Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Cela faisait longtemps que Saphir hésitait à aller voir Zwey, le loup était désormais Général et elle, elle était toujours une apprentie qui tentait, malgré les évènements, de passer Sentinelle et surtout de ne pas perdre espoir. Elle avait toujours cette idée qui trottait en tête, celle d'aller voir Zwey et de lui demander un "entrainement", pourquoi ? Juste pour passer du temps avec lui... A vrai dire il était des plus distants en ce moment et la brune avait de plus en plus de mal avec ça même si elle n'osait guère se l'avouer... Rabattant alors ses oreilles elle passait entre les tanières "improvisées" des loups de la meute avant de se diriger vers un espèce de monticule où elle espérait croiser Zwey. Elle savait qu'avec le manque de nourriture que le mâle allait rôder dans les alentours et surtout, qu'il allait passer par là... Pourquoi ? Parce que cette petite hauteur offrait une meilleure vue sur les landes que les autres coins de la région, et en effet au bout de longues minutes elle apercevait son mentor.
-Bonjour Zwey !
Elle s'était alors dirigée vers lui d'un air relativement enthousiaste, elle n'en pouvait plus de ne pas lui parler et surtout de cacher ses sentiments à son égard... En parlant avec sa soeur Angel, elle avait très bien compris qu'elle avait un attachement profond pour son mentor, ceci s'apparenterait même à de l'amour pour lui. Mais devait-elle lui avouer tout ça ? Elle ne savait pas, de toute manière aujourd'hui elle voulait juste lui parler, être à ses côtés et sentir sa présence, entendre son sarcasme qui ne plaisait pas à tout le monde et surtout le voir râler... Oui, elle aimait tout chez lui, excepté le fait qu'il était dans la capacité de cafter des choses sur la meute mais pour le moment elle préférait ne pas penser à cette scène là. Pourquoi ? Parce qu'au fond elle se sentait coupable de ne rien avoir dit aux autres, à ses supérieurs et Zwey avait quant-à lui été récompensé et nommé Général... Remuant légèrement sa truffe elle chassait ses idées noires de son esprit se contentant de fixer le grand loup brun, attendant d'avoir une réponse de sa par pour savoir si oui ou non c'était le moment pour l'accoster.
Faute d'un quelconque truc utile à faire, Zwey reprenait ses vieilles habitudes. A savoir, faire semblant de travailler. Ce qui était déjà studieux en soi, puisque c'était plus ou moins le job quotidien des sentinelles - mais peu d'entre elles, cela dit, l'avaient compris. En même temps, rester assis sur un rocher aux abords du camp temporaire la moitié de la journée pour s'assurer qu'aucun vilain cabot ne se pointait à l'horizon, il y avait plus fatiguant comme boulot. Parce que oui, Zwey reprenait peut-être ses habitudes de sentinelle, mais ce n'était pas pour autant qu'il allait s'amuser à crapahuter joyeusement autour de leur territoire - enfin, ce qu'il en restait - pour le plaisir d'épater la galerie. C'est qu'il était handicapé, lui, merde ! Fallait pas l'oublier non plus. Bref. Le général était donc à son poste, solide comme un roc, en train de songer qu'on aurait dû lui décerner une médaille pour son assiduité, lorsque le vent tourna et lui apporta l'odeur de Saphir, ainsi que les accents de sa voix :
« Bonjour Zwey ! »
Les oreilles du loup brun pivotèrent dans un bel ensemble en direction de l'apprentie aux longues pattes. Puis le reste de sa tête, et son regard noisette scrutateur :
« Oh. Tiens donc. » Fit-il comme s'il avait été surpris de la visite, sans prendre la peine d'en avoir l'air.
Ses contacts avec la jeune louve étaient de plus en plus rares. Depuis sa sortie du laboratoire des hommes, à vrai dire - sans doute qu'il avait tendance à l'éviter d'instinct, comme il évitait tous les ennuis. Parce que oui, Saphir était un problème. Saphir l'avait vu avec Koschei, elle savait, et elle pouvait le balancer à tout moment. Pour cette raison, Zwey avait tendance à ne plus la côtoyer que lors des entraînements - arrêter tout simplement de l'entraîner aurait été évidemment plus que suspect. Cependant, il sentait que ce n'était pas la meilleur tactique à adopter. La jeune esobek avait de l'admiration, du respect et de l'affection pour lui. Elle écoutait ce qu'il disait. Elle le croyait. Elle lui avait promis de ne rien dire à personne. Et il devait se servir de cette affection.
