Ca puait le mâle dans le coin.
Un grognement désagréable sortit de la gueule de Leikn lorsqu'elle parvint sur les lieux pour y trouver du mercenaire déjà à l'oeuvre. La louve blanche bondit sur le toit du bunker, l'échine hérissée et les crocs à découvert ; ses griffes firent tomber quelques onces de terre sèche sur le dos du monstrueux chien qu'un gros loup noir s'affairait déjà à déterrer. A regret, elle dut remettre son conflit existentiel avec la gente masculine à plus tard : l'intégrité du domaine de sa sœur valait plus qu'une petite bagarre mesquine. Aussi répugnante lui fut la présence de l'individu solitaire dans son périmètre.
Lei avisa Manîthil du regard, mais ne s'attarda pas aux politesses. Elle était en route pour rendre visite à la guérisseuse lorsque son appel de détresse lui était parvenu ; elle avait alors foncé vers la tanière de sa sœur, sentant la colère l'envahir à l'idée que quiconque puisse s'en prendre à elle.
Et voilà que le mercenaire avait tiré du bunker cette espèce de chose stupide criblée de métal qui risquait de leur exploser au nez à chaque seconde. Leikn repensa à l'incendie de la chapelle. Cependant, cela n'arrêta pas sa fougueuse tête brûlée, et à l'instant où le chien cuirassé s'éloigna un peu de l'entrée du bunker, focalisé sur le loup noir, elle sauta.
La louve blanche atterrit par terre sur ses quatre pattes et ne se laissa pas le temps de souffler ; que le chien se tourne vers elle ou pas, elle tenait une ouverture. Elle se lança donc en avant et pénétra la brèche entre le plastron et le casque, pour saisir le chien sur le côté du cou et serrer la chair à sa portée entre ses puissantes mâchoires.
Un grondement s'échappa de sa gueule : elle peinait à maintenir sa prise et les pans de l'armure raclaient douloureusement sur son museau. Néanmoins, elle tenta de tirer la tête du chien vers le sol, afin de le rendre vulnérable un bref instant avant qu'il ne se ressaisisse suffisamment pour riposter.

hrp. Bon, n'arrivant pas trop à le déterminer, je suppose qu'on est pas dans le bunker mais bien devant l'entrée.


Leikn sentit sur sa langue le goût salé de l’hémoglobine, déchirant la chair du chien sans pitié. Les arêtes tranchantes de l’armure s’enfonçaient dans son museau, creusant des rigoles sanglantes sous ses yeux, mais la rage qui l’habitait ne lui permettait pas le répit. Cependant, l’animal baissa soudain la tête, ce qui la désarçonna, et lui envoya brusquement un coup phénoménal en plein milieu du poitrail. Percutée par un métal indéformable, Leikn sentit sa cage thoracique se creuser douloureusement, ses poumons s’écraser ; quelque chose de poisseux envahit la fourrure de son poitrail, alors qu’un fissure piquante la cisaillait de bas en haut. Malgré toute sa force, la louve blanche fut projetée en arrière et roula au sol avec un couinement de douleur.
Un instant, alors qu’elle avait le nez enfoui dans l’herbe et des papillons plein la tête, Leikn perdit toute notion du temps et de l’espace. Les grondements de colère qui résonnaient autour d’elle lui faisaient l’effet de coups de tonnerre, les cris des canidés celui du hurlement du vent.
Puis, sa vision commença à se clarifier, et sa tête à perdre la lourdeur de pierre qui la maintenait irrésistiblement collée au sol. Avec tous les efforts du monde, Lei parvint à la relever et à rassembler les images qui se dédoublaient devant son museau. Elle vit un loup gris à l’air familier fondre sur les pattes du chien et puis sa sœur… ‘Thil, attaquant sans se protéger le monstre à la tête.
Ne fais pas ça, idiote. Les mots ne parvinrent pas à quitter la gueule de Lei ; coincés dans sa gorge, ils ne laissèrent passer un grognement assourdi.
Au ralenti, la louve blanche vit le chien labourer le poitrail de sa sœur de ses griffes. Le sang gicler. Un rugissement de colère s'éleva dans l'air figé, et Lei mit un moment à se rendre compte que c'était de sa propre gorge qu'il était issu.

