Athos n’avait pas prévu de se balader ce jour là. Il avait trop de choses à faire. Depuis la libération il y avait tout juste un mois, le travail s’était encore dédoublé, entre les blessés, les Hellhound, les catastrophes naturelles. Athos avait beaucoup de choses à gérer. Mais il s’en sortait. Quoi qu’il arrive, il garde la tête haute et tentait d’insuffler du courage aux siens comme il savait le faire pour ses troupes lors d’une bataille. Athos avait cela dans le sang, commander, soutenir, guider. Il vivait pour cela et à travers ça, c’était son but dans la vie, rétablir un ordre, maintenir un semblant de justice dans ce monde où cela semblait impossible. Après avoir passé la matinée à chasser, Athos commença à s’aventurer un peu plus loin que son territoire de chasse de prédilection. Il commença à s’entraîner à nouveau. Cela faisait longtemps qu’il n’en avait pas eu l’occasion. Il avait couru, environ une bonne heure le long de l’autoroute éventrée. Après cette longue balade, il avait continué à courir un peu plus loin. Enfin, il arriva près d’un cours d’eau assez large. Il ne venait que rarement par ici, il n’aimait pas l’atmosphère, lourde et pesante. L’eau de ce fleuve était comme noire, âcre, épaisse et huileuse. Athos n’aimait pas vraiment cet endroit, il préférait la forêt aux pendus où il observait les cadavres de parachutistes, en se demandant comment les Hommes avaient pu parvenir à voler. Voler. C’est une chose qu’Athos aimerait faire. Il n’avait jamais vu d’avion voler, il semble que les Humains étaient à court de carburant, ou qu’ils n’avaient tout simplement plus d’avion. Mais en regardant la carcasse de l’avion, où Athos vivait dans le cockpit, il avait été fasciné. Toutes ces commandes, ces boutons, son ergonomie tout à fait impressionnante ! Comment l’Homme avait-il pu parvenir à construire une telle machine capable d’imiter ce que fait la nature en mieux ? Comment l’Homme a-t-il pu s’autodétruire alors qu’il était le sommet même de la chaîne alimentaire, qu’il ne craignait rien ni personne, qu’il était capable de nager comme le requin et de voler comme l’oiseau ? La mer, l’air et la terre lui appartenaient... Comment avait-il pu tout perdre ?

Athos poussa un long soupir. Il repensa à cette église, aux vitraux merveilleux, à la lumière de mille couleurs, brisés en morceaux innombrables. Le destin même des Hommes. Tant de beauté, d’ingéniosité et d’Horreur, d’atrocité à la fois. Quelle cruauté du monde. Athos se baissa et huma le fleuve. Acre et écœurant. Athos s’éloigna de ce qu’on ne pouvait même plus appeler un cours d’eau et passa derrière les buissons il allait repartir quand il sentit une odeur, une odeur Navnik. En un éclair, il relia l’odeur à son propriétaire. Ebène, un des loups les plus fidèles d’Helya. Athos se méfia tout de même. Il ne portait pas les Navniks dans son coeur, même si la mère de ses enfants et ses enfants en faisaient partie. Cependant, depuis les négociations avec Helya, il avait revu son idée toute faite des Navnik que la meute Sekmet avait fini par prendre pour cible, l’accablant de tous les maux possibles et imaginables. Sauf qu’Athos n’étaient pas de ceux-là. Il aimait la justice plus que tout et avait fini par se dire que peut être, certains ne méritaient pas les qualificatifs qu’on leur accordait. Mais Athos restait néanmoins plutôt hostile à certains Navniks, en particulier ceux contre qui il s’était battu ou contre qui il vouait une haine tout à fait personnelle. Comme Atom par exemple. Et pourtant, il avait réussi à aimer (aimer au sens d’Athos bien entendu) sa propre fille ! Il fallait dire que les deux louves étaient les exactes opposées. Le fait d’avoir partagé des nuits avec Anya et d’avoir des enfants avec elle n’empêcherait pas Athos une seconde de réduire Atom en miettes pour ce qu’elle avait fait. Il la haïssait toujours pour cela, même si ce n’était plus vraiment d’actualité.

