« Tu chasses ou tu meurs. »
Djall devait chasser. Ces temps-ci, elle s'était laissée aller de ce côté-là. D'une part à cause des blessures causées par l'explosion du laboratoire qui avait mal guéries, d'autre part l'hiver l'avait terriblement affaiblie. A présent, la chaleur reprenait le dessus sur la glace et il ne restait plus que des cicatrices roses sur la peau de la louve. Elle était motivée à prouver de nouveau sa valeur aux siens. Ces derniers-jours, elle avait senti les regards accusateurs de certains membres de sa meute qui remettaient en cause la place de Djall parmi eux. Elle devait se faire respecter et inspirer le respect aux autres loups. Elle était donc partie tôt cette nuit-là pour se mettre en quête de quelque chose à ramener au garde-manger. Les proies étaient plus faciles à capturer depuis la fonte de la neige et la traque était moins pénible. La truffe au sol, elle se mit à parcourir la forêt.

« Tu chasses ou tu meurs. »
La louve argentée avait sali volontairement son pelage pour que la boue ternisse le gris éclatant de ses poils, l'aidant ainsi à mieux se fondre parmi les arbres. Elle avait l'espoir de grossir le tas de proie. Elle s'imaginait déjà les louveteaux lui faisant la fête lorsqu'elle rentrerait la gueule pleine de quoi leur remplir l'estomac. Elle avançait en zigzaguant entre les troncs noirs, le museau au ras du sol et les oreilles à l'affut du moindre bruit. Ce fut le craquement d'une brindille qui indiqua au prédateur la présence de son futur repas. Le bruit avait été court et infime mais ce fut suffisant pour alerter la louve affamée. Elle s'immobilisa et dirigea tous ses sens vers la source du craquement. Elle sentit l'odeur caractéristique d'un cervidé. Au son de ses pas feutrés, il n'était pas très gros. Probablement un chevreuil. Le flair de la guerrière argentée lui apprit qu'il s'agissait d'une femelle au vue du taux d'hormones. Elle marchait sur trois temps. Elle claudiquait en réalité ! Djall sentit son cœur s'emballer et l'excitation la gagner. Elle avait trouvé une proie consistante et facile à attraper. La femelle se mit en chasse. Elle prit le temps de situer parfaitement le gibier. Elle banda ses muscles et s'assura que toutes les conditions étaient réunies pour la mise à mort. Elle sauta, atterrit sous la gorge de l'animal qui était bien un chevreuil estropié et l'étrangla en quelques secondes. Elle le découpa soigneusement de ses crocs tranchants pour le transporter plus facilement jusqu'aux ruines et s'attela à l'emporter morceau par morceau.

« Tu chasses ou tu meurs. »
Djall était repartie en chasse cette fois-là. Certes, la chaleur était handicapante néanmoins la louve n'était pas bête aussi chassait-elle la nuit essentiellement. Elle avait enduit sa fourrure argentée de terre sèche qui avait enlevé l'éclat de ses poils et masqué partiellement son odeur. La truffe au ras du sol, elle avait commencé ses recherches d'une proie potentielle. La femelle trottait d'une démarche régulière qui la préservait. Elle pouvait avancer ainsi très longtemps. Après tout, elle avait toute la nuit devant elle.

« Tu chasses ou tu meurs. »
Djall s'arrêta brusquement. Elle se tenait immobile, la patte qu'elle avait avancé pour faire un pas encore en l'air. Elle avait repéré une odeur qui l'avait déstabilisé. C'était le parfum alléchant d'un animal qu'elle n'avait pas croisé depuis longtemps dans ces contrées. La louve passa en mode prédateur. Elle fila ventre-à-terre jusqu'à sa proie en suivant son odorat. C'était un jeune mâle déjà imposant. Elle devait être prudente car ces bêtes-là étaient courageuses et dangereuses. La femelle avait conscience que son repas se battrait jusqu'au bout. Elle avait un visuel sur l'animal marron qui dodelinait de la tête en marchant pesamment. Il n'avait rien vu venir. La situation était idéale. Djall était dans le dos de sa proie. Elle banda ses muscles et s'élança. Alerté par le bruit, le sanglier commença à se retourner mais la louve fut plus rapide et se trouva en deux secondes sur le dos de l'animal, à l'abris de ses défenses. Là, elle put lui briser la nuque d'un grand coup de crocs. Les os robustes prirent du temps à céder sous la pression de la puissante mâchoire de Djall mais le sanglier finit par s'affaisser d'un coup sous le poids de sa prédatrice. A présent, elle n'avait plus cas le ramener aux ruines. Elle était fière de sa prise.

