Leviathan regarda son frère hausser les épaules en fronçant les sourcils : il se demanda si Al', finalement, était vraiment venu ici en espérant trouver quelque chose en particulier, ou s'il avait juste eu envie de se balader à travers le vaste monde. Connaissant son rêveur de frère, cela pouvait très bien être l'un ou l'autre. Heureusement - songeait Leevi - qu'il l'avait repéré avant qu'il ne s'enfuie dans la nature, car Alwidd aurait bien été capable de se perdre définitivement, à marcher comme ça dans le vent, la tête dans les nuages. Al' avait de la chance d'avoir un grand frère qui veille sur lui, tout de même.
Lev' commençait à se demander si son frère n'allait pas l'ignorer proprement - auquel cas il serait bien obligé de lui apprendre le respect - le respect était un mot que Leevi avait entendu dans la bouche de sa mère et qui lui avait fait une si forte impression qu'il le collait désormais à à peu près toutes les situations dans lesquelles il se fourrait.
Son frère devait le respecter, les louveteaux en général devaient le respecter, d'ailleurs les oiseaux, les plantes et les cailloux feraient mieux de le respecter également. Non mais.

« J'sais pas... J'ai vu plein de trucs bizarres chez tata 'Thil. Elle grogne tout le temps, j'aurais bien aimé lui faire un cadeau pour qu'elle soit contente un peu. » Expliqua Alwidd, les yeux dans le vague.

Leevi fronça les sourcils et s'assit dans la poussière en pensant à leur dragon de tante, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à leur mère. En plus irascible. Manîthil n'avait jamais semblé leur témoigner la moindre affection - plutôt le contraire d'ailleurs - les rares fois où ils l'avaient vue. Pourtant, Alwidd comme Leevi et leur soeur caressaient secrètement le projet d'entrer un jour dans les faveurs de la grande guérisseuse, et ce par quelque moyen que ce soit.
Parfois, ils en venaient même à faire des attaques groupées.
Mais en même temps, l'adversaire était de taille.

« Hm. Si on veut lui faire plaisir on peut peut-être lui apporter un bébé mort, ça devrait marcher. » Fit remarquer le louveteau gris en observant son frère creuser comme un forcené.

Il s'écarta un peu, histoire de ne pas se prendre une giclée de boue dans la tronche, puis songea que cette blague risquait d'inquiéter un peu son frère. Il se reprit alors :

« J'rigole. C'est une super bonne idée, comme ça en plus si un Hellhound vient dévaster ses plantes, elle sera bien obligée de nous remercier ! » Termina-t-il en se relevant et en donnant un petit coup de museau entre les côtes d'Alwidd.

Laissant son frère à son travail d'excavation, Leviathan recommença à explorer les environs. Fouillant les quelques herbes éparses qui poussaient çà et là, il tomba sur un bout de métal coupant qu'il renifla prudemment du bout de la truffe, puis sur un gros cafard qui fila à une vitesse hallucinante entre ses pattes. Leevi bondit bravement, atterrit les griffes en avant, le rata.
Reniflement dépité.
Il revint près de son frère qui tirait frénétiquement sur sa trouvaille enfoncée dans le sol, et demanda sur un ton plutôt poli :

« B'soin d'aide ? »


hrp. Note à moi-même : petite balle, sac plastique.

Leviathan se pencha sur la trouvaille de son frangin d’un air méfiant. Après le machin caoutchouteux qui criait comme un oiseau à l’agonie, il préférait se méfier. Qui sait, ce truc pouvait très bien leur exploser à la figure ; on lui avait raconté que les humains cachaient parfois des bombes sous la terre, capable de désintégrer proprement un loup qui marcherait dessus. Mais Leevi n’avait aucune idée de ce à quoi une bombe pouvait ressembler. Peut-être à cela.
Quoique, Alwidd avait tellement mâchonné le côté long de la chose pour l’extirper de la terre que si elle avait dû exploser et les envoyer sur la lune, bah à l’heure qu’il est ce serait sûrement déjà fait. Et proprement encore.
Non, ça devait être autre chose. Quant à savoir si ça avait une quelconque utilité…

« J'pense qu'on peut lui amener ça. Ça lui plaira peut-être... » Le frangin gris hocha la tête avec un sérieux presque comique.

Histoire de, il donna quand même un coup de patte sur l’objet. C’était lisse, lourd et glissant. Cela faisait un bruit liquide en bougeant, aussi. Leevi mâchonna un peu le bouchon de liège sans en tirer autre chose qu’un goût particulièrement rance : il décida de laisser là ses investigations, abandonnant à Alwidd la gloire de sa trouvaille.

« C’est bizarre n’empêche. J’me demande à quoi ça sert. »

Enfin, il se demandait, mais vaguement hein. Ne pas le savoir n’allait pas bouleverser sa vie. Après tout, c’était un machin humain – et tout le monde savait que les machins humains étaient soit dangereux soit inutiles alors…
Laissant son frère se dépatouiller avec son glorieux trésor qu’il projetait d’offrir en sacrifice à la grande déesse maléfique Manîthil, Leevi s’éloigna à nouveau. Il ne voyait plus grand-chose d’intéressant dans le coin. Avisant un coin d’objet tout blanc, ce qui était relativement inhabituel, le louveteau gris s’aventura sous un fouillis de buissons gris dont ne dépassa bientôt plus que le bout de sa queue. Il renifla avec curiosité : la chose avait une consistance et une odeur qu’il n’avait jamais rencontrées auparavant. Lorsqu’il en approcha la truffe, elle se colla à sa fourrure avec une insistance agaçante - très différente cependant de la sensation qu’on a une fois le nez dans la sève d’un arbre, par exemple.
Lev’ fronça les sourcils et souffla avec autorité pour décoller la chose blanche de sa truffe ; devant son manque de coopération, il secoua la tête jusqu’à s’en débarrasser. La chose blanche retomba au sol, laissant s’échapper une petite boule brune que le chiot considéra avec curiosité. Il la toucha d’une patte prudente. C’était assez mou, et ça ne faisait pas de bruit. Leevi fit rouler la balle entre ses pattes : bah ça, s’était marrant ! Il s’empressa de la saisir entre ses crocs, puis de s’extirper du buisson.
Où était encore passé Al’, bon sang ?

« Aaal’. Rgarde chque ai trouhé ! » Couvert de feuilles à demi-mortes et de quelques branches épineuses grisâtres, Leevi jeta des coups d'oeil de tous côtés.

Indigné, il envisagea le fait qu'Alwidd ait pu partir sans l'attendre. Il aurait osé ? L'abandonner ici, lui, son frère de sang, son chef incontesté ? Maîtrisant panique et colère à la fois, le louveteau partit à la recherche de son frère en trottinant, feignant à merveille tout le détachement du monde.
Ah, il était là. Parvenant à sa portée, Lev’ bondit en jetant la balle en l’air avant de la rattraper au vol. Il effectua la manœuvre une seconde fois, ratant la balle qui rebondit sur son museau et roula au sol.
Le chiot se jeta sauvagement dessus pour lui apprendre le respect.
Une fois que ce fut chose faite, il se redressa et s’adressa à son frère :

« On y va ? » Avant de reprendre la balle entre ses dents et de montrer le chemin – ou ce qu’il pensait être le chemin – en remuant la queue.