Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Une aube grise se lève sur les terres des miens. Nous traversons une période difficile à comprendre. J'ignore encore si les évènements présents sont bons ou mauvais pour l'avenir de la meute et je ne sais trop quoi en penser. Et puis, mes responsabilités de Général me pèsent. Pas pour le poids des miens que je dois protéger, mais pour tout ce que ça implique. Je ne me sens pas à ma place, comme si j'étais constamment en marge de la société. Comme si, finalement, aucun membre de la meute ne me connaissait. Du temps d'Esprit du Dragon, j'étais un chasseur hors pairs et je savais remplir ma part des tâches sans jamais faillir. Je me sentais important, utile. Hors depuis que je suis monté en grade, c'est comme si j'avais finalement disparu des rangs. Comme si j'étais devenu totalement invisible et, je dois avouer que je souffre de cette solitude forcée. Mais je ne parviens pas à me lier aux miens. Je ne parviens pas à avancer avec ce nouveau poids sur les épaules. Peut-être devrais-je demander à être rétrogradé. Mais serais-je seulement heureux si je redevenais le seul chasseur de la meute ? Non. Je crois que ce qui me manque, ce qui me pèse réellement, c'est la famille que je n'ai pas. Saiyan absent et Inka occupée avec les nombreux louveteaux de la meute, je ne suis qu'une ombre dans le décor, comme une tâche indésirable sur le tableau. Cela fait plusieurs jours que je pense à simplement quitter les miens sans même prévenir personne. Un moment que je réfléchis à la meilleure décision que je dois prendre. Mais j'ai le sentiment d'avoir encore besoin de temps. Comme l'espoir que tout puisse encore changer malgré ce ressenti désagréable et douloureux. Je soupire, m'avance sur les terres libres d'un pas lent et mesuré. Il me faut trouver un but, une raison de continuer à marcher droit. Reste encore à chercher cet objectif qui me manque. Mais alors que je pensais être seul, une odeur m’interpelle. Je relève la tête, intrigué, les sens en alerte. J'observe les environs et je guette le moindre mouvement. Je hume les effluves. Une louve. Je tourne la tête de gauche à droite et je la cherche, pour finalement la trouver là, à bonne distance, à mi chemin entre ma position et l'orée des bois. Je la surveille du coin de l'oeil, sans esquisser aucun mouvement, attendant de voir si elle va passer son chemin ou me porter un quelconque intérêt.
La fin de l'hiver approche. Les dernières neiges disparaissent pour laisser des couleurs plus vives. Mais le ciel d'aujourd'hui n'est pas clément, il est d'un gris terne, ce qui ne présage rien de bon. Pour autant cela n'empêche pas la louve de s'aventurer en territoire neutre mais inconnu. Neyraka a surtout parcouru les terres du Nord et de l'Ouest depuis qu'elle est arrivée ici mais aujourd'hui elle a décidé de descendre vers le Sud, histoire de changer d'horizons. Depuis sa conversation avec le Navnik Daante, elle se sent un peu plus légère. Le poids de son passé ne l'écrase plus autant. Elle ne saurait expliquer le pourquoi du comment. Cela a sans doute à voir avec le fait qu'il fut le premier à l'entendre. Que cela lui a fait du bien de s'épancher avec un parfait inconnu qui ne la jugera pas. Et puis de son côté à lui ce n'était pas tout beau tout rose non plus, il faut l'admettre. En cela, ils avaient un point commun. Le premier membre de cette meute qu'elle rencontre lui a semblé plutôt amical, ce qui a donné un point positif à la meute en question au passage. Puis quelques jours après les chaleurs sont arrivés et en connaissance de cause la femelle qu'elle est est restée près de sa tanière histoire de ne pas se faire importuner par quelques loups trop arrogants. Enfin, elles sont passées et donc c'est en quelque sorte la liberté retrouvée.
