Pourquoi s'entêter à attendre la fin d'une vie qui n'est pas décidée à se terminer ? Pourquoi patienter si longtemps alors que rien ne s'arrêtera tant que je n'aurais pas mérité ma place en Enfers ? Je soupire, m'avance au milieu des ruines de la chapelle. Les terres de ma meute. Il s'en passe, des choses étranges, ces derniers temps. Et les guerres se préparent. Des guerres lourdes de conséquences, sanglantes. J'observe les environs comme si je débarquais ici. Comme si j'étais l'un de ces nouveaux membres de la meute alors que je suis un guerrier Navnik depuis déjà bien longtemps maintenant. Je m'avance au centre de la réserve des miens, et je hume les odeurs des cadavres. Ils me donnent faim, à être étalés là comme des provocateurs. Mais je me retiens. Nous aurons tout le loisir de manger lorsque tous les nôtres seront prêts. Et d'ici là, je me dois d'être prêt, de m'entraîner dur et d'entraîner dur les membres de ma meute qui en ont encore besoin. Malheureusement, ils sont nombreux à se trouver dans le même cas que moi. Nombreux à être encore trop faibles, trop lents, trop maigres. Je découvre du coin de l'oeil une ombre claire sur le côté. Un louvard qui se traîne là. Je plisse les yeux, l'observant quelques secondes. Tu m'étonnes que notre meute soit si faible, quand on voit le nombre de glandeurs à peine sevrés qui se trainent sur nos terres sans même se dire qu'ils pourraient utiliser ce temps précieux à s'entraîner et se préparer pour la guerre au lieu de ne rien foutre.

- Eh, t'as rien d'autre à faire que de glander ?

Autant motiver un peu les troupes. Si monsieur petit prince -parce que j'ai bien reconnu le fils de l'Alpha malgré mes maigres connaissances en la matière- daigne montrer un peu à un guerrier comment il sait se démerder, peut-être qu'il pourra faire remonter un tant soit peu son nom dans mon estime. Quoi que je n'ai aucune idée de son nom, en fait, mais peu importe finalement.

- Je te retourne la question. Évite de t'engrosser en mangeant ... tu n'arrivera plus à bouger et tu deviendra inutile. Il serait temps de bouger un peu non ? c'est pas bien de traîner ...

- La condescendance des Princes me filera toujours la gerbe.

Je me précipite sur lui dans un grondement menaçant, le plaquant au sol en le percutant de tout mon poids avant de me redresser aussitôt pour lui faire face. Moins de bla bla, plus d'action. Je lui tourne autour, les crocs à découvert et tous les sens en alerte. Si monsieur daigne mériter ce qu'il manger, il aura peut-être de quoi me faire passer un peu le temps. Je l'observe sous toutes les coutures, cherche ses faiblesses. Il est jeune, fort pour son âge et certainement entraîné. Être fils d'Alpha est un avantage, mais la pression qui va avec le rang est bien une réalité, elle aussi. Je suis certain qu'il doit se dépasser chaque jour pour que les membres comme moi ne le prennent pas pour un ridicule fils à maman.

- Alors gamin, il est où ton frère ? Il se dort la pilule loin de sa famille ?

J'affiche un sourire qui étire mes babines en un rictus malin, les yeux plissés en une grimace sordide. Si je voulais draguer, je n'utiliserais pas cette sorte de charme. Je sais que je fais peur, et j'aime inspirer la crainte. Mais ce petit con est bien trop prétentieux pour se laisser avoir par de tels stratagèmes, et je sais que tout ce qui court avec ses neurones à l'heure qu'il est, c'est la seule idée de me rentrer dedans. Allons, viens gamin.

Il me prend de vitesse, fonds sur moi comme je l'ai fais avec lui. Mais l'âge n'est visiblement pas à son avantage, j'ai plus d'expérience que lui. Je m'attends à ce qu'il tente de me percuter, je bande mes muscles et anticipe l'impact. Mais rien. Rien ne vient et je gagne plutôt un bon coup de patte sur la tête avant que le gamin ne s'affaisse pour me frapper au poitrail. Je gronde, recule d'un pas, et le toise alors qu'il prend ses distances. Je n'attends pas d'entendre ses paroles. Qu'il s'essouffle s'il en a envie. Je lui fonce droit dessus pour le percuter à nouveau, freine à la dernière seconde et alors que nos pelages se mélangent à leurs extrémités, je plonge mes crocs dans son encolure pour tirer sur la droite de toutes mes forces et lui faire perdre l'équilibre. Je le pousse brutalement avant qu'il ne commence à tomber et je l'écrase sur son flanc droit, opposé à ma position. Je bondis par-dessus lui pour ne pas perdre l'équilibre à mon tour et sans lâcher ma prise, tordant sa peau entre mes mâchoires comme si je m'apprêtais à l’étouffer comme l'une de mes proies. Je le relâche juste avant que sa peau ne cède sous la puissance de mon étau et je recule pour lui tourner autour, le fixant de mes yeux cyan et analysant chacun de ses mouvements. S'il croit qu'il va pouvoir faire le malin toute la journée, je vais lui rappeler qu'en temps de guerre, la parole mènera à la mort. Je ricane alors que son pelage est empli de poussière, et si le mien semble bien plus sale à cause de ma robe, je sais que c'est lui qui salira davantage l'eau lors de sa prochaine baignade.

