Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
32 31 31 Cela fait bien longtemps que je n'avais pas quitté les terres Navniks. Moi qui étais si assoiffé de découvertes et de connaissances nouvelles. Quelle ironie. Il faut croire que ma soif de nouveauté n'est plus aussi insatiable qu'avant. En même temps, ce n'est peut ètre pas tout à fait la bonne période vous me direz. Foutaises, ce monde est ce qu'il est et il n'y aura par conséquent jamais de période idéale pour faire quoi que ce soit. Alors, il n'y avait qu'une seule chose à faire, et un seul moment idéal pour cela : maintenant. Je quitte les territoires de la meute au triple galop et me dirige vers les terres de l'ouest. Je ralentis la cadence et prends le temps d'admirer le panorama empreint d'une destruction qui pourrait presque passée pour visuellement agréable si on observait avec attention. La régularité dans les marques du chaos prouvait sans nul doute qu'il y avait une méthode implacable derrière cette œuvre morbide. Et, étant quelqu'un de méthodique et discipliné, je ne pouvais qu'admirer cette œuvre malgré le dégout et l'écœurement qu'elle pouvait m'inspirer. J'atteins finalement le lieu dans lequel les bipèdes enterrent leurs morts. Je louvoie entre les tombes et les ossements, laissant mon regard vairon absorber le moindre détail de cet environnement macabre. Soudain, une odeur frappe mon museau avec force et s'y insinue tel un serpent venimeux. Je reconnais cette effluve dans la poignée de secondes qui suit car j'ai littéralement grandi avec cette odeur. Je me dirige vers l'effluve d'un pas mesuré et appréhende la confrontation avec la louve qui fut ma meilleure amie, qui fut presque une sœur pour moi avant de disparaître il y a deux mois de cela sans explications. La louve ivoire apparaît finalement dans mon champ de vision et je toussote pour lui indiquer ma présence avant de me figer à une certaine distance de Dalioka.
J'erre dans ce sombre lieu, en proie à mes pensées, mes pattes blanches se fondent dans l'épaisse brume qui rase le sol humide et spongieux du Cimetière. Des étranges pierres aux bords arrondis se dressent, hostiles, parmi cette mer opaque. En regardant autour de moi, je ressens d'étranges vibrations. Elles remontent dans mes pattes, excitent mon coeur. Des choses mauvaises se sont passés ici. Je jette des regards furtifs sur le sol, sur les pierres, et sur les arbres sombrent qui se dressent tout autour.
Voilà plusieurs mois que je vis dans une solitude quasi-complète, entrecoupée ça et là par la vision éphémère de mes frères. Trop occupés à être les toutous de ce Koschei... Il n'a aucunement mon respect, celui-là. Il doit se croire le Roi de ces terres, jubiler devant son pseudo pouvoir et s'enhardir de sa petite garde personnelle. Ca me dégoûte. J'ai vu comment il se sert de certains de ses sbires, dont Ragnar'k. Et moi en attendant je reste là à stagner, m'entraînant tant bien que mal avec Pandémonium, attendant que le temps passe. Je fulmine intérieurement. Mais j'ai confiance en l'avenir: je saurais devenir plus forte que je ne le suis actuellement. Perdue comme je l'étais dans mes pensées, je n'ai pas vu se profiler cette ombre noire devant moi. Je sens cette odeur parvenir à mes narines et enivrer mes sens pendant quelques secondes. Mon ami... mon ami est là !
Il toussote et se fige. Rhaegar ! Mes yeux s'agrandissent, j'ouvre la gueule comme pour prononcer quelque chose mais rien n'en sort. Une joie irrationnelle s'empare de moi.
« C'est toi ! » je m'écris.
Sans réfléchir, je bondis et m'apprête à enfouir mon museau dans son cou, comme j'avais l'habitude de le faire. Nous sommes réunis ! Je me rends compte à quel point mon ami m'avait manqué. Sa présence me fait l'effet d'un soleil. Je suis encore dans mon rêve éveillé, quand soudain je remarque son expression fermée, neutre, et je me fige à mon tour, à quelques centimètres de lui. Mon sourire se décompose peu à peu. Il n'a pas fait un pas vers moi, il ne sourit pas. En le détaillant bien, je remarque qu'il a bien changé.