C'est pourquoi elle se trouve là, à errer dans un certain hasard dans ce petit bois, telle une ombre parmi les ombres, observant l'environnement inconnu qui l'entoure. Alors qu'elle trottine silencieusement, son regard est attirée par un éclat vers sa droite. Il semble être rouge et lumineux, même avec ce temps gris. Cela l'intrigue et elle bifurque en sa direction. L'éclat se multiplie à mesure que la louve immaculée s'approche sans bruits. Et bientôt elle observe à l’orée du bois une prairie rouge, couverte d'une neige qui semble vouloir résister pour ne pas disparaître. Ce tableau qui lui fait face pourrait paraître sanglant tel un champ de bataille remplit de sang mis en avant par la blancheur qui le recouvre mais non. A ses yeux, cela lui semble magnifique. Cette brillance, ce rouge l'hypnotise et l'attire sans qu'elle ne sache pourquoi. L'incite à s'approcher, à se mettre à découvert. Elle aurait presque pu y aller si un bruit ne l'avait pas fait s'enfoncer quelques peu dans les profondeurs du bois pour se mettre à couvert. Le bruit.. de pas semble se rapprocher sur le sentier qui délimite forêt et prairie. Alors elle attend que le propriétaire de ces pas apparaissent, car de toute évidence il s'agit d'un loup. Cette légèreté ne peut être que provoquer par un membre de son espèce. L'odeur qui arrive à ses narines alors que la silhouette d'un mâle se révèle à ses yeux confirme sa supposition. Il semble de taille normale et fort, avec une fourrure tricolore aux teintes rousses et cendrées, quand à la couleur de ses yeux, elle ne saurait le dire étant trop loin. Lui ne semble pas l'avoir repéré alors elle en profite pour l'observer alors qu'il se rapproche de sa position. Au vue de sa posture, il doit être dans ses pensées et à en juger par son expression à mesure qu'il se rapproche, pas des bonnes. On à tendance à se laisser aller lorsque l'on se croit seul.. Mais enfin il relève la tête en humant l'air avant de regarder de droite à gauche pour finalement la repérer. Détournant la tête un instant, la louve se rend compte qu'elle est légèrement sortie des bois sans s'en rendre compte. Bizarre. Mais très vite, elle reporte son attention sur le loup, méfiante et sur ses gardes. Pour autant, il porte une odeur qu'elle croit reconnaître, semblable à celle de Daante. Peut être font-ils partis de la même meute qui c'est? Ce serait vraiment une coïncidence énorme. Deux navniks en aussi peu de temps.. Mais celui ci est intriguant alors qu'il ne bouge pas, semblant attendre qu'elle même fasse un choix. Venir à sa rencontre ou partir. Le choix est vite fait et pour le moins inattendu lorsqu'on la connait. Le premier.
Et donc, elle s'approche de lui de sa démarche légère, sa fourrure immaculée bougeant au grès de ses mouvements accompagnée par sa queue touffue qui se balance doucement. Elle ne montre aucun signe d'hostilité. Elle se contente de le fixer de son regard bleuté. Alors que dans sa tête la question "pourquoi est-ce qu'elle n'a pas fait demi tour?" tourne en boucle dans sa tête. Elle qui fuit toutes formes de rencontres, quelque soit les âges et les sexes. Et tandis qu'elle s'arrête à une distance raisonnable, sa question reste sans réponse. Le pire étant qu'elle prend la parole la première.
- Bonjour.
Est ce que les pierres rouges aux éclats hypnotisant qui l'entourent lui ont joué un mauvais tour? Seul le temps nous le dira.
