M algré ses nouvelles fonctions, Hige avait trouvé le moyen de subvenir aux besoins affectifs de Palladium. Et, joignant l’utile à l’agréable, l’alpha lui avait proposé une petite partie de chasse. Comme au bon vieux temps, lorsqu’ils s’occupaient de regarnir le garde-manger trop souvent laissé pour compte. Ils s’étaient retrouvés ce matin-là, à côté de l’épave de l’oiseau de fer, prêts à en découdre avec le reste des proies qu’il pouvait bien rester sur leurs terres. Et puis, ils avaient aperçu le Prince de charbon, Torka. Ils l’avaient immédiatement joint à la chasse, et les trois loups s’étaient rendus dans la clairière fumante.

Le Prince a lâché un bref bonjour. Il n’est pas très causant, Palladium le sait d’aventure. Mais il y a quelque chose en Torka qui impose le respect. Ce n’est pas sa stature – il n’est pas très imposant – ni même son maintien – on ne saurait pas qu’il est Prince au premier coup d’œil – mais plutôt une valeur, ancrée profondément en lui. Il avait prouvé son courage et sa dévotion en tuant Skull, et l’image du jeune loup noir arrachant la vie à sa propre tante avait à jamais marqué l’esprit du Pantin.
Mais Torka, bien qu’étant un être impulsif, avait su s’attirer le respect du loup brun. Ce dernier connaissait son sens de l’honneur et sa loyauté sans failles. Torka était le Prince légitime, celui dont personne n’aurait pu contester l’autorité et celui qui ne trahirait jamais les Sekmet.
En sa personnalité, il s’opposait radicalement au second compagnon du Pantin : le Passager du Temps était bien plus calme, bien plus réfléchi et bien moins impulsif. Un duo qui, une fois réuni, unissait courage et bon sens.

Et lui, dans tout cela, qu’est-il ? Lui-même ne le sait pas. Il se sent à sa place pourtant, campé entre les deux loups au pelage d’ébène. Mais il pourrait tout aussi bien être un corps étranger, dénué de toutes les qualités présentes chez ses deux alliés. C’est ça : il est en quelque sorte le vilain petit canard de ce trio. Qu’importe, tant qu’on l’accepte.

S i les meutes avaient provoqué une pénurie de proies à cause d’une chasse trop intensive, Palladium ne perdait pas espoir en leur réussite. Ils étaient trois chasseurs expérimentés et sauraient y faire pour ramener quelque chose qui nourrirait la meute.
La chance semble leur sourire, puisqu’une odeur qu’il connaît bien effleure sa truffe frémissante : c’est celle d’un élan. D’un signe discret de la tête, le chasseur invite son alpha et son Prince à le suivre. Il ouvrira la marche, pour une fois. Le loup brun accélère progressivement l’allure, se faufilant entre les arbres de la forêt. L’odeur de l’élan se fait de plus en plus forte, et apporte d’autres précisions au Pantin : en réalité, il y a deux élans. Un mâle, dont l’odeur musquée lui fait froncer les narines de dégoût, et une femelle. Le loup brun force encore l’allure : ils sont tout proches. La clairière apparaît bientôt dans son champ de vision, et les herbivores également. Le mâle semble faire la cour à la femelle ; sans doute est-elle en chaleur et les deux animaux en oublient presque toute prudence. Palladium freine brutalement à l’orée de la clairière, attendant les éventuelles directives de ses deux acolytes.
Selon lui, mieux valait anéantir le mâle en premier. S’ils s’attaquent à la femelle, l’animal risque de se fâcher et de les encorner un par un. La femelle se contenterait de fuir et ils pourraient la rattraper plus tard. Le loup brun jette un regard à Hige. Il sait qu’il pense la même chose que lui. Quand à Torka, il suivrait certainement le mouvement : c’était de toute façon la stratégie la plus intelligente.

D’un même bond, forgé par des heures de chasse parfaitement coordonnées, Hige et Palladium s’élancent droit vers les herbivores. Torka, dont les réflexes sont excellents, les suit à la trace, à moins d’une demi-longueur de queue. Les loups se scindent en trois : tandis que Palladium et Torka encerclent le mâle par les flancs gauche et droit, Hige fonce droit vers l’arrière-train du mammifère.

C omme prévu, Hige se jette sur l’arrière train du mammifère tandis que Torka bondit vers sa gorge une fois le rabattage effectué. Palladium se jette à son tour contre l’élan, le faisant vaciller et la charge qu’Hige impose sur son arrière main achève de lui faire perdre l’équilibre. Torka serre les mâchoires, et tandis que la proie se débat encore, la vie le quitte peu à peu.

[…]

Une fois l’animal mort, les deux chasseurs ne s’arrêtent pas en si bon chemin : même si la femelle a fui, il s’agit de la rattraper et de lui faire subir le même sort qu’à son courtisan. Délaissant le cadavre du premier animal – trop imposant pour être volé – les trois loups s’élancent sur la piste toute fraîche de l’élan en fuite. Les chasseurs galopent bon train sur les empreintes toutes récentes et, malgré leur vitesse, mettent plusieurs minutes avant d’avoir l’imposant cervidé dans leur champ de vision. Hige et Torka accélèrent, et Palladium est contraint d’en faire autant, bien qu’il commence à s’essouffler de cette course effrénée.
Malgré la fatigue, les trois loups parviennent à rattraper la femelle. Inutile à cet instant d’utiliser la même technique que précédemment : l’élan est déjà à bout de souffle et ne peut déjà plus accélérer. Elle finit par ralentir et fait brusquement demi-tour, faisant face à ses prédateurs. Les trois loups glissent dans le même mouvement pour freiner, et l’élan charge, bille en tête, droit sur Hige. Dans un grondement rageur, Palladium s’élance vers l’herbivore avant qu’elle n’intercepte son camarade et, d’un bond puissant, s’arrime solidement à une de ses épaules à l’aide de ses crocs et de ses griffes.