Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Les vagues venaient clapoter doucement contre le rivage tandis que j'avançais ici, en terres inconnues. Jamais je n'aurais songé à arriver jusqu'ici, mais aujourd'hui, je n'avais rien à faire alors j'étais partie me promener. J'avais débouché sur cette magnifique plage. J'avais soigneusement évité les pluies du soleil ardentes, et finalement, j'étais arrivée en un sel morceau. Quelle chance. Trottinant dans le sable, j'humai régulièrement l'air. J'avais peur de faire une mauvaise rencontre. D'accord, aucun humain ne pouvait traîner ici, mais l'être vivant n'est jamais assez prudent, non? Au détour d'une falaise je découvris un rocher. Pointu et chaud, il semblait très chaleureux, et l'envie de monter dessus pour m'y prélasser me pris. Non, non, résiste. Je n'étais pas là pour faire une sieste, absolument pas. Je devais rester sur mes gardes. Soudain, le rocher m'attira et je ne pus résister à cet étrange attraction. M'approchant de lui, je sentis une odeur familière.... Kaïs? Non. Wakanda? Non, non, cela remontait à loin... Si loin...
Un grand point d'interrogation était la seule chose que je pouvais dire sur mes pensées. Enfin, non, bien sûr, mais c'est ce que je ressentais. Quand je vis une forme blanche comme neige me bondir dessus, la peur me submergea. Une peur douce, pas violente. J'entendis mon nom retentir sur la plage entière. Un fragment de secondes me suffit pour comprendre qu'il s’agissait de... Kora ?! Elle m'avait retrouvé, et cette fois-ci, j'allais y passer. Mais cette louve était tellement mystérieuse, que vous le savez, aucun de ses actes n'est prévisible. En m'ayant laissé la dernière fois contre une pierre tombale après un violent choc, la voilà qui me léchait la figure à grands coups de langues chaleureux. - J’espère que tu as envie d'apprendre aujourd'hui ? Et même à jouer ! Kora se retira de moi, alors que se dessinait sur ma face une mine perplexe, étonnée et soulagée. Et voilà la louve écarlate tournant autour de moi dans un cercle joueur. Qu'essayait-elle de faire cette fois ? Et quelle était sa vraie nature ? Celle-ci ou l'autre ? Je fronçai les sourcils, perdue. Sûrement était-ce un plan... Je levai els yeux au ciel. - Euh, je me nettoie et après on commence une leçon de force ? Et évite de me salir, si tu ne veux pas arrêter ton entrainement toutes les quelques secondes ! Sur ses mots, elle s'éloigna, m'invitant à la suivre. Elle me conduisit sur une pierre chaud et plate exposée au soleil ardent. Alors qu'elle entamait une toilette, les questions se bousculèrent dans ma tête. Hein ? Une leçon de force? La louve se sentait peut-être faible. Mais pourquoi avoir été cruelle la dernière fois et pas là ? Pourquoi avait-elle cet entêtement à se nettoyer ainsi ? Je secouai la tête. Je n'avais pipé mot et pourtant la louve ne dit rien. Je 'allongeai à son côté sur la pierre revigorante. - Attend, attend ! M'écriai-je alors. Tu... Tu peux t'expliquer? Elle braqua sur moi un regard impassible. Je reniflai doucement, faisant un mouvement d'encouragement des yeux.
-Te faire confiance? Mon exclamation résonna sur toute la plage, si ce n'est au-delà, lorsqu'on arriva au-près de l'eau. Je me dressai plus haut sur mes pattes. Je laissais ma colère parler, rien d'autre. - Comment veux-tu que je te fasse confiance ?! Renchéris-je, montrant légèrement les crocs. Je n'ai pas oublié ce que tu m'as fait. Je balançai une patte, signe que je serais prête à détaler à tout instant. Mais après tout, Kaïs ne m'entraînais que rarement, et je me sentais aussi faible... Non ! Je ne pouvais lui faire confiance. Je sentais toujours sa mâchoire autour de ma nuque. D'un autre côté... Je penchai légèrement la tête. Je ne savais que faire. Et pendant ce temps, Kora m'observais sans mot dire. Je soupirai.
