Some Minds
           feat. Zrael

« You can be the butcher or the cattle ; make your choice. »

F. 92 | A. 88 | E. 92

Elle le dévisagea sans ciller. Son unique œil gris sonda la jeune louve, encore une fois, à la recherche de la moindre trace de mensonge. Mais il ne vit rien, sinon que ses deux émeraudes déterminées à lui faire entendre la vérité. Elle était sa sœur.
« Je… Si Père est avec vous… Si Père veut reprendre le pouvoir… Je serais à vos côtés. » La phrase était pleine de doutes, pleine d’hésitations. Son regard alla se noyer sur le sol désertique, et elle sembla se crisper. Evidemment, que le Dragon reprendrait le pouvoir. Il n’y avait aucun doute là-dessus. Pas de « si » admissible, pas d’indécision. Isha retournerait là où il méritait d’être, et les traîtres seraient chassés, abattus.
Mais autre que ces réflexions sanguinaires, les paroles de la louve achevèrent de convaincre Pandémonium sur la véracité de ses propos. Elle avait prêté serment, et elle s’était rallié à leur cause sans discuter, sans qu’il ait eu besoin de le demander. L’avait-elle seulement déjà vu ? Elle venait, brutalement, de changer de camp, délaissant Atom pour le Dragon. Et en cela, elle gagna la confiance de Pandémonium et peut-être, quelque part, une infime parcelle de son respect.

« Mon frère. » Brutalement, il sentit sa présence, tout près de lui. Sa chaleur corporelle qui s’emmêlait avec sa propre fourrure, et son souffle tiède sur son museau, à lui. Un frisson parcouru le corps de Pandémonium, de la tête jusqu’à l’extrémité de la queue. Il n’avait jamais apprécié la proximité avec les autres de son espèce : le moins de contact physique possible, le mieux c’était.
Mais ce contact-ci était différent.
C’était celui d’une sœur, d’une famille, d’un membre arraché qui retrouverait son corps d’appartenance et qui s’y grefferait de nouveau. Mais ça avait une saveur supplémentaire, différente en soi. Ce n’était pas comme protéger Dalioka ou l’entraîner, comme une véritable sœur – malgré le mépris qu’il avait pu éprouver à son égard. C’était plus fort, plus étrange, plus mystique. Et lorsque son œil gris traversa la muraille verte, l’espace de quelques secondes, peut-être qu’au fond du louvard méprisant, courageux, froid et violent, peut-être qu’une once de malaise apparu. Peut-être qu’à cet instant, il se sentit gêné par la présence si proche de Zrael, et il se sentit comme tout chose, comme quelqu’un qui perd ses moyens.

Mais un Dragon ne perd jamais ses moyens. Et cette idée le traversa brutalement, alors qu'il s'écartait d'un pas, histoire de mettre un peu de distance et d'oublier cet interlude extrêmement gênant.

« Très bien, Zrael. Alors je jure ici, devant toi, de te protéger et de me battre pour toi, pour ta vie, et ce au péril de... »

Il se coupa net, s'aperçevant qu'il était prêt à lui prêter un serment qu'il avait déjà prêté à Adriel. Mais Adriel était bien au-dessus de ça. Bien au-dessus d'une Navnik qui venait à peine de faire son coming out. Pas trop vite en besogne, Pandémonium.
Un sourire ironique fendit alors sa gueule.

« J'allais dire au péril de ma vie, mais faut pas abuser. On va dire qu'il ne t'arrivera rien de méchant tant que j'te protège. »

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« Bien. » Sa voix fluette avait coupé court à toute tentative de plaisanterie. Ca ne la faisait pas rire, et elle semblait manquer cruellement d’humour à cet instant précis. Pandémonium leva les yeux – non, pardon, l’œil – au ciel en lâchant un petit soupir. Les femelles étaient drôlement bipolaires, de toute manière. Un coup vous les faite rire, un coup elles vous sautent à la gorge, puis parfois elles demeurent de glace. C’était principalement cette dernière réaction qui agaçait le jeune loup. On ne pouvait pas rester stoïque face à lui, c’était comme une insulte. Il fallait qu’il fasse réagir les gens, en bien ou en mal, mais il ne supportait pas leur indifférence. Et Zrael n’avait jamais fait preuve d’autant de froideur envers lui : elle avait toujours répondu à ses provocations, quoi qu’il arrive, et elle semblait s’être brutalement fermée, ce qui le gênait au plus haut point.
Le faciès défiguré du Dragon se ferma alors, et il reprit un air sérieux.

