Elle avait réussi à se cacher. De tous, pendant ces trois interminables semaines, elle s'était cachée de Manithil, de Koschei, et avait fait croire à Siska que c'était normal sans qu'elle ne devine ce qui se passait à l'intérieur d'elle.
Sans qu'elle ne sache que ce qui grandissait entre ses entrailles n'était pas une maladie, mais plutôt un virus. C'était sa première portée. Et elle n'était pas stupide, elle savait pertinemment qui en était le géniteur. Et jamais la démone ne se serait donné la peine de le prévenir. Elle ne voulait pas de petits. Ces choses n'étaient que des erreurs de la nature qu'elle s'appliquerait à annihiler proprement... au sens figuré bien sur.

Delta n'était pas idiote, elle savait, elle sentait à quel point la gestation allait être difficile.
Une première portée, alors qu'elle était plutôt maigre et sans guérisseur,sans compagnon. Cela risquait d'être un désastre. Alors oui, elle sentait cette petite pointe d'appréhension alors qu'elle trouvait un renfoncement rocheux, là où personne ne pourrait certainement la remarquer, et assez près cependant de Manithil pour pouvoir s'y traîner par la suite. Les contractions la faisaient horriblement souffrir, la brune sentait que ces choses voulaient voir l'extérieur. Autant leur laisser ce seul droit, avant qu'elle ne les envoie en enfers.

La démone s'allongea et attrapa un bout de bois sur lequel elle referma ses crocs.
Douleur.
Ses muscles intérieurs se contractaient par saccades pour faire sortir ces virus de son organisme.
Sang.
Crispée malgré tout, elle sentit la tête du premier la déchirer alors que ses mâchoires serraient avec force la branche, son seul soutien dans cette lutte sans merci entre la vie, et ces choses.

Le premier tomba dans la terre, le deuxième contre son frère et le troisième mit plus de temps mais finit par rouler dans la poussière comme les deux premiers.
Épuisée, et dans un espace trop réduit pour pouvoir se mouvoir à sa guise, la démone ne se rendit pas compte qu'elle en écrasait un. Après tout, ce n'était pas son problème.
Quand son souffle la regagna, la solitaire se retourna, constatant avec une pointe de tristesse que le troisième était mort.
Tant pis. De toute manière, il fallait les tuer, il le fallait. Passant délicatement sa langue sur la deuxième, seul signe d'affection qu'elle s'autorisa à leur procurer, la démone l'attrapa par la suite entre ses crocs avant de le jeter mollement contre un des murs de la grotte, un couinement échappant à la petite chose alors qu'elle retombait sur le sol. Morte. A son tour.

Restait le tout premier gosse. Celui qui l'avait fait souffrir en premier. Un putain de chieur qui n'avait pas de raisons d'être. S'apprêtant à l'envoyer rejoindre sa soeur, Delta attrapa le gosse par une de ses pattes, les crocs fermement encrés dessus et se tourna vers le mur. Après se serait finit, et elle pourra allez se reposer chez 'Thil...

-Tu disparais pendant presque un mois et je te retrouve ici, en train de massacrer mes propres enfants ?! Je devrais te tuer pour ce que tu as fait !

Le survivant était tombé à terre, et Koschei qui avait déboulé comme une furie l'avait acculé contre le mur du fond, sale, fatiguée, et couverte de sang. Et pourtant, elle gardait cette prestance, ce "haut-dessus de tout" qui la caractérisait. Un rictus moqueur ne manqua pas de venir déformer son museau. Il arrive trop tard le papa.

-Oh, je t'ai manqué, chéri?

Son museau effleura celui du leader des mercenaires, alors que la louve s'éloignait. Un coup d'oeil pour le louveteau lui affirma qu'il respirait. Solide. Elle aurait même pu le garder, si elle avait voulu des gosses. Mais il y avait Siska. C'était déjà... trop.

-Et bien tue moi, qu'attends-tu? Tu pensais quoi, qu'on allait fonder une belle petite famille? Que tu aurais de beaux héritiers. Dommage pour toi, celui-là est le dernier, et il ne risque pas de survivre.

On pouvait voir dans son regard qu'elle ne faisait pas ça par plaisir. Mais Delta connaissait la chanson. Pas question d'être la seule à s'occuper de mômes indésirés, et indésirables. Passant rapidement à côté du mercenaire, elle attrapa le petit entre ses crocs, couchée sur le sol. Ses dents ripèrent sur l'oreille du nouveau-né, alors que sa patte griffue se posait sur sa tête. Il saignait déjà. Si jamais il survivait, sans doute ne pourrait-il jamais marcher correctement.
Son regard vairon vint durement cogner celui de Koschei, alors qu'elle déclarait avec sincérité:

-Ne pense pas que je fais ça par plaisir. Mais je n'aurais pas pu m'en occuper de toute manière. Et ils n'étaient pas "prévu". Tu sais comme moi, qu'ils n'auraient jamais dû exister.

S'il voulait des gosses, qu'il aille les faire avec sa louve. Il devait bien avoir des pétasses sans cervelles qui lui collaient au train, juste quand il élevait son titre de leader. Elle avait autre chose à faire. Et puis sincèrement, Delta n'était même pas sur de survivre seule, avec Siska, mais alors avec d'autres... et puis, elle ne voulait pas faire de mal à sa rouquine. Après tout, Euphorie de l'Aube était la seule pour elle.

Tout ce qu'il avait eu le temps d'apercevoir était le passage d'un loup en furie, tenant un petit morceaux de chair sanguinolente entre ses crocs. Intrigué par l'odeur de liquide vital, le mercenaire s'était dirigé à pas de loup vers l'antre en pierre d'où finit par émerger une louve maigre, au pas mal assuré. Son regard était perdu dans le vague, et elle tremblait, sur le point de s'écraser sur le sol. Il sentit son regard se tourner vers lui, et soudainement, leur ressemblance le frappa. Il ne sut pas si la louve l'avait vu ou non, mais son regard vairon reflétait le sien comme un miroir. Plus maigre. Plus faible. Aussi seule.

Il la regarda s'éloigner, alors qu'il pénétrait dans l'antre de pierre. Du sang. Quelques éclats d'os sur le sol. Alors c'était ça. Un petit brisé, un autre à terre. Une conquête du mâle, et bien entendu, il avait voulu récupérer sa progéniture. Apparemment, elle ne lui avait pas accordé cette chance.
Alors que le noireau se retournait pour s'éloigner, un pignement vint heurter son ouïe sensible. Ses oreilles triangulaires se dressèrent, et il s'approcha d'un petit corps tremblant. Passant sa langue sur sa fourrure, plusieurs fois jusqu'à ce que la petite chose remue, Nocturne s'arrêta, conscient de ce qu'il était en train de faire.
... Et puis tant pis. Il trouverait une louve, et rapidement pour s'en occuper. Il se fichait pour le moment des conséquences, mais il ne se sentait pas capable de laisser mourir le louveteau d'une mère indigne qui lui ressemblait tant.