Athos ignora le loup noir, ne s’en approcha pas, quand quelque chose lui mit la puce à l’oreille. Le vent était contre Athos et portait directement son odeur vers Ebène. Impossible que ce dernier ne l’ait pas senti. Alors pourquoi était-il resté ainsi, à attendre ? Il voulait qu’il avance, il voulait peut être se confronter à Athos. Alors le général n’avait plus le choix. Politiquement parlant, ce serait une faute de partir comme ça, et les relations entre Navniks et Sekmets étaient déjà assez tendues. Et puis, il y avait autre chose. Ebène était connu parmi les Sekmet, mais Athos ne le connaissait pas du tout. Il l’avait aperçu et entendu de réputation. On disait que c’était un loup étrange, aux valeurs dépassées. Athos était un loup dont on ne pouvait assouvir la soif de savoir. Athos s’approcha donc, tout en gardant une distance. C’était un Général, et plutôt diplomate, mais surtout un loup de combat. Il aimait pourtant plus que tout apprendre. Et c’était ce qu’il allait faire.

« Ebène. »


Salutation ou constatation ? A voir...

Le loup noir resta évasif, il avait l’air distant sans pourtant chercher à éviter le contact, comme s’il était curieux de découvrir qui se trouvait vraiment en face de lui. C’est vrai, après tout. Qui était Athos ? On en disait beaucoup sur lui, certains l’admiraient pour avoir atteint un poste si louable à un si jeune âge et pour être devenu un des loups les plus forts des Sekmet, mais aussi pour ses valeurs et son honneur, d’autres le haïssaient exactement pour ces raisons-là. La phrase « Nous n’avons pas les mêmes valeurs » prenaient ici tout son sens. Beaucoup n’avaient tout simplement aucune valeur. Ils vivaient dans un monde de bêtes, sauvages et avides. Certains loups étaient devenus pires que les Humains eux-mêmes. Athos pouvait en citer plusieurs, beaucoup même. Certains étaient cruels, avides de sang, certains ne distinguaient pas la guerre du meurtre, certains ne distinguaient pas la défense de l’assassinat. Certains tuent pour manger, d’autres par plaisir, certains poussaient le vice jusqu’à tuer sans même se nourrir du corps de la bête égorgée. Athos n’était pas de ceux qui voulaient protéger les herbivores. Il était un carnivore, il était un loup dans son entière mesure, un vrai, qui se nourrissait de chair et de sang. Mais Athos ne tuait que lorsque c’était nécessaire, voire vital. Il tuait parce qu’il le fallait, non parce qu’il le voulait. Et jamais il n’avait encore tué l’un des siens. Il en avait blessé, certes, gravement peut être même, et beaucoup plus d’un. Mais Athos était un chef de guerre, comment pouvait-il en être autrement ? Il avait cela dans le sang, le combat, la stratégie surtout. Athos était un fin stratège, et c’était pourquoi il avait été nommé aussi tôt général par Empress, pas seulement pour sa volonté et ses capacités physiques, mais aussi pour ses valeurs et son sens aigüe de la stratégie. C’est même Athos qui avait été chargé d’organiser le sauvetage des siens au Laboratoire, mais il était resté à la tête de la meute en attendant, pour qu’au moment où les Sekmet sont vulnérables et sans Alpha, personne ne soit là pour leur prendre quoi que ce soit, et surtout, que quelqu’un soit là pour les défendre.


Le loup noir lança un coup d’oeil narquois et presque léger, comme si c’était dit, à Athos. Doucement, assuré et sans même prendre la peine de défier Athos du regard pour les accusations qu’il lançait, il félicita Athos pour sa belle progéniture. Le jeune général Sekmet ne sourcilla pas. Ainsi, il y avait encore des loups avec un brin de cervelle. Bien sûr, il était évident qu’un Navnik au moins ait remarqué qu’Athos était le père des enfants d’Anya. Il arpentait librement leur terre sans qu’Helya ne sourcille, Anya s’éclipsait discrètement avec sa marmaille « comme par hasard » dès qu’il était dans le coin. Et puis, Anya était revenue pleine de son escapade d’espionnage avec Athos. N’était-ce pas un merveilleux « Hasard » ? Athos ne nia pas. Il était le père, et que les Navnik le sache, il n’en avait rien à faire. Mais pour l’instant, sa meute ne devait pas encore être au courant. Beaucoup détestaient Atom, tout comme lui, mais peut de loups étaient capable de faire la part des choses, surtout quand la fille rappelait tant la mère de par son physique. Athos aussi avait été très perturbé la première fois. En fait, il avait essayé de tuer Anya. Mais finalement, elle avait su le conquérir. Pendant quelques semaines, ils s’étaient cherché, puis abandonnés l’un à l’autre lorsqu’ils réussirent à s’évader ensemble du laboratoire. Les seuls loups à avoir jamais réussi de sortir d’un enfer pareil. Athos avait été le premier loup à s’en sortir, et n’avait pu se résoudre à laisser Anya. Ils s’étaient entraidés, puis Anya l’avait secouru lorsque le jeune loup avait été effleuré par une balle. Oui, il était le père, et il en était fier. Fier d’avoir des enfants aussi exceptionnels, fier que la mère de ses enfants soit Anya. Et ce, même si elle était la fille de sa pire ennemie. C’était ça aussi, L’Honneur, c’était le sens de la Justice. Ne pas laisser les enfants porter le fardeau : c’était de la Justice.