Peut-être aurais-je pu espérer croiser Inka sur ce sentier. Même accompagnée de louveteaux, j'aurais apprécié la revoir. La dernière fois me semble bien trop lointaine et elle me manque. Peut-être ai-je trop rêvé d'une opportunité malsaine. Après tout, elle a toujours rejeté mes avances. Mais difficile de tourner la page lorsque mes sentiments sont si forts. Je soupire, mais je n'ai pas lâché la louve inconnue des yeux. Un pelage immaculé. Elle se fondait dans le paysage, voilà pourquoi je ne l'ai pas remarquée plus tôt. Plongé dans mes pensées, ma méfiance s'en est trouvée altérée. Et puis, ce n'est pas comme si je risquais grand chose. Hormis les hommes et leurs nouveaux chiens de métal, je ne risque pas grand monde ici bas. Je me suis entraîné trop dur et trop longtemps pour aujourd'hui avoir peur de mes propres semblables. Je la regarde qui m'observe à son tour, peut-être essaie-t-elle de deviner d'où je viens, qui je suis. Elle ne m'évoque rien, si ce n'est l'odeur boisée des solitaires. Une ermite ? Espérons que les solitaires ne sont pas tous stupides et grincheux comme les rumeurs le prétendent, parce qu'elle s'approche de moi. Son attitude n'est pas agressive, aussi je reste immobile et la laisse venir à moi. Moi qui cherchais un but à mon existence, le Destin a-t-il décidé d'aiguiller mon chemin par une apparition miraculeuse ? J'esquisse un léger sourire en coin à cette idée. Puéril et naïf, voilà qui pourrait parfois me décrire à mon plus grand désarroi. Je la fixe de mon regard ambré et j'attends, jusqu'à ce que les mots de la blanche ne résonnent à mes oreilles. Un simple bonjour, dénué de tout sentiment. Un mot qui ne veut rien dire et qui à la fois, représente tout. Je ne cherche pas les ennuis, mais pas davantage un ami. Je ne te veux aucun mal, mais pas plus de bien. Je suis une louve solitaire, tu es un loup et meute et nous ne nous connaissons pas. A toi désormais de prendre ta décision. Je la salue d'un signe de tête et je détourne le regard machinalement, comme pour lui dire à mon tour que je ne suis ni un danger, ni un allié.
- Mon nom est Natan, bonjour.
Allons Nate, tu peux mieux faire, j'en suis certain. J'observe les environs d'un oeil critique.
- On dirait que le printemps approche. Espérons qu'il ne sera pas altéré par les Hommes encore une fois ...
Dis-lui qu'elle a de beaux yeux, demandes-lui ce qu'elle fait dans les parages ! Idiot, Nate. Idiot ...
Il existe deux sortes de pensées en ce monde. Celle qui dit que la vie est déjà écrite et tracée par un fil incassable qu'est le Destin, et, celle qui dit que rien n'est écrit ou prédit, que tout est décidé par l'esprit qui occupe le corps. Chaque être à fait son choix, suivre ou décider. Mais qu'en est-il lorsque l'on vit les deux? Lorsque le Destin te fait naître dans une meute qui ne t'acceptera jamais, qui inévitablement te rejette pour quelque chose que tu n'as pas commandé du haut de tes petites pattes de quelques mois? Heureusement pour toi, tu as une volonté de fer et tu comprends vite que la vie n'est pas rose et tu te décides à prendre ton destin en main pour vivre une vie que tu as choisi. Dans un cas comme celui là, on ne peut choisir, on vit avec son passé douloureux tout en cherchant un futur heureux malgré le monde apocalyptique qui nous entoure. Et alors que Neyraka réfléchit à ce que son comportement pourrait signifier tout en observant le loup tricolore qui lui fait face, sa réflexion reste sans réponse lorsqu'il se décide à amorcer un hochement de tête et un détournement de regard, signifiant qu'il ne serait pas son ennemi mais pas non plus son ami. C'est une évidence, on ne peut juger un congénère au bout de quelques minutes de face à face, surtout avec une louve assez renfermée comme notre immaculée.. Il prends la parole, se présentant du nom de Natan tout en répondant à sa salutation. Il est vrai qu'elle même n'a pas donné son prénom, préférant connaître celui de son interlocuteur en premier et juger si elle peut lui donner ou non. On ne sait jamais, il faut être prudent de nos jours.
Elle s'apprête à répondre mais il semblerait qu'il n'ai pas fini alors que ne perdant pas une miette de ses gestes, elle le voit jeter un œil aux alentours pour finir par prononcer des paroles sur la météo et les Hommes qui font esquisser un sourire à la femelle, qui illumine ses yeux. Est-il vraiment en train de parler du temps? Oui, vraiment. Si elle était du genre à rire, elle en aurait rit mais elle sait contrôler ses émotions et l'amusement ne fait pas parti de ses habitudes. Son léger sourire sur les babines, elle se présente à son tour.
