Je ne devrais probablement pas m'éloigner autant des frontières de ma famille. D'autant que mère nous l'a répété assez souvent : nous n'avons pas de terres. Mais c'est plus fort que moi, j'ai besoin de découvrir le monde et les frontières odorantes fixées par les loups de meute ne peuvent pas me freiner, ni même freiner mes désirs d'aventures. Je veux voir le monde, et ce même si le monde ne veut pas me voir ! Alors, prudente, je m'aventure derrière les marquages urinaires déposés là par des adultes matures, et j'entre sur les terres de ce que maman à souvent nommé "meute" pour y renifler de nouvelles odeurs, toutes plus intéressantes les unes que les autres. Je découvre alors une créature des plus étranges, que je n'aurais jamais imaginé voir un jour. Un être minuscule possédant un corps court, tout en longueur avec des pattes si fines que je les vois difficilement. Et surtout, des ailes ! Ces choses immense par rapport à l'être, colorées de mille et une couleurs, qui vibrent sous une force certainement colossale et qui lui permettent de s'élever au-dessus du sol ! Je suis le petit animal avec le regard empli de milliers d'étoiles, admirative devant tant de force et de beauté. Je le suis sans plus faire attention où je mets les pattes, et même si je me sais sur des terres probablement interdites, je continue d'avancer et d'essayer d'attraper la petite créature qui pourtant ne semble pas me craindre. Il est étrange de se dire que parce qu'elle est si petite, elle n'a rien à craindre de moi qui suis amenée à devenir l'un des plus gros prédateurs de ce monde.

Le papillon vole plus vite et plus loin que j'aurais osé l'imaginer. Comment un être si minuscule peut-il parcourir de si grandes distances sans se fatiguer, alors que moi je commence déjà à ressentir la faim dans mon estomac ? Comment ce petit animal si étrange peut-il parvenir à faire de si grands voyages sans éprouver la moindre difficulté ? Et va et vient autour de moi, peut-être cherche-t-il quelque chose ? Ne m'a-t-il pas remarquée ? Je suis pourtant bien plus imposante que lui ? Si le jeu me plait, l'agacement me gagne peu à peu. Je n'aime pas comme mon nouvel ami m'ignore. Il pourrait au moins avoir la politesse de me saluer, de me dire qu'il est occupé et qu'il reviendra me voir plus tard !

- Eh ! C'est impoli de me fuir et de ne pas répondre !

Je bondis à sa suite, essaie de le mordre pour le punir. Mais il m'échappe de justesse en quelques battements d'ailes et se retrouve plus haut que je ne saurais sauter. Je grogne, grince des dents.

- Eh ! Mais reviens ! Tu es un tricheur !

Je me tapis au sol, rampe derrière lui jusqu'à ce qu'il cesse de se méfier et redescende. Je m'apprête à sauter à nouveau sur lui, quand une voix m’interpelle derrière moi.

- Hey ! salut !

Je jette un regard intrigué sur la petite louve. Même carrure, même regard insoucieux. Une louvette de mon âge ! Une nouvelle copine ! Je lui lance un sourire ravi, mais rapidement mon attention se reporte sur mon premier copain. Je pars à sa poursuite sans attendre.

- Viens vite ! Aides-moi à l'attraper !

Je saute comme un cabris derrière le petit être ailé, espérant que ma nouvelle amie me suivra dans cette course folle. Je bondis à gauche, à droite, et claque des mâchoires alors que l'autre ne semble même pas me remarquer. C'est comme si je n'existais pas ! Je commence à gronder, et cette fois je le prends pour une proie. Puisqu'il ne veut pas être mon copain, je le mangerais !