Je baisse les yeux un instant, et tente un second sourire, plus retenu. Je suis consciente que je devrais avoir honte, en cet instant, mais ce sentiment me viendra un peu plus tard. Un peu penaude, cependant, je lance:
30 30 30 Je détaille la louve blanche au pelage plus immaculé et pur que toute la neige d'hiver. Je l'observe d'un regard neutre, bien déterminé à ne pas lui montrer à quel point elle m'a manquée depuis son départ, à quel point j'ai pensé à elle malgré la colère et la rancœur que sa disparition soudaine n'avaient pas manqué de provoquer chez moi. Je comprenais mieux pourquoi elle m'avait demandé si nous resterions amis pour toujours et à jamais malgré un potentiel changement radical. Savait elle déjà à cette époque qu'elle allait m'abandonner ? Avait elle déjà fait ce choix alors qu'elle affichait un grand sourire amical durant nos escapades ? De toute manière, cela n'avait plus une once d'importance désormais car ce qui est fait est fait. Et rien ne pourrait changer cela. Il était impossible de revenir en arrière. Alors autant faire face sans reculer. Oui, je m'étais inquiété pour la louve, j'avais eu peur qu'elle fasse une mauvaise rencontre ou qu'elle soit blessée voire pire car la rage que je ressentais à son encontre n'était pas tant du à son départ qu'à la façon dont elle était partie. Le visage fermé parfaitement impassible, je constate qu'elle semble aller bien. Elle doit manger à sa faim et n'est pas blessée c'est bien l'essentiel. Ses yeux s'écarquillent de surprise tandis que sa bouche s'ouvre en grand comme pour laisser échapper un soupir d'étonnement mais rien ne sort. Les yeux de mon ancienne meilleure amie sont toujours expressif et je constate que ces derniers brillent d'une lueur joyeuse. Vraiment ? Tu es contente de me voir. Etonnant puisque tu ne t'es pas donné la peine de me prévenir de ton départ. Je ne le comprends pas. Les Navniks ont beau ne plus abriter ta famille et ta mère est très étrange et certainement une mère pitoyable mais tu n'étais pas seule. J'avais reniflé la dernière odeur de Dalioka sur la dune quelques jours après son départ et avait reconnu l'odeur de son demi frère. Cela ne collait pas, ils se détestaient mutuellement à ce que j'en savais. Non, ton départ n'avait aucun sens et tu n'as pas pris la peine de m'en informer alors comment peux tu feindre la joie de me retrouver. L'hypocrisie inhérente à ta famille est bien réelle finalement. Dalioka bondit et s'apprête à enfouir sa tète dans mon pelage comme elle avait l'habitude de le faire du temps ou nous étions toujours fourré ensemble. Mais, elle fige son mouvement lorsqu'elle constate mon absence de réaction. Son sourire se décompose et elle reste à une certaine distance de moi avant de baisser les yeux vers le sol. Elle relève finalement la tète et me lance avec un sourire plus mesuré : « Je suis contente de te voir. Tu vas bien ? » J'émets un petit rire et lui réponds : Ah bon ca t'intéresse maintenant. Vraiment ? Je suis soulagé de constater que tu es en vie. Je devrais surement me montrer plus compréhensif avec la louve qui fut presque une grande sœur pour moi mais je n'y arrive pas, l'amertume est trop forte. Je devrais pourtant car on ne sait jamais de quoi sera fait demain et peut être qu'un jour ce sera moi qui partira sans prévenir personne. D'ailleurs, j'étais déjà paré à cette possibilité.
Le manque de réaction de Rhaegar est atroce, et j'ai l'impression qu'un morceau de bois s'enfonce dans mon coeur.
«Ah bon ca t'intéresse maintenant. Vraiment ? Je suis soulagé de constater que tu es en vie. »
Je recule d'un pas, frappé par ses paroles. Le bout de bois s'enfonce un peu plus, et il me semble ressentir une réelle douleur physique en voyant à quel point j'ai pu blesser mon meilleur ami, celui qui a été mon frère quand plus personne ne comptait. Je reste coite pendant plusieurs secondes. J'examine le visage sombre de Rhaegar, et je ne peux imaginer qu'il ne ressente rien face à ces retrouvailles. L'incompréhension s'empare de moi un instant. Puis la honte. Il est content de me voir saine et sauve, mais il se montre hargneux. Pourquoi rester ici alors ? Je soupire, abaisse les oreilles. Il est temps de s'expliquer.
«Ecoute, Rhaegar, si je suis partie, c'est parce qu'il n'existe pas d'autre option pour moi. Je suis partie sans explication, et je sais que c'était une erreur. Mais je t'en prie, pardonne-moi si je t'ai blessé. Tu restes mon meilleur ami, et je suis prête à tout te raconter, si tu veux encore de moi.»
Je lui lance un regard implorant, priant pour qu'il comprenne et qu'il me laisse l'occasion de lui expliquer les raisons de ce départ précipité.