve seule de se promener par ici, avec les Hellhounds et les Hommes qui traînent dans les alentours ?

- Me penses-tu stupide, ou bien faible ?

Parce que quelque soit sa réponse, s'il le souhaite, je peux lui démontrer qu'il se trompe. Je ne suis pas si acerbe d'habitude. Il arrive seulement au mauvais moment : je suis en colère contre le monde entier pour son injustice et la rudesse de nos existences. Je m'avance pour le rejoindre d'un trot lent mais mesuré, fier, parce que je suis une Sentinelle et que je suis, en soit, l'image de la meute.

- Pourquoi pas un peu des deux ?

Je retrousse les babines, le menaçant clairement de passer à l'acte et ce, malgré tout accord passé avec mon Alpha. Tolérer un étranger sous ordre de Helya oui, mais me laisser marcher dessus par un mâle condescendant et pathétique, jamais. Je reste pourtant silencieuse, plissant les yeux sans faire retomber mes babines sur mes crocs menaçants.

- Ne le prend pas mal, mais je doute que tu puisses faire grand chose contre un Hellhound ou son maître, seule. Mais au moins, tu as l'air plus courageuse que le Navnik que j'ai pu croiser dernièrement. Un vrai lâche celui-là.

- Tu as un droit de passage, pas une immunité diplomatique. Surveilles tes propos, étranger.

- Dommage que le courage conduise la plupart des loups à leur perte. Ton Alpha m'a engagé pour protéger les Navnik en cas d'attaque humaine. Nous sommes donc collègues, d'une certaine manière, la Sentinelle.

Pour protéger les Navnik ? Est-ce une plaisanterie de mauvais goût ? Le mâle ne me plait guerre, pas plus que sa sale manie de parler plus que nécessaire. Si Kuro était là, le dénommé Kobalt ferait nettement moins le fier. Je gronde cette fois pour accompagner mes crocs à découvert.

- Qu'on soit clair, tu n'es rien pour moi. Je ne te raccompagnes pas sous ordres de ma Leader, mais ton existence ne m'importe pas, et je n'aurais cure de ta vie si nous sommes attaqués.

Pourquoi suis-je si mauvaise, moi qui suis d'ordinaire si douce ? Je me fais la réflexion mentalement, et pourtant je me vois incapable de me calmer, de me détendre. Non, c'est indéniable, je ne l'aime pas.

Je le dévisage avec hargne, me demandant si je dois me retenir ou si je peux outrepasser les règles imposées par la Leader pour lui sauter à la gorge. Je crois que ce n'est pas tant ma loyauté que mon objectivité qui m'empêche de l'attaquer. Je suis trop faible, bien trop faible. Alors, dans un grondement senti du plus profond de mon être, je le fixe durant de longues secondes sans plus relever une seule de ses paroles. Et, puisque monsieur le solitaire se sent supérieur, puisqu'il est persuadé que son rôle de protecteur des Navnik est plus utile au monde que mon rôle de Sentinelle, alors je le laisse dans ses rêves idylliques et je lui tourne le dos pour m'éloigner, rejoindre ma meute, les membres de ma famille d'adoption. Si mon frère était là, ce mâle arrogant et ignorant serait déjà mort.