Zwey observa un moment sa jeune apprentie. Elle avait encore grandi. Ses longues pattes auparavant disproportionnées paraissaient désormais tout à fait à leur place sur son corps. Les batailles l'avaient endurcie, physiquement comme mentalement, et ce même en l'absence de son mentor. Le général ressentit une bouffée de fierté, immédiatement suivie d'un souvenir cuisant : Le sentiment de peur et de fureur ce jour où il avait retrouvé son apprentie criblée de balles au côté d'une guérisseuse inconnue, dans la neige, immédiatement après qu'on l'ait libéré de sa cage. C'était en cela, réellement, que Saphir était un problème. Zwey l'avait vue grandir. Il lui avait tout appris. Elle aurait tout aussi bien pu être sa fille - mais elle n'était pas sa fille. Loin sous sa fourrure d'égoïste, cachées là où il aurait préféré les oublier, il y avait son affection pour elle, il y avait leur complicité. Il y avait aussi cette fidélité malsaine dans laquelle il avait, sciemment, enfermé l'apprentie lorsqu'il lui avait ordonné de mentir pour lui. Zwey battit des paupières. Il était tordu. Puis il lâcha un large bâillement.
« Qu'est-ce qui t'amène par ici, ma cigogne ? » Demanda-t-il en s'installant plus confortablement dans l'herbe.
Elle attendait là, plantée devant lui. Pour une fois il ne l'avait pas évité comme il avait l'habitude de faire depuis sa sortie du laboratoire... Qu'avait-il rencontré là-bas ? La jeune louve aurait voulu savoir, le lui demander mais elle savait qu'elle ne pouvait pas faire ça d'entrée de jeu. Installée devant lui elle observait chaque parcelle de sa fourrure brune, le Général n'avait aucunes blessures visibles exceptée sa vieille cicatrice à sa patte arrière ce qui le faisait boiter et ce qui faisait de lui ce qu'il était au passage. Plaquant légèrement ses oreilles à la demande du grand brun la jeune louve cherchait à se justifier, que pouvait-elle bien lui répondre ? Après tout elle était venue le voir par simple plaisir... Envie surtout... Il lui manquait affreusement et une "force" l'obligeait à vouloir être plus présente aux côtés de son mentor mais elle ne pouvait pas lui dire ça de la sorte, non, elle ne pouvait pas lui avouer qu'elle avait besoin de lui.
- J'avais une question par rapport à un de mes entrainements... Celui avec l'autre apprentie sentinelle.
Un mensonge, voulait ce qu'elle venait de balancer. Elle était parvenue à mentir sans fuir le regard de son mentor, sans batailler sur la formulation de sa phrase, pour une fois elle était parvenue à mentir correctement. Est-ce-qu'il allait s'en rendre compte ? Peut-être, mais que lui dirait-il de toute manière si il s'en doutait ? Peu importe, de toute façon elle avait réellement une question, pourquoi les avait-il emmené dans les marécages avec un foutu crocodile ? Bon Zwey était tordu... Ça ce n'était pas nouveau, mais quand même ! Midnigth qui était de base moins entrainée qu'elle aurait pu se faire dévorer par le reptile. Soufflant légèrement du museau elle toisait les alentours du regard comme si elle avait peur que quelqu'un ne vienne à leur rencontre, cette fois-ci elle voulait-être seule avec le brun, point final.
L'apprentie sentinelle agissait de manière étrange. Tantôt elle se tenait droite et apparemment détendue, tantôt elle jetait des coups d’œil aux alentours ; mais elle ne cessait de soutenir le regard du brun. Et, chose remarquable, elle ne pianotait pas des pattes sur le sol ou ne cachait pas la queue entre ses pattes comme elle avait autrefois l'habitude de le faire chaque fois que son mentor lui adressait la parole. Intérieurement, Zwey sourit. Elle avait finalement appris à s'affirmer. C'était en soi une victoire, une grande pour elle, et aussi une petite pour lui. C'est qu'il l'avait tout de même jetée entre les pattes de chiens errants pour en arriver à ce résultat, lui. Il était une créature incroyablement ingénieuse, ne l'oublions pas.
« J'avais une question par rapport à un de mes entraînements... » Commença Saphir, « celui avec l'autre apprentie sentinelle. »
Zwey ne s'attendait pas à ça. Enfin, pour être honnête, il ne s'attendait pas à grand-chose en réalité. Les loups avaient tendance à déranger sa sieste pour lui dire d'accomplir telle ou telle tâche fatigante pour le bien-être de la meute - enfin, autrefois, maintenant qu'il était général il n'y avait guère que Plume pour lui secouer les puces. Mais Saphir était son apprentie, alors il se serait amusé de la voir lui ordonner de faire quoi que ce soit. Tout nouvellement affirmée qu'elle soit. Le loup brun redressa le museau, inclina la tête de côté et pointa ses oreilles rousses en direction de la jeune louve. Feignant la surprise.
« Ah bon ? Je t'écoute. »
Quelque part, cela ne collait pas. Depuis des lunes, la manière dont Saphir répondait au fait que son mentor l'évite était de se taire et d'aller s'occuper ailleurs - il était devenu rare qu'elle vienne directement à lui pour lui parler. Qu'elle le fasse soudain, et que ce soit au sujet de son entraînement avec Midnight, voilà qui interloquait le brun.
« C'est tout ce qui t'amène, vraiment ? » Sourire en coin de la part de Zwey.