- Et le mien est Neyraka. Son regard se fixe sur Natan alors qu'elle répond à son commentaire. Oui enfin après ce rude hiver et espérons le tu as raison mais on ne peut être sur de rien avec eux hélas..
Et comme elle ne veut pas que le silence se fasse pour une fois, c'est à son tour d'engager une discussion, peut être plus personnelle. Mais elle n'est pas du genre à parler futilités, ça plaît ou ça plaît pas.
- Qu'est ce que tu fais dans les parages? Tu es loin de ton territoire non?
Alors là, elle s'avance en supposant que c'est un Navnik mais bon elle en est presque certaine puis après tout, ce n'est pas grave si elle se trompe.
Il est parfois des loups qui ont dans la vie des objectifs bien précis, et auxquels il est difficile de changer de cap. Ces loups marchent droit devant eux, fixent droit dans les yeux leur ultime but à atteindre, et ne voient même rien de ce qui se passe autour. Des loups déterminés, sauvagement accrochés à leur voie, cramponnés à leurs valeurs et aux étapes qui doivent être traversées avec succès. Ce sont des loups souvent bornés, discrets, mais qui font tout pour réussir et qui sont prêts à sacrifier beaucoup pour leurs idéaux. Ils ont cette qualité, cette détermination farouche et implacable qui les caractérise et les rend parfois honorables. Mais ils ont aussi un défaut, une faiblesse qui accompagne cette dureté dans leurs choix : ils sont souvent handicapés socialement. Oh pas dans le sens qui se voit, pas dans le sens qui se comprend et se compense. Non, dans le sens qu'on juge, qu'on met de côté. Parce que ces loups sont tellement fixés sur leurs objectifs et ce depuis si longtemps, qu'ils en ont oublié d'apprendre à connaître leurs semblables et qu'ils ne sont plus capables d'agir avec eux de manière naturelle, automatique. Toute conversation devient difficile et presque, parfois, douloureuse. Je suis de ces loups. Ma vie a tourné autour de mon frère, puis autour de Inka également et par la suite, j'ai marché sous les ordres d'un Alpha en lui promettant ma vie et ma loyauté. Si aujourd'hui mes Leaders ne sont plus ceux du passé, je ne peux me détacher de cette fidélité à Isha, et j'ai oublié comment agir avec mes semblables. Je me suis concentré sur mes propres capacités physique, en oubliant ce qui autrefois m'était naturel, inné. Alors, je me rends bien compte que parler du beau temps avec une louve inconnue n'a rien d'instinctif et que cela me rend plutôt étrange, voire maladroit. Mais que puis-je faire, sinon essayer encore et encore ? Neyraka se présente à son tour. Mais le sujet que j'ai tenté de lancer, sans me surprendre, ne la branche pas.
- Qu'est ce que tu fais dans les parages ? Tu es loin de ton territoire non ?
Je lui lance un regard inquisiteur, essayant de deviner de quelconques mauvaises intentions. M'avait-elle déjà vu auparavant ? Sait-elle déjà qui je suis ? D'où je viens ? Son visage ne me dit rien, pas plus d'ailleurs que sa voix. Alors si elle me connait, ce n'est malheureusement pas mon cas.
- En effet, j'avais besoin d'un peu de solitude. Mais je ne te retourne pas la question, tu es une solitaire, n'est-ce pas ?
Elle, elle n'est pas loin de ses terres. Elle n'a tout simplement pas de terres, pas de lois à suivre. Une liberté totale et inconditionnelle, que je viendrais parfois à envier mais dont j'oublie les délices quand je vois déjà les difficultés de notre vie en tant que loups de meute. J'ai besoin de vivre pour d'autres, pas seulement pour moi. Et n'ayant pas de famille en dehors de mon frère, j'ai donc besoin d'une meute.