A priori, cette journée avait commencé comme toutes les autres, et ne semblait prévoir dans son planning de devenir exceptionnelle. Et pourtant.
Zwey venait de se réveiller - pour la cinquième fois - après avoir juré devant toutes les puissances de la nature que oui, il allait se mettre à bosser, absolument Nymeria, absolument - et s'apprêtait à quitter l'ombre tranquille de la cave lorsqu'une odeur inhabituelle frappa son museau. Inhabituelle au sens "qui au grand jamais n'est supposée se trouver là".
Une odeur navnik, donc. Le général avança lentement dans les galeries désertes - oui, à cette heure-ci, tout le monde était occupée à une quelconque tâche utile, sauf lui - jusqu'à apercevoir l'ombre d'une grande louve blanche qui s'y promenait comme si de rien n'était.
Bon. Ok, il paraissait qu'ils étaient en trêve avec les Navnik. Mais Zwey doutait que les clauses de ladite trève autorisent aux membres des autres meutes de se balader impunément dans le repaire esobek.
Et puis d'abord, elles foutaient quoi les sentinelles ? On peut plus compter sur personne, franchement. De son tem...

« Est-ce bien toi Déchéance Sarcastique ? »

Eh.
Faut pas te gêner hein. Fut la première pensée, un peu tardive, qui traversa l'esprit de Zwey à ces mots.
Non, Lapereau des Plaines Fleuries, désolé, vous vous êtes trompée d'adresse. Fut la seconde, nettement moins pertinente.
Après ça, le loup brun trouva de quoi se demander comment la femelle connaissait son nom, et pourquoi est-ce qu'elle le cherchait. Si Koschei - son amant, si si - voulait le voir, il y avait des moyens plus simples que d'engager une navnik pour venir le chercher et... non, définitivement, ça ne collait pas.
Louche, cette histoire. Pourquoi diable toutes les femelles de la terre semblaient décidées à lui tendre des chausses-trappes, dernièrement ?

« Peut-être. Ça dépend qui demande et pourquoi. »

En l'occurrence, qui, il s'en rendait parfaitement compte, mais elle n'avait pas besoin de le savoir. Flatter l'ego des gens dont il ne désirait rien n'avait jamais été dans les priorités de Zwey - trop fatiguant pour lui. Et en l'occurrence, en sa qualité d'alpha déchue, Atom n'avait en effet rien à lui offrir.
Alors que lui pouvait très bien rameuter son groupe d'un instant à l'autre, et la louve blanche ferait moins la maline avec une douzaine de loups en colère sur le dos.

« A ta place ma grande, je me dépêcherais. C'est qu'il y a un petit paquet d'esobeks qui traînent dans le coin tu vois. »

C'est pas comme si c'était là qu'ils habitaient, tu vois.

edit. OPIUM ARRÊTE CA TOUT DE SUITE.

A bien y réfléchir, Zwey était quasiment certain d'avoir déjà rencontré cette louve auparavant. Très brièvement ; il n'aurait su se remémorer où. Une chose était certaine : elle ne lui devait rien, sinon il l'aurait gardé à l'esprit. Ah, et à priori elle ne lui avait pas laissé un très bon souvenir non plus.
En même temps, vu les manières de l'animal, rien d'étonnant à cela.

« Cela fait bien longtemps que ces ptits là ne me font plus peur, tu sais, Sarcastique. » Reprenait justement cette dernière d'un air hautain qui semblait littéralement gravé sur sa gueule. « Ils n'ont pas été capable de gagner la Dune face à une meute naissante, ni même de gagner la guerre qu'ils avaient eux-même provoqué. Yroen était la seule leader capable de mener ces asticots à la victoire et elle n'est plus. Dommage. »

Wow, qu'est-ce qu'elle cause celle-là. Zwey retint à peine un reniflement dédaigneux. Il voulait bien croire que la louve qu'il avait en face de lui avait été, jadis, une créature puissante, une alpha crainte et/ou respectée à laquelle nul n'osait s'attaquer. Mais de ce qu'il pouvait juger d'elle dans la semi-obscurité qui les entourait à présent, même lui pourrait la mettre K.O à présent. Elle avait perdu en stature, l'Atom.

« De la part de quelqu'un qui s'est enfuie la queue entre les pattes en laissant son embryon de meute aux mains de Sekmets, tu m'excuseras si je ne m'extasie pas devant l'avis de Ta Majesté. »

Ébauche de courbette ironique. Les yeux du mâle étincelaient de malice dans la pénombre. Quelle qu'en soit la raison - du mépris, certainement - la louve décida de ne pas relever. Et passa immédiatement au but de sa visite :

« M'enfin, asticots ou pas c'est pas mon problème. A ce qu'il paraît tu fais des louveteaux sur commande, hein ? T'veux quoi en échange, le Sarcastique ? »