Alors que tout s'enchaîne à une vitesse impressionnante, me voilà roulé sur le flanc, une douleur lancinante me brûlant le dos, et un gamin impétueux me tournant autour. Assez joué, petit. Je me relève en fronçant le regard, le toise une seconde et fonds sur lui sans prévenir. Je le percute, esquive sa chute et bondis par-dessus lui pour atterrir de l'autre côté. Je me retourne aussitôt, plonge mes crocs dans son encolure et le tire vers moi en reculant brusquement, avant de pousser de toutes mes forces pour le déstabiliser et le flanquer au sol. Sans lâcher me prise me voilà en train de le marteler de coups de griffes brutaux, tentant par la même occasion de me dégager de ses propres pattes pour ne pas me voir infliger trop de dégâts. Il faudrait vraiment que je me mette un guérisseur dans la poche, un de ces quatre. C'est que je leur file du boulot, et ce ne sont pas les Navnik qui me sont le plus venus en aide ces derniers temps. Je m'efforce de garder ma position au-dessus de lui alors que mes crocs mâchonnent son encolure et je continue de labourer son corps de mes griffes, mais la douleur dans mes muscles est si vive que je doute pouvoir tenir encore bien longtemps. Je souffle comme un veau, ma truffe retroussée en arrière par mes babines relevées n'aidant en rien à ma respiration déjà difficile.

Je me détache de son emprise avec une force colossale, l'écrasant sous la pression de mes membres pour ensuite le faire valser à distance et me relever d'un bond. Je n'attends pas davantage, je bondis dans sa direction et plonge brutalement mes crocs dans son encolure pour le tirer et le flanquer au sol. Le dominant de toute ma hauteur je me laisse choir sur lui dans un grondement furieux et capture de nouveau son encolure entre mes crocs pour secouer avec frénésie, comme s'il s'était agi d'une proie à abattre. Je gronde en sourdine entre mes crocs serrés et je m'efforce de maintenir la pression sur sa peau épaisse, veillant malgré ma colère à ne pas blesser le petit Prince. Mais alors qu'un son attire mon attention sur autre chose, ma concentration se perd et voilà le mioche qui prend immédiatement le dessus. Pas étonnant, il n'avait aucun intérêt à attendre une seconde de plus que je revienne à lui. Je jappe de surprise, me concentre à nouveau dans le combat présent et je concentre toute mon attention sur le sale môme qui me fait face. Nous nous tournons autour, nous jaugeons, et j'ai bien l'intention d'attaquer le premier encore une fois. Je ne perdrais pas face à un gosse, j'ai trop d'expérience et bien trop de fierté pour laisser faire une chose pareille. Alors, montrant les dents, je fonce dans sa direction. J'esquive à la dernière seconde et vire de bord pour reprendre un élan brutal et le percuter de toute ma force par le flanc, l'envoyant rouler au sol dans un amas de poussière volante. Je me précipite sur lui, bien décidé à garder l'avance que j'ai acquise, visant sa gorge de mes crocs meurtriers.

Le gosse s’acharne sur moi et je lâche des grondements sonores entre chaque morsure que je reçois, mais alors que l’une de ses attaques est légèrement trop espacée de la suivante, je me redresse d’un coup en me retournant pour lui flanquer un violent coup de griffe en pleine gueule, lui tournant le visage l’espace d’une seconde. Je me relève d’un bond et fais un écart pour m’éloigner de lui et je le fixe de longues secondes. Essoufflé, je suis las de son acharnement et de sa condescendance déplacée. Ce môme fait chier rien que par sa détermination, et je déteste m’entraîner avec des semblables comme lui. Je n’ai pas le droit de les buter et c’en devient frustrant. Je gronde, bondis en avant, freine et finalement ne m’arrête pas, le contournant vivement pour amorcer un demi-tour sec et lui faire face à nouveau, lui laissant à peine le temps de se retourner pour le charger à nouveau. Je plonge mes crocs dans son épaule et je tire d’un coup sec en arrière pour lui faire perdre l’équilibre, lâchant pourtant avant qu’il tombe et reculant pour mieux plonger sous lui. Je capture sa postérieure et cette fois m’efforce de le déséquilibrer complètement pour le foutre au sol avant de me redresser, cherchant à atteindre sa gorge. C’est évidemment sans compter la réactivité du môme qui me laisse encore sur le cul et qui lui donne une énième fois l’avantage. Forcé de me retenir face à lui, je ne parviens pas à prendre le dessus alors que je le voudrais plus que n’importe quoi d’autre. Je gronde, me dégage de son emprise et m’éloigne d’un bond lest avant de m’arrêter, le fixant dans les yeux en tâchant de reprendre mon souffle par la même occasion.

- Bon, tu m’les brise.

Dans un claquement de mâchoires agacé, j’amorce un demi-tour sur moi-même et je m’éloigne du terrain d’entraînement, bien décidé à laisser cette cuisante défaite derrière moi, loin dans le passé. Et je me promets que plus jamais je ne m’entraînerais avec ce petit con.