« Ceci étant, va falloir que je l'annonce à Adriel. », dit-il d'un ton neutre.

Il allait faire une de ces têtes, d'ailleurs. Connaissant sa loyauté envers sa propre famille, il s'en voudrait sûrement d'avoir manqué de la tuer. Il voudrait la rencontrer, la protéger. En faire quelqu'un d'important. Surtout si elle était prête à se battre à leurs côtés.
Pandémonium avait besoin de l'avis d'Adriel sur cette Oubliée qui avait pourtant du sang de Dragon. Un éclair de malice passa dans ses yeux : il ne pouvait pas s'en empêcher, en fait.

« Histoire d'éviter qu'il te tue pour de bon, la prochaine fois. », ajouta-t-il d'un ton qui se voulait froid mais dans lequel perçait une pointe de malice.

Et, la phrase qui suivit, sans aucune nuance ni forme, sans malice ni méchanceté, sans ironie mais sans sentiments, d'une froideur exemplaire, vint se loger dans la conversation sans qu'il ne l'ait décidé.

« Ce serait dommage. »

Son œil gris se logea encore une fois dans la prunelle verte, comme un regard de défi. Il avait ce besoin constant de la défier, tout le temps, sans jamais savoir pourquoi.

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Un éclair passa dans les yeux de la louve à l'énonciation d'Adriel. Il vit bien que cette nouvelle ne l'enchantait guère, mais elle n'avait pas vraiment le choix. C'était son frère, et elle devrait l'épauler aussi bien qu'elle avait promis de l'aider, lui.
« Sûrement, sûrement.. » Son ton avait légèrement changé, mais ses réponses courtes et inutiles commençaient à irriter le jeune loup. Elle s'ennuyait visiblement en sa compagnie ; il n'allait donc pas l'importuner plus longtemps. Il se leva, se dressant de toute sa hauteur face à elle, et s'apprêtait à se détourner lorsque...

« ... Fais moi un câlin. » Elle balbutia, hésitante. Elle semblait crispée de toutes parts, comme s'il elle avait peur de lui. Elle pouvait avoir peur : il était effrayant, il le savait. Mais il était son frère. Et à partir de cette idée-là, il fallait qu'elle se rentre dans le crâne qu'elle n'avait rien à craindre de lui pour sa propre personne.
Mais la demande était.. des plus saugrenues. On ne lui avait jamais ordonné quoi que ce soit qui relevait de ce type de geste. Il déglutit lentement, la regardant fixement, hésitant encore sur le comportement à suivre. Il fut tenté de se moquer d'elle, pour se sortir de cette situation gênante, mais il n'osa pas — oui, vous avez bien lu.
Il s'avança donc d'un pas, puis de deux, de façon mécanique, sans réfléchir. Il passa sa tête fine par-dessus son épaule, enfonçant sa truffe humide dans sa fourrure chaude. C'était ça, qu'elle voulait ? La même chaleur que précédemment se répandit dans son corps, la même sensation étrange mais pas désagréable pour autant.

« J'pensais pas que t'aurais besoin d'affection en plus de ça.. », chuchota-t-il dans son oreille.

C'était un simple constat. Dans sa gueule, il aurait pu sonner comme une moquerie, mais il n'en était rien puisqu'il parlait à voix basse. C'était plutôt un moyen de briser la glace gênante de cette proximité et de cet emmêlement de chaleurs corporelles.
Et puis, c'était vrai, Zrael n'avait pas le tempérament de quelqu'un qui aurait besoin de se faire cajoler.

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Etrangement, elle semblait avoir besoin de ce contact. Lui n’aurait su dire si cette idée l’aurait traversé ou non. Ce n’était pas désagréable, loin de là. Seulement, il n’avait jamais eu une telle proximité avec un autre de son espèce. Oh bien sûr, Adriel était proche de lui physiquement. Mais c’était… différent. Avec Adriel, il n’y avait pas cet arrière-goût de malaise qu’il éprouvait à l’instant présent. Pourtant, il ne voyait aucune bonne raison de bouger de cette place-là. Il était bien. Curieusement mal à l’aise, mais bien.
Elle enfouit son museau dans son encolure, comme si le monde se limitait désormais à sa fourrure. Il se sentit grand, quelques secondes. Il se sentit grandit par ce contact, il se sentit puissant. Il était responsable de Zrael, responsable de sa sécurité et de son bien-être. S’il avait eu une mère pour l’éduquer, certainement qu’il aurait eu l’idée de lui passer un coup de langue sur le haut du crâne. Mais il n’avait pas eu d’éducation, et ses interactions sociales se limitaient à des jeux agressifs ou à des moqueries. Il ne savait plus comment s’y prendre.
« Papa vient quand… ? »
Cette question le décontenança quelque peu. C’était une question qui le taraudait, chaque jour qui passait. Quand est-ce qu’ils iraient libérer Isha ? Quand ? Il trépignait d’impatience, rien que d’y penser. Mais il attendait, encore et toujours, que le jour arrive. Il laissa son regard errer dans le vague.