Et puis les hurlements paniqués du chien vinrent masquer son cri de rage ; tout allait terriblement lentement, mais, résonnant intensément et presque douloureusement au fond de son cerveau, la louve blanche entendit un son terrible s'élever du coeur de la bataille. Un "bip" insistant, répétitif et aigu, qui lui perçait les tympans - le même ayant annoncé l'explosion du garde-manger navnik.
Les pensées de Leikn se précisèrent cruellement. Elle ignorait si les solitaires étaient au courant pour les explosifs. Il y avait des chances pour que cela ne soit pas le cas. Sa soeur était en danger de mort - de mort imminente.
Reprenant son souffle dans une inspiration douloureuse, la louve blanche parvint soudain à s'arracher au sol et à se propulser vers les combattants. Sa blessure au poitrail la lançait, mais cela n'empêchait pas le fait qu'il fallait s'éloigner du chien tout de suite. Ou lui d'eux.
Bousculant 'Thil pour la séparer de leur ennemi, la repousser vers le bunker où elle pourrait se mettre à l'abri, Leikn baissa la tête et percuta ce dernier de toutes ses forces dans l'espoir de le repousser loin de l'entrée. La construction amortirait la plus grande partie de l'explosion, si elle ne s'écroulait pas, et les réserves de Manîthil étant conservée dans l'une des nombreuses et profondes arrières-salles, elles ne seraient sans doute pas touchées. Ne resterait que les décombres de l'entrée à déblayer.
Enfin, si elle parvenait à s'abriter, songea vaguement la louve en abandonnant le chien à son sort pour faire volte-face et foncer vers la protection du bunker. Elle déboula dans le couloir, vers les salles arrières, en serrant les dents.

Leikn s'engouffra dans l'obscur corridor qui menait aux réserves de la guérisseuse. Ses pattes martelèrent un sol de béton maculé de terre, fermes tant qu'elles restaient en mouvement. L'élan qui la poussait en avant, stimulé par l'instinct de survie animal qui lui collait au corps, empêchait la louve blanche de souffrir de ses blessures. Tout était dilué dans la vitesse de sa course et sa focalisation sur un seul objectif : rejoindre 'Thil, se mettre à l'abri, rejoindre 'Thil, rejoindre 'Thil...
La fourrure de Lei râpa contre la froideur minérale des murs. Toujours plus loin dans les profondeurs. Elle entendit un loup pénétrer à sa suite dans le bunker, puis le hurlement du chien, terriblement près. Ses oreilles se couchèrent entièrement sur son crâne alors qu'elle fonçait vers les salles les plus profondes... puis l'explosion déferla, assourdissante, et se heurta contre ses tympans à une vitesse qui la terrassa. Le souffle de l'explosion poussa la louve vers l'avant : elle trébucha et roula dans la pièce où se trouvait déjà Manîthil, laissant échapper un couinement de douleur lorsque quelque chose heurta ses blessures.
Cependant, elle n'entendit pas ce couinement. Tout était soudain assourdi comme si d'épaisses bulles d'eau recouvrait ses oreilles. Sonnée, Lei redressa la tête et agita ces dernières, sans comprendre d'abord pourquoi les sons mettaient si longtemps à l'atteindre. Les cris des autres loups, le grattement des griffes, l'écroulement du béton dans le couloir, tout était terriblement lent, grave et déformé. Seule sa respiration, haletante, résonnait presque inchangée à l'intérieur de sa tête.
Leikn tenta de se remettre debout. Peine perdue. Son équilibre refusait de répondre à l'appel. Elle se laissa donc retomber dans un coin de la pièce avec un grognement, puisque tout danger était pour le moment passé.
De très loin, du fond de sa tête, elle s'entendit appeler 'Thil tout en la cherchant des yeux, et lui demander si tout allait bien.

