L a mission dont Astaroth les avait investis n’enchantait guère le chasseur. La traque de ces maudits chiens – qui pouvaient à peine être considérés comme des animaux – l’effrayait au moins tout autant qu’elle l’ennuyait. C’était donc à ça, que les Sekmets étaient réduits ? Chasser du chien sur l’ordre d’un autre chien ? Que c’était triste, que c’était dégradant. Mais Hige avait ordonné. Alors, Palladium suivait les ordres. Après tout, il n’était qu’un simple exécutant, et faire ce qu’on lui disait était bien plus simple que de prendre lui-même des décisions.

La froideur de la nuit le fait frissonner, tandis qu’il marche aux côtés de Toxic, un peu en retrait derrière Hige, qui mène la marche. Le trio avance à vive allure et dans un silence quasi-parfait ; ils n’ont pas de temps à perdre. Le lac, sur lequel se reflète l’astre lunaire, apparaît bientôt à l’horizon. Le leader ralentit progressivement la cadence, faisant bien attention à demeurer parfaitement silencieux. Dans le même mouvement, les trois Sekmets se tapissent contre le sol, observant les mouvements de trois autres « animaux », à quelques mètres de là. Trois HellHounds. Hige a donc vu juste. Elles sont là, ces saloperies de cabots. Palladium prend le temps de détailler la situation. Deux de ces sales bêtes sont de corpulence plutôt massive, largement équivalentes à celle d’Hige ou à la sienne, et bien supérieures à celle du jeune Toxic. Il met quelques instants à identifier le troisième, d’apparence plus frêle, qui se tient le cou rentré dans les épaules. Celui-ci n’a presque rien d’un terrible chien d’attaque. Non, il fait plus pitié qu’autre chose.

« […] Vous deux, vous vous occupez de celui à la mâchoire de fer. Prenez garde à vous. Je m'occuperais de l'autre. N'oubliez pas, prenez garde aux explosifs et, ne les faites pas tomber sur le dos ! Le mieux serait de pouvoir les tuer mais seulement si on en a la possibilité, sinon, les faire s'enfuir et s'emparer du louveteau. » Le regard du Pantin se porte instinctivement sur son futur ennemi. Il déglutit lentement. Même s’ils sont deux, la lutte risque d’être âpre. Le chien qui se tient là-bas dans la nuit n’est rien d’autre qu’un monstre de fer, dont la mâchoire métallique suffit à faire gargouiller l’estomac de Palladium. Un seul coup de dents de ce machin-là suffirait à lui trancher la gorge. Il n’a pas le temps de songer à d’autres pensées rassurantes que déjà, Hige sonne l’assaut.

« Vous êtes prêts ? En avant ! » Non, il n’est pas prêt. Pas prêt du tout. Dans sa tête, son corps fait déjà demi-tour au triple galop. Pourtant, il se fait violence, et parvient à bondir en avant. Son esprit recule, mais son corps avance. Toxic a bondi en même temps que lui, et tandis qu’ils chargent le second molosse à toute vitesse, Palladium a juste le temps de lâcher un ultime conseil à l’adresse du fils d’Hige.

« Si jamais le petit tente de se tirer, tu me laisses le gros et tu empêches l'autre de partir, compris !? »

Quelques foulées plus tard, c'est le choc. Rude, violent ; Palladium n'a pas ralenti. Rien de tel qu'un bon coup sur la tête pour ôter la peur qui vous ramolli les pattes. Le loup brun chancelle, mais le déséquilibre du HellHound devrait permettre à Toxic de lui sauter dessus et d'y planter ses crocs dans un endroit stratégique, sans trop d'encombre. Le chasseur n'est pas long à esquisser un bond sur le côté, au cas où le monstre aurait l'idée de planter ses crocs d'acier dans sa chair molle.

C ’est avec une facilité déconcertante que le cruel animal à la mâchoire d’acier parvient à se débarrasser de Palladium et de Toxic. Une facilité si humiliante que le loup brun tente de riposter immédiatement. Mais le comportement de l’adversaire laisse place à la surprise totale lorsqu’il se saisit du plus jeune et le tue sans autre forme de procès. Les yeux du Pantin s’écarquillent de surprise, et le chiot atterrit à quelques mètres de ses pattes. L’armure du cadavre commence à émettre des bruits stridents qui blessent les tympans du loup brun, qui recule instinctivement pour échapper à la gêne occasionnée. Le temps qu’il s’écarte, l’information monte à son cerveau : ce sale clébard va exploser ! Il n’a même pas le temps d’ouvrir la gueule pour prévenir ses acolytes que déjà, un souffle de chaleur le percute et le renverse, aussi aisément qu’une feuille morte.
[…]
Lorsque le Pantin se redresse, le monde est différent : plus aucun bruit ne lui parvient, sa vision est trouble. Il se relève en titubant, la gueule sèche, l’œil hagard. Le chien a explosé. Ses sens lui reviennent peu à peu, mais il n’entend toujours rien. Tout sent le brûlé, lui y compris : bon nombre de ses poils ont brûlé. Il analyse rapidement la situation, et constate avec horreur que Hige a été projeté à plusieurs mètres de là où il se tenait quelques secondes auparavant. Il ne bouge plus. Toxic quand à lui a été également déporté, et sa patte arrière gauche est presque à vif ; il n’y a plus de poils sur l’entièreté de sa jambe.
Son premier réflexe aurait été de courir vers Hige, mais la vision du HellHound responsable de ce carnage arrête immédiatement le Pantin dans son mouvement initial. Il tourne lentement la tête vers la bête aux crocs de fer. Son égoïsme n’a d’égal que sa stratégie, et la vision du fourbe en face de lui déclenche quelque chose en Palladium.

Quelque chose se vrille dans le crâne du Pantin, face à l’air satisfait de leur bourreau. Quelque chose éclate entre deux neurones, une facette s’échange. Ses poils se hérissent brutalement, et un grondement bestial s’échappe de sa gorge. Ses babines se dévoilent sur une rangée de crocs baveux, et son œil jaune est devenu si agressif qu’on aurait pu douter de la réelle identité du Pantin. Qu’était-il devenu à cet instant ? On n’aurait su le dire. Ce n’était plus rien qu’une bête, déterminée à tuer, une machine de guerre capable du pire, incapable de penser. Il n’avait pas besoin d’aide pour éliminer ce fléau, il le tuerait lui-même. Il n’avait plus envie que d’une chose : sentir le sang de ce salopard couler dans sa gorge.
Dans un cri sauvage, qui n’a plus rien à voir avec le Palladium que nous connaissons, le loup brun s’élance vers l’ennemi d’un bond puissant. Sans réfléchir une seconde, il le heurte de toute sa masse et parvient à le renverser sur le dos. La haine qui se répand dans tout son corps ne fait que lui ordonner de tuer, tuer, tuer, encore tuer, toujours tuer. Le Pantin s’attaque cependant – dans un réflexe intelligent – à la mâchoire de son ennemi. Il plante ses crocs à la base de la fixation, entre la chair et le fer, et tire de toutes ses forces, ajoutant un bond en arrière pour mettre plus de puissance dans la traction. Cette foutue mâchoire va se détacher, aussi facilement qu’il lui aurait arraché une oreille ! Non, le tuer ne suffirait pas. Il fallait l’humilier, comme il les avait humiliés.

► Palladium heurte le HellHound et parvient à le renverser.
► Tentative d'arracher la mâchoire de fer.