« J'en sais rien. Bientôt. Ça dépend surtout de quand Adriel s'estimera prêt à aller le libérer. », répondit-il sur un ton conspirateur, comme s'il révélait un secret de grande envergure.

Il attendait le moment où elle allait se libérer de son étreinte, et il se demandait quelle tête feraient les autres Navniks, en flairant l'odeur du jeune Dragon sur elle. Leikn aurait certainement un sourire malin, mais se tairait. Quant à Atom, ou encore Anya... ça risquait d'être plus compliqué.
Il se dégagea à peine, juste assez pour la regarder droit dans les yeux en conservant toutefois une certain proximité.

« Par contre, Zrael. Tu n'en parles à personne, d'accord ? A personne. Pas même à celui ou celle en qui tu as le plus confiance. Ça risquerait de tout faire foirer. »

Il ne plaisantait pas. Son œil était redevenu froid, et son ton laissait entendre qu'elle n'avait pas intérêt à l'embobiner.

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Il la scrutait avec intensité, la sondant une énième fois. Le peu de confiance qui avait semblé croître en lui semblait s’être brutalement évaporé. Elle n’était qu’une étrangère, après tout. N’avait-il pas eu tort de lui livrer si facilement ces informations capitales ?
« Promis. » Le regard vert de la jeune louve semblait sincère. Pandémonium l’aurait cru, volontiers, rien que pour se rassurer. Mais il demeurait sceptique. Il hocha lentement de la tête, esquissant un bref sourire. Ce n’était pas dans ses habitudes de sourire – enfin, autrement que de façon moqueuse. Il fit semblant de la croire. Mais il n’avait jamais cru personne. Alors, pourquoi une inconnue ?
Elle se dégagea de son étreinte, pour de bon. Quelque chose en lui voulait qu’elle reste, pourtant. Mais une autre partie lui hurlait de partir, de se débarrasser d’elle, rapidement. Elle ne serait qu’un poids dans sa progression. Mais elle était sa sœur, désormais. Il se devrait de la protéger, toujours.

« Il faudrait peut-être que je rentre. » Le Dragon approuva d’un signe de tête. Mieux valait qu’elle rentre chez elle, chez les Navniks. C’est là qu’était sa place, après tout – pour le moment. Il l’en sortirait, un jour ou l’autre. Comme il en avait sorti Ragnar’k, et Dalioka. Elle avait déjà promis son aide à sa cause, à leur cause. C’était déjà un pas vers l’avenir : elle était de leur côté.
Il la regarda une dernière fois, comme s’il avait pressenti un quelconque danger qui la guetterait, là-bas.

« Ils vont faire une drôle de tête quand ils vont te flairer, j'te le garantis. », lança-t-il avec un entrain forcé.

Oh ça oui. Suffisait qu'Helya lui tombe dessus, et elle passerait probablement un sale quart d'heure. Il songea un instant à la souffrance qu'il avait éprouvée, lorsqu'elle lui avait arraché sa vision. Sa cicatrice le picota désagréablement.

« Fais attention à toi, Zrael. Méfie toi d'Helya. Et.. d'Atom, aussi. », prévint-il sur un ton sérieux.

Il ne savait pas bien si Atom était capable de faire du mal à sa propre fille. Mais il ne préférait pas perdre ce genre de pari. Trop risqué, connaissant les rares scrupules de l'ancienne alpha. De toute façon, Zrael n'en ferait probablement qu'à sa tête.
Il tourna le dos à la jeune louve, et esquissa un bond pour s'éloigner d'elle. Il tourna la tête une dernière fois vers elle ; son œil gris était redevenu malicieux.

« Si t'as besoin.. T'as qu'à appeler. J'suis jamais bien loin. Toujours prêt à piller... », acheva-t-il d'un ton enjoué, réellement cette fois.