Wow. On la lui avait jamais faite, celle-là. Difficile de faire plus cash.
Un instant, Zwey se retrouva à fixer la navnik d'un air passablement vide - ça allait lui donner de l'eau à son moulin à la vipère, tiens - en cherchant à comprendre s'il avait bien entendu ce qu'il avait entendu.
Mais l'animal étant ce qu'il était, il se remit très vite. Et ne mit pas un quart de seconde à comprendre l'intérêt de la situation. Ainsi qu'à additionner deux et deux pour tirer quelques conclusions sur l'état psychologique de la louve en face de lui.
Mais sérieusement, songea-t-il alors qu'un sourire amusé naissait sur ses babines et une lueur calculatrice dans ses yeux, où avait-il pu gagner une réputation pareille ? Quelle était l'andouille qui avait bien pu raconter ça à Atom ? Franchement, il ne voyait pas. Et il n'avait pas assez d'ennemis pour que des racontars pareils circulent à son sujet.
C'était problématique, en un sens. Lui qui aurait voulu passer sa vie à se faire le plus discret possible, c'était raté.
Heureusement qu'il y avait là une opportunité à saisir.

« Je suis choqué. » Répondit-il néanmoins, alors que son cerveau tournait à toute vitesse. « Je me demande bien où tu as entendu des choses pareilles sur mon compte. » C'était vrai - en tout cas sur ce point : mettre une femelle en cloques contre de la bouffe ne lui était encore jamais arrivé. Pour l'instant apparemment. « Et puis franchement. J'ai peut-être des critères aussi. »

Un sourire carnassier et teinté de moquerie accompagna cette dernière pique, avant qu'il ne se trouve enclin à préciser :

« Pourquoi je me fatiguerais pour une ex-alpha qui s'introduit chez moi, m'insulte presque, me croit apparemment incapable de lui fiche une rouste et n'a rien à m'offrir de particulièrement intéressant ? Y'a pas marqué "remède pour louves en manque d'affection filiale" sur mon front, Atom. »

Un air angélique remplaça alors le sarcasme sur son museau. Vu le mordant de la dame, il se demandait bien ce qu'elle avait à répondre à ça. Va falloir faire mieux que ça, très chère.

A cet instant précis, une pointe d'agacement se disputait sauvagement dans l'esprit de Zwey à l'envie de rire à gorge déployée. Étrangement, malgré le fait qu'Atom le prenne irrémédiablement de haut, voire l'ignore complètement alors qu'il était celui qu'elle était venue chercher, malgré l'agacement et la pointe d'acidité sur son amour-propre qu'il en retirait, il trouvait la situation incroyablement comique. Objectivement parlant.

« Bon la proie je disais, plutôt cerf ou biche ? » Dieu qu'elle avait l'air de se faire chier.

Et elle roulait des yeux en plus. Mon dieu mon dieu.
En soi Zwey avait l'habitude de ne pas vraiment être pris au sérieux - en même temps on ne pouvait pas dire qu'il fasse un quelconque effort pour que cela change - mais de la part d'une ex-alpha ennemie qui s'introduisait chez lui et lui réclamait une prestation copulatoire rémunérée, c'était le bouquet. La culminance du comique.
Il appréciait, quelque part.
Le général fixa pour un moment son regard habituellement fuyant sur Atom et ses phrases concises et autoritaires. Peut-être qu'en réduisant la taille de ses répliques elle espérait qu'il la ferme. Manque de bol, Zwey ne la fermait jamais.

« On est vraiment terriblement et désespérément en manque d'affection à ce que je vois. Pour aller chercher un misérable petit esobek inconnu au bataillon pour se soulager. C'est sûr que ça doit moins titiller l'ego que de se faire larguer par le grand Isha. » Son sourire ironique ne le quittait pas. C'est qu'il avait une victime de choix - qu'elle ait beau jeu de le snober ou non.

De toute façon, niveau conversation, il se suffisait à lui-même. Ce qui n'empêcha pas que le manque d'amabilité de la louve facilita grandement son passage à la moquerie ouverte. Pauvre petite bête, une de plus si l'on en croyait la rumeur sur le tableau de chasse de ce grand coureur des bois qu'avait été l'alpha navnik.
Le fait est que Zwey n'avait pas l'intention de lui rendre la vie facile. La louve blanche était venue jusqu'ici pour le trouver, elle devait être sacrément motivée après tout. Qu'elle lui montre l'étendue de cette motivation, au lieu de jouer les reines gâtées. Qu'elle s'écrase un peu.
En fait, il avait terriblement envie de la faire plier. Ne serait-ce qu'un bref instant. Une seule concession ; cela suffirait parfaitement pour le monstre d'orgueil qu'il avait face à lui. Une victoire futile, en soi sans aucun poids, mais une victoire néanmoins. Après tout, ce serait dommage de ne pas emporter un souvenir, aussi piquant soit-il, du père de ses enfants, non ?
Eh, elle ne pouvait pas le forcer à faire ce qu'elle était venue lui demander, pour le coup. Dommage.