~Je pourrais t'apprendre beaucoup de choses, en plus de ce que t'apprendra ton futur mentor. Mais il ne faudrait pas en parler à personne, sinon tu sauras qu'elle sera ta punition.~
La rapidité avait déjà été étudiée, mais s'était finie en bagarre générale avec des chiens. Mais peut-être c'était les chiens qui avaient ainsi attisé sa colère? Ou... J'ignorais qu'est ce qui l'avait pris, mais c'était avec mûre réflexion que je décidai d'accepter cette leçon, étant donné qu'elle était censée m'enseigner des choses. Je m’approchai d'elle, puis commençai à lui saisir la patte, essayant de la tirer et finalement, parvint à la faire chanceler et à l'amener sur le flanc. Je claquai une petite dizaine de fois les muscles de ma mâchoire. Kora se relevait. Je me campai, prête à recevoir son assaut.
Kora m'attrapa par les pattes arrières, comprenant qu'elle allait à nouveau me blesser, je poussai un râle plaintif. Mais, à défaut de m'en faire à nouveau voir de toutes les couleurs, elle desserra ses mâchoires et me laissa m'échapper. - Écoute Yan'Ka, ta méthode pour me faire tomber était bonne, mais elle ne ferais tomber qu'un louveteau, ou alors des loups comme moi qui ont peu de force. Mais c'est bien, bases toi sur les pattes. Quand tu chasses, attrapes les pattes-arrières de ta proie ; elle va alors tomber et s'immobiliser. J'opinai du chef en mémorisant bien tout ce qu'elle m’enseignait. Je plissai des yeux, la voyant courir à toute vitesse vers l'étendue d'eau salée. Elle y plongea, puis, semblant réaliser quelque chose, s'en extirpa aussitôt. J'ouvris la bouche pour parler, mais la louve s'assit et dit tout haut ce que je pensais dire : - Je sais que tu te poses beaucoup de questions sur moi, sur mon comportement d'aujourd'hui, sur ce que je t'apprends, alors vas-y, poses tes questions, j'y répondrais autant que je pourrais. J'inspirai à fond. Nous nous assîmes, l'une en face de l'autre, alors que je réfléchissais à toute vitesse à quoi dire, comment le dire, et que faire pour ne pas me faire étriper. Finalement, j'articulai : - Bien. Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Pourquoi avoir changé ainsi ? Demandais-je d'une traite. Je reniflai doucement, secouant la tête et lissant mon poitrail à petits coups de langues, attendant sa réponse en battant de la queue.
