Ca fait des jours et des jours que maman n'est pas rentré. J'ignore ce qui se passe, ce qu'elle fait, mais je sais qu'elle reviendra. Quoique plus les jours passent, et plus je doute. Papa est venu nous chercher, aujourd'hui. Audric et moi avons fui il y quelques jours, nous sommes allés retrouver d'autres louveteaux pour jouer avec eux. Est-ce que papa sait ? Est-ce qu'il est fâché ? Est-ce qu'il va nous gronder ? C'est étrange, mais j'ai peur de ce qui est en train de se passer. Pourquoi papa nous emmène-t-il loin de la tanière ? Est-ce que maman sait où nous allons ? Il semble si distant ... Si préoccupé ... Il n'a pas l'air en colère, mais il a un regard profondément triste. Je n'ose pas lui demander ce que j'aimerais savoir. Je lance des regards incertains à mon frère, j'aimerais qu'il ait les réponses mais de toute évidence il n'en sait pas plus que moi. Je soupire, je marche derrière papa en suivant de près ses grandes et grosses pattes. Peu importe où nous allons, je sais que papa prend soin de nous en attendant que maman revienne. Alors, ne supportant plus la tension qui règne, je pousse Audric et lui envoie un sourire enjôleur. Je le pousse à nouveau, lui flanque des coups de pattes, et alors que nous nous arrêtons, je le roule dans la poussière pour lui mordiller les oreilles et grogner au-dessus de lui comme si nous étions des ennemis. C'est ainsi que les louveteaux apprennent, n'est-ce pas ? C'est maman qui nous l'a dit avant de partir. Et tant pis si nous devons nous fatiguer alors que peut-être une longue journée nous attend. Je ne veux plus supporter cette tension dans l'air, j'ai besoin de jouer avec mon frère pour évacuer le stress qui envahit malgré moi mon petit corps.

La colère de mon frère me retombe lourdement sur le museau alors que de sa force de petit mâle, il me plaque au sol en grondant. Je regarde ses crocs comme de redoutables armes destructrices, ce qu'ils ne sont pas mais dont ils ont pourtant l'air de mon point de vue, flanquée là juste sous eux. Je plaque mes oreilles sur mon crâne alors que d'une voix sèche, il me coupe complètement dans mon élan. Que lui arrive-t-il ? Ne pas jouer ? Alors que tant de stress court autour de nous ? Comment fait-il pour supporter la tension ? Mais avant que j'aie eu le temps de me redresser, une voix me fait tourner subitement la tête vers une louve blanche au regard doux.

- Je parie que tu es Koda, et toi c'est Audric, n'est ce pas ? Papa m'a beaucoup parlé de vous !

Je lance à mon frère un regard inquisiteur. La connait-il ? Et papa ? Il ne semble pas sur ses gardes, ni même un tantinet méfiant face à elle. Une louve alliée ? Une amie de maman ? Oui ce doit être ça ! Nous allons retrouver maman, qui était en fait en séjour chez son amie ! Mais déjà, papa prend les devants, nous présente son amie, parce qu'elle n'est finalement pas celle de maman. Si mon regard s'était illuminé de joie à l'idée de retrouver maman, voilà qu'il se charge d'un doute profond et d'une pointe de tristesse. Maman a disparu. Maman ne reviendra pas tout de suite, et nous ne vivrons plus chez nous. Parce que chez nous, désormais, c'est vide. La tanière où nous sommes nés est vide, et personne ne nous y attendra plus. Je m'arrête, observe en silence, n'ose fixer mon regard sur personne.

- Je sais que sa va être difficile, mais on va surmonté cette épreuve d'accord ? Anya, je vais les accompagner avec eux, et je resterais chez les Nav le temps qu'il faudra ...

"Chez eux" ? Mais il a dit ... Je pose sur mon père un regard désemparé. Tu as dis que nous resterions ensemble ... Pourtant je garde le silence, j'attends que les choses se passent, je guette les mouvements de mon frère. S'il les suit, alors je le ferais. Mais j'ai peur, soudain. Peur de voir mon père suivre ma mère. Peur qu'il disparaisse. Qui sont les "Nav" ? Qui est Anya ? L'apprentie de papa ? Mais alors n'est-elle pas de notre famille ? Ne sommes-nous pas du même monde ? Je manque d'air. Dans ma tête, les pensées s'emmêlent et les questions tournoient. Je ne sais plus qui écouter, quoi entendre et pas davantage quoi en penser. Ce qui est sûr pour l'heure, c'est qu'il n'est pas temps de jouer. Audric avait raison, finalement.

HRP:

L'instinct protecteur de mon frère fait immédiatement son apparition, et le corps de Audric vient se poster devant moi. Je m'avance pour le coller, me cachant autant que possible dans sa fourrure familière et si réconfortante. D'habitude je me serais jetée sur l'occasion pour le taquiner et le pousser. Mais les circonstances sont bien différentes. Aujourd'hui, quelque chose se prépare. Quelque chose de nouveau. Quelque chose qui ne plait pas à mon frère, et qui me fait peur.

- Bien sûr, qu'on va surmonter cette épreuve.

La voix de mon frère est sèche, dure. Mais rassurante à mes oreilles alors que la peur court dans mon corps et fait trembler mes membres. Et alors qu'il se colle davantage à moi, je me sens moins seule, plus sûre, et les tremblements cessent lentement. Parce que si Papa est triste, Audric est là, et Audric est fort. Alors je me redresse, la queue entre les pattes et les oreilles plaquées sur mon crâne, et je reste collée à mon frère parce que c'est là qu'est désormais ma place.

- Alors, on va devenir des Navnik, hein ?

Déjà, la louve blanche se prépare au départ, nous lançant un regard compatissant, laissant à notre père le soin de terminer ces révélations plus que désagréables. J'observe la louve immaculée qui s'éloigne et je lance à mon père un regard perturbé, toujours aussi proche de Audric que je le peux.

- Nous allons vivre chez les Navnik avec Anya le temps qu'il faut ... le temps que vous soyez plus grand, que vous appreniez comment vivre. A ce moment là vous choisirez ce que vous voulez faire et devenir ... redevenir solitaire ? ou rejoindre une autre meute ? ce choix vous appartiendra. Rien ne va changer, je resterais avec vous, la famille s'agrandis simplement ...

Je souffle, et je réalise que j'avais retenu ma respiration depuis plusieurs secondes. Nous ne serons pas séparés. Et lorsque le temps sera venu, nous repartirons ensemble d'où nous sommes venus. Nous restons ensemble. Lorsque papa dépose une lèche sur le haut de ma tête, je tends le cou comme pour profiter un peu plus de sa chaleur, mais je me colle de nouveau à Audric dès que l'instant est passé. Il est temps d'y aller, de découvrir notre nouveau chez nous.