« Bref, mon petit chat, cette conversation était très amusante. » Termina donc le loup brun-roux en se détournant de sa congénère blanche.

Il fit mine de s'en aller sans lui accorder un regard supplémentaire.


hrp. J'ai ri.

Elle avait marché. Zwey ressentit un frisson de victoire purement spirituel lorsque la voix de l'ex-alpha s'éleva à nouveau. Peu importe l'arrogance dans ses mots, peu importe le hors-sujet. Elle avait parlé, et c'était pour le retenir, un point c'est tout. Concession faite.
Zwey envisagea de la planter là quand même, mais renonça parce qu'un cerf presque gratuit, ça ne se refuse pas.

« Je vais te raconter l'histoire d'Atom, la fondatrice. » Énonça solennellement la voix dans son dos.

Ohhh non. Pitié, non. Est-ce que c'était ça, sa vile et mesquine tactique pour se venger de l'insolence de Zwey ? Lui sortir la Grande Saga Atom et Isha Fondateurs des Navniks ? Le loup brun en aurait presque gémi de détresse. Sans songer au départ que cela pourrait quelque part être rigolo d'écouter.
Parce que oui, apparemment dans La Véritable Histoire Selon Atom, Isha était devenu un pauvre chaton tout mouillé et tout inutile que toutes ces viles femelles manipulaient sans vergogne au gré de leurs plans diaboliques et mégalomanes.
Eh beh, Zwey en connaissait un qui aurait dû se trouver content d'être prématurément décédé.
Mais à côté de cela, il n'avait pas payé pour se taper le récit épique glorifiant l'absence de cœur d'Atom-le-glaçon, lui. En fait il n'avait pas payé du tout, d'ailleurs. Heureusement que la blagounette sur le louveteau crevé le fit rire entre-temps, parce que toute cette diatribe manqua bel et bien de le faire fuir pour de bon.
Faut croire qu'ils avaient au moins quelques points communs dans l'humour

« ... bref, je pense que tu as compris. » Termina - enfin - la louve blanche avec suffisance. « Isha le chiot devint Isha le grand. Tout ça grâce à moi. Et tout ça parce qu'il a eu une portée avec moi, tu vois où j'veux en venir, le Sarcastique ? »

Oh mon dieu.
C'était trop. Lorsqu'il comprit ce qu'elle sous-entendait, Zwey tenta de réprimer un éclat de rire, lequel se termina dans un hoquet qui faillit l'étouffer pour de bon. Et RIP le petit Zwey, dommage pour Atom qui allait devoir se trouver un autre reproducteur. Le général se demanda si mourir en s'étouffant de rire ne serait pas un bel hommage à la façon dont il avait vécu.
Est-ce qu'elle croyait vraiment pouvoir l'appâter avec une telle offre ? Lui ? Zwey ? Peut-être le seul loup au moindre que la perspective d'un trône ferait fuir comme la peste ? Bonne espionne, mais pas tant que ça peut-être. Zwey mit un moment à reprendre son souffle tant l'idée lui parut ridicule d'énormité.
Déjà d'une, il ne la croyait absolument pas. Mais pas pour un sou. Ensuite, même si elle lui faisait là une proposition sérieuse, il aurait invalidé immédiatement toute forme d'accord. Déjà parce que supporter Atom tous les jours jusqu'à la fin - sans doute prématurée - de sa vie, par pitié. Il se tuerait lui-même en moins de deux. Et secondement, parce que lui, tout ce qu'il désirait au monde c'était une place peinarde dans une tanière tranquille, avec de la bouffe à volonté et absolument zéro responsabilité. Alors suivre l'exemple d'Isha, l'idée avait de quoi le faire rire aux larmes. Ou détaler en hurlant.
Il parvint néanmoins héroïquement à ne faire ni l'un ni l'autre.

« Je prends le cerf. Dans ma grande mansuétude. » Parvint-il enfin à articuler lorsqu'il fut certain de ne pas être aux portes de la mort, « mais pas le reste, par pitié. Je suis pas cinglé, woh. Sans compter que si le prix à payer pour le trône était de te supporter tous les jours, pas étonnant qu'Isha n'ait pas survécu à l'épreuve. »

Le loup brun ne put retenir un tendre sourire pour accompagner cette dernière pique. Servie aux petits oignons, on espère que madame est satisfaite.
Non, en fait, il doutait que madame soit jamais satisfaite de quoi que ce soit. Tiens, au passage, autant lui donner quelques raisons supplémentaires.

« On fait ça, tu me l'amènes dans trois jours dans la forêt aux pendus, et on s'arrangera. » Vous le préférez à quelle heure, votre rendez-vous ? « Mais. Je demande un seul truc en plus. »

Nouveau sourire carnassier. Chacun son tour, ma jolie.

« Demande-moi ça gentiment, au moins. La moindre des choses c'est de dire le mot magique. Et tu auras ton deal. »

Deal ?