J'opinai doucement du chef en entendant les explications de la louve blanche, et je frissonnai en comprenant que bientôt elle redeviendrai dangereuse. -As-tu d'autres questions ? Je sais que tu es curieuse. J'hochai de la tête, réfléchissant à toute vitesse. De quoi parlait-elle en évoquant ce ''changement du printemps'' ? Je secouai la tête en haussant les épaules. Bien, bien, bien. Nous étions là à nous fixer après qu'elle ait interrompue ses tours fous et joueurs. - Non. Je propose que nous reprenions cet entraînement, non ? Une puissante envie de jouer me pris. Je la partageais avec Kora, c'était sûr. Une lueur amusée dans le regard, les crocs en avant, je lui bondis dessus et tentai de la mettre sur le dos, mais, elle parvint à me repousser sans violence. Je repartis à la charge en usant de mes mâchoires pour la renverser de la patte, puis comprenant qu'il était inutile de faire comme ça, je passai sous son ventre et poussai pour qu'elle tombe depuis le dessous. Cet entraînement me donnai déjà chaud ! Je ris en mon fort intérieur alors qu'elle me poussa et m'envoya voler dans les airs avant que je ne m'écrase au sol dans un nuage de sable. Et puis n'en pouvant plus, j'éclatai finalement de rire. Aaaaaaaaah! Je me stoppai. Quel était ce cri que j'entendais dans ma tête? Je scrutai Kora, qui ne semblait rien entendre. Aide-moi ! Aide-moi ! Je scrutai de gauche à droite, fronçant les sourcils. Je me vis alors, attrapée par une ombre blanche. C'était moi ce cri ! Et l'ombre... Kora ! Je secouai la tête, perturbée. Je devais halluciner. Non, je ne pouvais pas tomber malade ! Mais non, mais non, je rêvais juste. C'était Kora qui me faisait cet effet. Je repris mon jeu fou avec la louve et cette fois-ci, le niveau monta. Kora usa plus de ses mâchoires et je tentai d'en faire de même. Je restais, durant tout l'entraînement, tourmentée par l'idée que Kora pourrais tenter de me tuer d'un instant à l'autre. Peut-être que je n'hallucinais pas, mais je ne pouvais pas être ainsi devin... Je m'ébrouai en bondissant sur Kora.
Je bondis sans me faire prier sur la louve blanche, la percutai de plein fouet et elle chancela. J'éclatai de rire en voyant la louve figée en voyant son pelage souillé de sable. Non ! Non ! Lâche-moi ! Cette fois-ci, c'est moi qui chancelai. Ma vision se brouilla et je m'ébrouai pour chasser cette impression étrange. Alors que Kora s'approchait pour à nouveau relancer l'entraînement, je me campai. - NE T'APPROCHE PAS DE MOI ! Hurlai-je, les babines retroussées. Réalisant que mon intervention était très étrange, je secouai la tête. -Euh, euh, non, non, ce n'est rien. Vas-y, vas-y, euh... Je détournai le regard. Kora me mettait tellement mal à l'aise ! Sans réfléchir et tentant d'oublier ces sombres pensées, je repartis à l'assaut en percutant la louve. Une espèce de choc me parcourut le long de l'échine et je m'étalai en riant dans le sable. Je recrachai du sable en voyant Kora se pencher vers moi. Mes oreilles se baissèrent et mon sourire disparut quand je compris que mon hurlement n'avait pas été si ignoré... Je me roulai sur le côté. Qu'allait-elle me dire? Allait-elle se rebeller? Je me crispai.
-Vu comment tu m'as traité la dernière fois, un peu que j’ai peur ! Je montrai les crocs tout en crachant ces mots. La louve était tranquillement sur son roche plat et dressa les oreilles lorsque je la menaçai ainsi. Je plissai les yeux, puis me détournai. Je m'élançai vers le bout de la plage, sans penser si la louve blanche et... diabolique me suivait. Je courus jusqu'à m’essouffler, et finalement, revins sur mes pas. La louve n'avais pas bougé, me fixait, immobile, sur son rocher. -Dis-moi qui tu es, vraiment. Et qu'est ce que tu veux. Je m'assis, levant la tête vers elle. Le sable me chatouilla le poil. Je plongeai mon regard dans celui de la louve, essayant d'y déchiffrer une réponse, mais rien n'y était. Elle me fixait en silence.
