Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Les pattes de la grise s’enfonçaient lourdement dans le sol boueux, éclaboussant son pelage de cette texture terrestre poisseuse. Jules se concentrait sur ses sens, ses ressentis. Elle se devait d’être dans le moment présent, de se donner à fond. Car l’appel de la faim guidait ses actes. L’estomac grondant, elle évitait les cavités marécageuses et contournait les quelques vieux arbres aux branches qui se contorsionnaient, lugubrement. Quand certains étaient relativement proches, c’est-à-dire à quelques longueurs de queue seulement, leurs extensions s’entremêlaient, formant des tunnels végétaux qui assombrissaient les environs. Jules pensait puis fut persuadée qu’ils étaient des cachettes idéales pour le gibier. La louve se dirigeait vers un petit monticule que la vase avait épargné, ennuyée au plus haut point par cette dernière qui ralentissait ses déplacements. En effet, la grise s’inquiétait de ne pas pouvoir courses ses proies au milieu de ce grabuge. Vous devriez vous jeter dans ma gueule et vous précipiter sous mes griffes, honorés de crever pour moi, eut-elle envie d’hurler sous peine de faire fuir toute la population des environs. Arrivée près de la petite colline, principalement constituée de rochers mousseux, elle accéléra la cadence. D’un bond maladroit, elle arriva à son sommet et pu avoir une vue d’ensemble sur le marécage. La chasse pouvait commencer.
Alors qu’elle observait avec attention le paysage, tout en fouettant l’air de la queue pour se débarrasser des mouches et moustiques qui lui tournaient autour, Jules remarqua une forme mouvante et rapide dans le petit lac qui se trouvait à ses pattes. Un poisson ! Avec la précipitation d’une débutante, sachant qu’elle n’en avait jamais attrapé, elle lança patte à l’eau, là où sa proie lui semblait être. Malheureusement trop vivace pour elle, et n’ayant pas pensé à prévoir la trajectoire de cette dernière, sa paume ne fit que s’enfoncer spongieusement dans le fond tapissé d’algues. Tant pis, elle y arriverait sûrement la prochaine fois.
Dé numéro 2 = 11, chasse réussie.
Aussitôt que sa patte fut hors du bassin, la louve tillât. Un frémissement dans les buissons qui se trouvaient non loin derrière elle avait parvenu jusqu’à ses oreilles. Avec déjà l’eau à la bouche, elle se rendit compte que la proie intéressée était un petit lièvre chétif qui avait dû sûrement survécu avec difficulté à l’hiver. Avec toute la discrétion qu’elle pouvait mettre en acte, elle se faufila entre les flaques moussues et fronça la truffe. Il grignotait quelque chose ; c’était le moment. La grise se projeta en avant à l’aide d’un bond puissant et arriva près du gibier qu’elle acheva d’un coup de dent furieux à la jugulaire.
Après avoir enterré le petit être sous quelques nostocs, la louve grisâtre secoua à la hâte son pelage avant de repartir vers la butte en trottinant. Cela n’était pas avec cette proie fébrile qu’elle tiendrait longtemps, elle se devait de débusquer autre chose. Truffe au vent, Jules s’attarda sur l’odeur tout autant putride qu’acide de l’endroit. Des minutes longues passèrent la poussant finalement à changer de localisation. De quelle impatience elle faisait preuve ! En effet, la jeune louve perdait sa placidité aussi vite que sa forme ces temps-ci. Mais elle ne s’en inquiétait pas, tout ce dont elle avait besoin n’était que de viande fraichement tuée. Cela lui remettrait ses pendules hormonales à l’heure dans la foulée. Ses pupilles s’agrandirent quand un appétissant fumet de sanglier lui emplit ses narines. Y’en avait au moins un de pas loin. Et après l’avoir aperçu retournant de larges mottes de fange, Jules écarquilla d’autant plus ses yeux devant le spectacle qui s’offrait à elle. Ils étaient trois. Quelle aubaine. Se tapissant entre les roseaux qui les encerclaient, Jules pris son élan puis s’élança. Il fallait être vif et agile pour espérer faire chasse fructueuse. Comme son saut fut bien calculé, elle en assomma un premier avec un coup d’antérieur sur le crâne.
Dé numéro 2 = 3, chasse ratée.
Changeant sur le champ de cible, elle commença à courser les deux autres. Mais le terrain eu raison d’elle à cause de son poids et de sa formidablement inexistante adresse. Ayant perdu la piste des fugitifs, la louve dû à contre cœur faire chemin inverse avant d’achever sa prise.
C’était le moment, l’heure, le jour. Fallait qu’elle y retourne, qu’elle y retourne se remplir la panse. Alors la grise s’aventura à nouveau dans les marécages, les crocs serrés, essayant de s’habituer le plus rapidement à l’odeur nauséabonde qui régnait en bonne maîtresse sur ces lieux, et dont la louve avait oublié l’existence.