Hors de question de me laisser ignorer de la sorte par une fichue petite bestiole ailée et mal élevée ! Maman m'a toujours dit de ne pas parler aux inconnus, mais ce n'est pas comme si cet animal était en danger avec moi ! Il pourrait au moins faire une pause dans sa vie pour jouer avec moi ! Je m'efforce de rester tout près de lui, bondissant d'un pas à l'autre pour tenter de l'atteindre, ne me concentrant plus du tout sur la petite louvette croisée quelques secondes plus tôt. Mais par chance, cette dernière est entrée dans mon jeu et là voilà à mes côtés, essayant elle aussi de capturer ma proie. Je me mets à rire, plus amusée par notre maladresse qu'agacée par l'échec cuisant que nous fait subir l'étrange animal. Soudain, j'aperçois du coin de l'oeil une branche qui pourrait me servir. Large, haute, je devrais pour grimper dessus et prendre appui pour m'envoler à mon tour ! Je ne perds pas une seconde, m'élance par-dessus le tronc écroulé et me jette dans les airs à la suite de ma proie. J'ouvre grand les mâchoires, claque juste autour de l'animal, et retombe lourdement en roulant dans la poussière. Je m’étouffe à moitié avec quelque chose, mais lorsque je rouvre les crocs je réalise que ce n'était que de la poussière : le papillon vole toujours et s'éloigne. Je grogne doucement, mais alors que mes yeux bruns se reposent sur ma nouvelle copine, je pars d'un rire radieux, explosant de bonheur après une telle aventure. Je roule sur moi-même pour me redresser enfin, m'ébroue avec énergie, et rejoins ma copine pâle au regard si curieux.

- Merci ! Moi, c'est Koda !

Je n'aurais peut-être pas eu une victoire pour ma toute première chasse, mais aujourd'hui m'aura apporté une nouvelle amie et c'est tout ce que je pouvais espérer.

La petite louve se présente à son tour, et vu sa taille face à moi nous devons être probablement d'un âge très proche. J'y pense parce qu'elle me demande le mien, et alors que j'hésite quelques secondes à lui répondre, je me dis que je n'ai rien à faire ici, que je n'ai pas le droit de sortir de la tanière. Mais maman est partie chasser, et papa n'était pas dans les parages alors je me suis faufilé dehors pour découvrir ce monde immense qui m'appelle sans cesse.

- Un mois dans cinq jours ! Et toi ?

A mon avis à peu près le même âge, parce qu'elle n'est ni plus grande, ni plus petite que moi. Je suis contente de rencontrer une louvette aussi téméraire que moi, même si sa présence implique la potentielle présence de ces parents, et que ces derniers représenteraient un danger certain pour mon frère et moi s'ils apprenaient notre existence. Mais je suis trop insouciante pour me préoccuper de ça, et je ne pense alors qu'à jouer et à faire connaissance avec cette nouvelle amie qui m'a aidé à attraper ma première proie, même si l'entreprise s'est avéré être finalement un gros échec.

Je l'observe longuement, étonnée et ravie à la fois d'avoir fait la rencontre d'une louvette aussi gentille. Peut-être que je viens de me faire ma toute première amie ? Je souris à pleins crocs, trop heureuse pour oser me poser des questions, trop insouciante pour imaginer qu'un quelconque danger puisse rôder autour.

- Moi j'ai déjà cinqs moi ! tu habite par ici ? c'est qui t'est parents ? tu a des frères et soeurs ?

Tant de questions, et pourtant toutes les réponses courent dans ma tête à une vitesse fulgurante. Je continue de sourire en l'écoutant avec attention, préparant déjà mes mots pour lui répondre.

- J'habite à l'est, avec mon frère Audric et nos parents Emarok et Kali.

Je m'apprête à lui retourner la multitude de questions, mais un hurlement se joint à ma voix pour m'empêcher de m'exprimer. Mes yeux s'ouvrent tout rond, je reconnais là la voix de mon frère. Je lance à Miuna un regard désemparé pendant une fraction de seconde, mais le hurlement s'intensifie.

- Je dois partir ... Au revoir Miuna, j'espère te revoir très vite !

Et avant même qu'elle n'ait pu répondre, je suis déjà en train de courir en direction de mon frère. Audric s'inquiète toujours pour moi, et je ne supporte pas l'idée qu'il se fasse du soucis. Alors je me dépêche de le rejoindre, de toute façon il est grand temps de rentrer à la maison. Mais je reviendrais ici, je retrouverais ma nouvelle amie pour de nouveaux jeux à partager.