Athos regarda droit dans les yeux le loup noir, sans tenter de fuir ses paroles, ni son regard, bien posté, fier et droit, distingué comme toujours par sa franchise et son air narquois. Il ne répondit pas directement au loup, mais pourtant ne dériva pas non plus la question.

« Je ne laisserai pas Anya et les enfants mourir de faim dans tous les cas. Et toi, comment se passe cette vie dans ta nouvelle meute ? »


Oui, parce qu’il ne fallait pas oublier une chose : Ebène avait été Sekmet. Il avait peut-être pu entendre parler du jeune et impétueux Athos, toujours prêt à agir selon ses idéaux, quoi que les autres en disent, ce qui lui avait causé bien des problèmes dans sa plus petite jeunesse, dès son arrivée à 8mois chez les Sekmet. Il n’avait pas cautionné bien des choses, il s’était même dressé contre un loup une fois, alors qu’il sortait à peine de son âge de louvard, oui, contre ce loup qui avait voulu punir une gosse. Il ne se souvenait plus pourquoi, mais si un Ancien n’était pas intervenu, Athos se serait battu contre ce loup. Déjà à l’époque, il était battit, carré et taillé pour le combat. Son but avait toujours été le même : si la Nature ne voulait pas être juste, alors il rendrait la Justice lui même, il serait celui qui élèverait les siens, il serait le Justicier, il serait celui qui ne laisserait personne s’en prendre à un innocent, quelle que soit sa meute, quel que soit son passé. Il était de ceux aux idéaux forts et marquants, ceux qui croyaient encore pouvoir refaire le monde à eux tout seul. Si Athos avait bien grandi depuis, son optique n’avait pas beaucoup changé. Au contraire, il avait appris bien des choses, il avait pris en sagesse aussi peut-être bien. Mais surtout, il s’était cultivé sur tout, sa soif d’apprendre était inétanchable. C’était Athos.

L’autre loup semble être aussi calme et posé que le général, assuré dans chacun de ses gestes, tout semblait si naturel et calculé au millimètre à la fois. Athos regardait intensément ce loup qui semblait se ficher d’où il allait ou d’où il venait. Ce qui comptait pour lui était uniquement l’instant présent. C’était étrange à dire pour Athos, qui lui était si attaché à l’idée d’être des Sekmet, LA meute pour lui, la seule qui méritait qu’on puisse se battre pour elle. Enfin, ce n’était aujourd’hui plus tout à fait exact. Les derniers mois l’avait changé. Sa captivité l’avait changé, les Hommes l’avaient changé. Anya l’avait changé. Elle, son esprit vif et critique, toujours à répondre du tac au tac à chaque fois qu’Athos faisait presque l’apologie de sa meute. C’est elle qui lui avait ouvert les yeux sur Hige et sa clique. Elle le lui avait dit, elle lui avait dit, quand il disait pouvoir mourir pour les Sekmet et pour son Alpha, alors qu’il pensait qu’Empress était toujours envie. Il se souviendra toujours de cette réplique d’Anya, furieuse d’entendre qu’Athos pourrait mourir pour sa cause, ces paroles qui ressemblaient à peu près à ceci : « Et ta meute, tu penses sincèrement qu’elle ferait la même chose pour toi ? Réfléchis ! Aucun d’eux n’est venu te sortir de l’enfer du laboratoire ! Nous nous en sommes sorti seuls Athos, seuls ! ». Les paroles d’Anya avaient raisonné comme un tambour fracassant dans la tête du jeune général. Il n’avait pas douté une seconde de ses convictions, et en fait, il n’avait d’abord pas accordé de crédit à ce que la belle louve blanche qui avait été la seule à exister pour lui pendant une nuit entière. Puis tout avait basculé quand il fut de retour chez les siens. Empress était morte, Hige avait pris sa place. C’était la pire nouvelle qu’Athos puisse entendre. Non seulement celle qui avait maintenu les Sekmet dans les meilleurs avait disparu, mais aussi, celui qui était le plus influençable de tous, celui qui était soumis corps et âme à Torka, était devenu la marionnette qui montait sur le trône, sans même l’accord des membres de la meute. Athos n’y avait d’abord pas cru, cela raisonnait comme une blague de mauvais goût à ses oreilles. Il n’avait pas accepté ce fait. La meute allait couler, sombrer dans le plus profond des précipices.