« Tu chasses ou tu meurs. »
La louve ramena part après part sa prise assez imposante. Elle prit près d'une heure à ramener les muscles lourds du sanglier, trainant avec peine la chaire sanguinolente sur l'humus des bois. Elle ne voulait pas en rester là. Lorsqu'elle eut mis à l'abris chaque morceau de son sanglier encore frais et que les louveteaux lui eurent fait la fête aux ruines, elle repartit pour une seconde chasse en espérant qu'elle soit aussi fructueuse. Elle se mit de nouveau à la recherche d'une proie, la truffe contre la terre humide de la forêt. Elle trottait entre les arbres en respirant chaque odeur.

« Tu chasses ou tu meurs. »
La louve était en chasse lorsque soudain le vent lui apporta l'odeur d'un gros cervidé. Tous les sens en alerte, elle se rendit à pas feutrés jusqu'aux abords de la clairière où broutait tranquillement un énorme cerf aux bois gigantesques. L'animal n'avait pas encore repéré son prédateur aussi Djall put-elle observer la bête. Il avait le poil brillant et l'oeil vif. Son odeur indiqua à Djall qu'il était dans la force de l'âge. Elle ne répara aucun handicape ni aucune tare sur le cerf. Elle savait cette chasse perdue d'avance. Elle soupira et fit demi-tour, arrêtant ici la chasse pour ce jour.

« Tu chasses ou tu meurs. »
Djall prit le temps d'effectuer une rapide toilette avant de quitter le camp des Navniks. Elle disciplina sa fourrure argentée en quelques coups de langue, salua les camarades restaient au campement pour le garder et quitta les ruines de pierre. Depuis l'explosion du chien fou envoyé par les hommes, tout le pan de briques qui protégeait le garde-manger s'était écroulé, mettant un peu plus à découvert la meute. Les Navniks avaient dû déplacer leurs ressources alimentaires et déplorer des pièces de gibier calcinées. Seulement, malgré les coups de la vie il fallait se relever plus fort. La jeune générale Djall était partie dès l'aube trouver de quoi grossir le tas de proies. Elle avait eut une longue nuit réparatrice et était en pleine forme pour la chasse. Elle préférait chasser en meute mais le groupe qui avait été désigné pour la chasse durant la nuit était au complet. Elle se rendit donc dans les bois en solitaire et commença à traquer le gibier, la truffe au ras de l'humus humide et vert.

« Tu chasses ou tu meurs. »
La louve commençait à s'impatienter. Tel un chien enragé, elle faisait les cents pas à travers la forêt sans jamais tomber sur une trace olfactive quelconque. Comme si les bois étaient déserts. Elle y mit plusieurs heures mais ne trouva pas la moindre trace de vie à part un ancien terrier de renard abandonné. Elle marchait depuis longtemps et ses muscles commençaient à fatiguer mais sa détermination la maintiendrait debout. La femelle mit dans un coin de sa tête le lancinement dans ses membres chaque fois qu'elle faisait un pas et continua à chercher une proie.

« Tu chasses ou tu meurs. »
Serrant les dents à chaque foulée, Djall progressait en slalomant entre les arbres lorsque soudain elle sentit l'odeur d'un rongeur dans les parages. Elle afficha un large sourire triomphant et battit frénétiquement de la queue comme un louveteau heureux. La guerrière plaqua sa masse imposante au sol pour se dissimuler à la vue de son futur repas et se servit de tous ses sens pour situer exactement l'animal. Au son de ses pas, Djall comprit qu'elle avait affaire à un gros lièvre. Elle décida de tenter une approche furtive avant de lancer l'attaque pour mettre toutes les chances de son côté. Pas après pas, elle évita les brindilles traîtresses et contourna les buissons aux épines fourbes avant de sentir enfin qu'elle était toute proche. Seul un minuscule bosquet séparait proie et prédateur. La générale banda tous ses muscles, se pourlécha les babines et s'élança d'un bond souple et puissant. Elle atterrit juste à côté du lièvre qui comprit qu'il était pris en chasse. Ce fut le début d'une course poursuite. Le gros rongeur se mit à bondir dans tous les sens pour échapper à sa poursuivante. Djall était déterminée à mettre à mort le gibier et redoubla d'efforts pour le rattraper. Déjà que son corps était épuisé par la journée de traque, cette galopade l'acheva. Elle finit par mettre la patte sur le dos du lièvre et s'en fut fini pour lui. Un coup de patte bien senti et il s'écroula raide mort. Elle le traina jusqu'au camp, fière de ne pas revenir bredouille.