Alors que le pic d'adrénaline provoqué par le danger et l'explosion du chien retombait, Leikn ressentit avec une violence déchirante les blessures ouvertes dans sa chair cisailler chacun de ses nerfs. Elle fit l'erreur de tenter de se relever une nouvelle fois, et la douleur qui jaillit de la balafre sur son poitrail lui coupa le souffle ; ses pattes se dérobèrent sous elle, alors qu'un ruissellement de sang supplémentaire venait imbiber sa robe blanche. Mais, plus forte que l'hébétude qui l'assommait à moitié, la peur s'infiltra dans ses entrailles : Manîthil n'avait pas répondu à sa question. A moins qu'elle n'ait pas entendu la voix de sa sœur ?
Avec effort, Lei arracha son regard du sol, où il semblait vouloir rester river à tout jamais - sans compter les papillons noir qui masquaient sa vue et la menaçaient de l'inconscience à tout moment - et se redressa une énième fois.
C'est alors qu'elle heurta son museau. L'odeur.
Un mâle inconnu, insolent, frais comme un gardon, venait de pénétrer la scène d'horreur sur laquelle gisaient les quatre loups. Dédaigneux des solitaires à l'entrée, il s'aventurait dans le bunker comme s'il était chez lui, en criant à tue-tête.
Leikn était fatiguée, Leikn avait peur et Leikn avait mal. Toutes ces émotions se mélangèrent dans son estomac pour donner naissance à une colère grondante comme un orage qui se dirigea tout entière vers l'intrus.

Et puis brusquement, celui-ci fonça vers le fond de la pièce. Leikn le suivit des yeux et son cœur s'arrêta un quart de seconde dans sa poitrine.
Mais non elle n'était pas morte. Tu le saurais sinon.
Mais les yeux jaunes de Lei s'arrêtèrent à peine sur sa sœur blessée, car le mâle inconnu s'approcha d'elle et donna un coup de langue sur son museau en couinant.
L'estomac de la louve se retourna d'un dégoût viscéral.

Manî je t'en prie, lève-toi.

Leikn ne fut qu'un bond de fureur en avant. Oubliées, ses blessures. Elle aurait pu se vider de son sang dans cette unique charge que cela n'aurait eu aucune importance.
Il l'avait touchée.
Les griffes de la louve blanche crissèrent sur la pierre et ses crocs s'enfoncèrent dans l'encolure du mâle. Le sang inonda sa gueule.
Il avait osé poser sa langue immonde sur sa sœur. Sous ses yeux. Il avait osé. Cet être répugnant.
Folle de rage, Lei secoua la tête sans desserrer sa prise sur la chair du loup, puis le rejeta aussi loin de Manîthil que la taille de la pièce le lui permettaient.
Il avait osé couiner après elle comme un chiot éperdu d'amour.
Elle avait perdu tout contrôle.

« NE LA TOUCHE PAS. » Son hurlement rebondit contre les murs.

Écumante, Lei se planta devant la guérisseuse au sol, faisant barrage de son corps, et opposa au mâle la vision de ses crocs à découvert et de sa fourrure hérissée. Entre le sang et les poils du chien qui maculaient son museau, l'épaisse poussière qui souillait son pelage et ses multiples griffures écarlates, la louve faisait peur à voir. Elle arqua l'encolure face à l'intrus, les crocs à nu enchâssés dans ses gencives noires, le regard fou.

« Approche-toi d'un seul pas et je te réduis en charpie. »

Manîthil respirait encore, elle seule savait comment guérir ses blessures, elle était forte, elle y arriverait - et celui qui pensait pouvoir l'approcher ou ne serait-ce que l'effleurer tant que sa sœur serait en vie y laisserait la sienne.