L’heure n’était plus au doute. A présent, Athos savait qu’il n’était pas seul à penser ainsi. Que beaucoup le pensaient aussi. Alors bientôt, il tenterait le tout pour le tout. Sauver les siens, ou se perdre lui-même. Le sacrifice était grand, mais l’enjeu l’était aussi.


Il me répond alors :

« Tant mieux Athos tant mieux, dans le cas contraire ca n'aurait pas collé avec l'image que je m'étais faite de toi. Quant à ma vie dans cette nouvelle meute. Elle est très prenante en raison de mes responsabilités de bras droit. Chasser, patrouiller, conseiller, entrainer, féliciter, protéger j'adore cela. C'est ce pourquoi ma mère adoptive m'avait formé et cette meute m'a donné l'occasion de passer à la pratique. Pour le reste je n'ai ma foi pas à me plaindre, une compagne et deux enfants en bonne santé, un frère retrouvé et quelques personnes appréciables. Que demandez de plus hein. Et toi général comment cela se passe chez les Sekmets ? »



Le jeune loup fut légèrement surpris. Ainsi, Ebène avait déjà une image de lui ? Mais d’où la tenait-il ? D’Anya peut-être, ou des impressions qu’il avait faites à Helya lors de leurs rencontres. Ou alors, tout simplement lorsqu’Athos avait eu l’audace de se présenter à la réunion de meute des Navnik, alors même qu’ils étaient tous en guerre il n’y avait encore que très peu de temps. Il y avait peut-être un grain de folie dans les actions d’Athos. Mais toujours, il existait une bonne voire excellente raison à ses actes. Athos était un stratège et un combattant. IL aimait tout calculer, tout prévoir, rien ne devait sortir de ses prévisions. Quand le plan A échouait, il y avait un plan B, puis C puis D puis encore jusqu’à ce que rien ne puisse le mettre dans une position insurmontable. C’était lui, il était fait comme ça. Pour prévoir, contrôle, maintenir l’équilibre et l’ordre en commençant par faire ceci dans sa meute.


« Une réputation. On dit beaucoup de choses sur moi en ce moment. Il faut se méfier parfois des ouï-dire Ebène. Cela m'amuserait de savoir ce qu'on dit de moi. »

Il argua un petit sourire sarcastique. Les rumeurs n’étaient pas toujours fondées. Ebène lui avait un peu raconté sa vie, bien que cela, à première vue, ne devait pas intéresser grandement Athos, il fallait être naïf pour se dire qu’Athos n’en avait rien à faire. Au contraire. Il ne cessait d’emmagasiner sans cesse des informations à propos de tous, pour cerner au mieux les personnages qui pouvaient un jour se trouver face à lui. C’était aussi cela sa force. Rarement d’ailleurs. Il continua alors :

« Je vois que tu as beaucoup d’occupations importantes dûes à ta nouvelle situation. »


Athos n’aimait pas mentir. Mais il ne pouvait pas révéler à un Navnik que les Sekmet n’allaient pas bien. Pas qu’il ne lui faisait pas confiance, non, il n’était pas encore question de cela. Mais cela n’était pas stratégiquement logique.

« Ma meute se prépare aux changements qui s’annoncent. On dit que les Hommes bientôt seront une encore plus grande menace qu’avant. »



Rien n’était faux dans ce qu’il venait de dire. Le sujet humain devenait de plus en plus tendu. Ne pas avoir ses enfants près de lui pour les protéger rendait Athos anxieux. Il savait qu’Anya saurait les protéger. Mais c’était ses enfants. Il ne pouvait se résoudre à ce qu’ils voient un jour les horreurs qu’il a pu voir au laboratoire.