« Tu chasses ou tu meurs. »
Quelques heures plus tôt, Djall s'était déjà rendue en forêt pour une partie de chasse fructueuse. A présent, le soleil disait au revoir à la contrée et s'en allait éclairer une autre partie du monde. La louve était assise au pieds d'un chêne sans feuilles et observait le crépuscule avec émerveillement. Ses grands yeux bleus pétillaient comme des saphirs alors qu'elle avait la truffe levée vers le ciel teinté de couleurs orangées. Elle se trouvait au milieu des marécages, sur un îlot où la terre était plus sèche. Elle prenait du repos avant de s'atteler à une énième traque. La louve avait les pattes encore engourdies de sa précédente chasse mais les nombreux louveteaux de sa meute n'attendraient pas éternellement la nourriture. Lorsque le soleil eut entièrement disparu à l'horizon, plongeant ainsi les marécages dans la pénombre, Djall se leva enfin et traversa une étendue d'eau boueuse pour se rendre sur une partie de forêt plus propice à la chasse. Elle s'ébroua en sortant des roseaux et se mit à renifler le sol autour d'elle.

« Tu chasses ou tu meurs. »
La femelle longeait le bord des marées en guettant dans l'eau stagnante le moindre mouvement. Elle avait déjà eu l'occasion de chasser là et l'endroit était réputé pour ses caïmans et ses diverses poissons. Djall restait sur ses gardes car elle ne souhaitait pas tomber sur un énorme caïman mâle et adulte capable de la couper en deux d'un coup de mâchoire. Elle espérait plutôt tomber sur un nids de jeunes caïmans dont la mère serait allée chasser. Elle tendit l'oreille lorsqu'elle perçut un drôle de piaillement. Ca ne ressemblait pas au bruit d'un oiseau ou d'un mammifère. Elle s'approcha de la source de ces piaillements ventre-à-terre en prenant garde à rester dans l'ombre. Là, sous son nez, un bébé caïman déjà gros appelait sa mère. Djall décida de le contourner pour se mettre dans son dos et l'attaquer par-derrière car même jeune, les caïmans pouvaient s'avérer redoutable. Cela lui prit un temps infini car elle dut contourner plusieurs bosquets avant d'arriver enfin à son but. Le caïman dodelinait de la queue à quelques mètres d'elle, seul un buisson les séparait. Le canidé effectua deux grands bons et se retrouva sur le dos de l'animal. Djall ne lui laissa pas le temps de réaliser et mordit férocement sa nuque jusqu'à ce que les os craquent. Elle se dépêcha d'emmener sa proie loin des marécages pour éviter de se retrouver nez-à-nez avec une mère furax.

« Tu chasses ou tu meurs. »
Djall fit un petit bond souple au-dessus d'une brindille et se rééquilibra rapidement avant de continuer à trotter ventre-à-terre. Elle avançait près du sol pour être plus discrète. Ses yeux cyans balayaient les alentours d'un regard scrutateur et ses oreilles pivotaient tels des satellites pour capter le moindre son. Elle marcha à pas feutrés jusqu'aux énormes racines d'un vieux chêne où elle fit une halte. Elle cherchait une proie quelconque dans ces bois depuis l'aube et le soleil n'allait pas tarder à atteindre son zénith. Elle avait une respiration difficile et des coussinets meurtris. Elle se lécha les pattes pour soulager sa douleur avant de repartir. Elle refusait de rentrer bredouille au camp et de devoir annoncer aux louves qu'elle n'avait rien pour leurs louveteaux.