Bien sûr que je le savais, que je tournais en rond, en lui posant cette question. Mais que feriez-vous, vous, face à une louve qui pourrait vous arracher la fourrure à tout moment ? Non, reposez sans cesse la même question n'étais pas intelligent, mais instinctif. - Très bien, je suis Kora, louve solitaire. Je suis cruelle, sanguinaire et j'aime faire souffrir ! Et si tu veux vraiment savoir pourquoi je ne t'étripe pas à l'instant même, c'est parce que je suis en chaleur ! Et je ne veux rien de plus que ce que j'ai déjà. Ou alors, je veux la compagnie des loups pendant le printemps, quand je suis sympathique ! Chaleurs ? C'était de ça qu'elle parlait quand elle évoquait cette ''chose que ne savent que les adultes'' ? J'ignorais ce que c'était, mais maintenant, je savais que c'était quelque chose de... Bénéfique. La louve bondit de son rocher et se traîna vers moi jusqu'à ce que nos truffes se frôlent. Ses paroles tournaient dans mon esprit. Une louve sanguinaire qui aime faire du mal ? Quel plaisir y a t-il à faire du mal ! Je plissai les yeux et laissai dépasser mes crocs légèrement. Je tentais de ne pas me laisser intimider, mais, en repensant à notre précédente rencontre au cimetière, je laissai ma queue se ranger toute seule entre mes pattes, mes oreilles se baissèrent d'elles-mêmes et mes babines tremblèrent. Saleté d'instinct... L’œil méprisant, Kora s'adoucit néanmoins. J'avais comme l'impression qu'elle venait me réconforter, comme une mère vient réconforter son louveteau. Vivement que je sache ce que sont les chaleurs... - Bon, désolée. Si... Si on reprenait l'entraînement ? De toutes évidences, elle ne me laisserait pas m'en tirer à si bon compte, mais l'on pouvait toujours essayer.
Un bâton? D'accord, si elle le voulait. Je ne comprenais pas exactement pourquoi passer d'une chose à une autre nous aiderait à avancer, mais bon, tant pis. Je pris le bâton entre mes crocs et serrai de toutes mes forces. Le bâton fléchit, et finalement, craqua dans ma gueule. Je relevai la tête vers Kora, guettant une réaction, ou une touche de fierté. Mais l'expression de la louve restait impassible. Serait-elle ne serait-ce qu'un jour expressive à mon égard ? Je soupirai. Elle m'apporta un autre bâton qu'elle brisa d'une autre manière ; en le prenant de côté. Je réitérai son exploit avec un autre et y parvins durement. Une odeur salée m'emplit la truffe et je n'eus pas le temps de comprendre ce qui m'arrivais quand une masse d'eau m'engloutit. Lorsque je retrouvai la ,surface, l'eau de la mer m'arrivait au collier ! Kora tentait de garder pied plus loin vers le large. - KORAAAAAAAAAA...!
Le noir. L'immonde goût salé dans ma gueule. Les hurlements lointains et inaccessibles de Kora. Le remous des vagues tout autour de moi. En un mot ; la panique absolue. Je ne savais quoi faire et lâchai un couinement, sachant que l'eau l'emporterait loin de moi. Une bulle se forma et s'éloigna, bientôt éclatée par les grosses vagues. Je demeurais ainsi, la tête sous l'eau comme indiquait Kora plus tôt. Que faire ? Je mourrais de toutes façons. C'était une fatalité, il fallait s'y faire. Je laissai le temps passer, seconde par seconde, les yeux clos, les muscles relâchés... Quand soudain la vie revint. Elle m'attirait vers elle avec un appel assourdissant tel qu'il m'obligea à me débattre et, bientôt, la marée tomba peu à peu et je pus enfin respirer l'air. La marée se retira et mes pattes furent relâchées sur la vase du fond. J'inspirai et expirai à fond. J'avais survécu ! Je m'ébrouai en m'avançant vers la plage. Je m'assis sur le rocher plat. La trace de Kora y est fraîche, pensai-je en reniflant l'air. Ma toilette terminée, je m'avançai sur le sable, le cœur battant à tout rompre et le pelage encore encrassé de mon épopée... Disons sous-marine. Kora était encore vivante, c'était sûr, mais où était-elle ? Je regardai de tous côtés, mais le pelage écarlate de Kora ne brillait nulle part. Je m'engageai le long de la plage, la queue basse. Kora avait disparu. Je relevai néanmoins la tête vers le soleil. Nous reverrons-nous bientôt, chère Kora ?