L ' air de la nuit lui faisait le plus grand bien. Il inhale à pleins poumons les fragrances qui émanent de la forêt. Combien de fois en a-t-il rêvé, dans sa geôle de fer ? Il ne demeure pas plus longtemps à observer les arbres et leurs troncs noueux. Il a bien mieux à faire. Avant d’être Général, avant d’être Bras-Droit, asservi à la cause d’Hige, il avait été esclave de la meute, il avait été un Chasseur. Plutôt bon, d’ailleurs. Il était incapable d’oublier d’où il venait et ce à quoi il s’était raccroché lorsque son existence lui paraissait dénuée de sens. Il s’élance donc droit en avant, les oreilles rabattues sur le crâne et les yeux brillants d’excitation. Depuis combien de lunes n’a-t-il pas tué ?
Son ombre galope silencieusement dans cette forêt qu’il aime tant. Il se contente de courir pour l’instant, sans chercher quelque chose de comestible. Cela viendra plus tard, lorsqu’il se sera lassé d’errer sans but. Pour l’heure, il savoure sa liberté.

[…]

Le voici les épaules raides, tous les sens aux aguets. Tapi derrière ce buisson, rien ne peut le trahir. Ce maigre sanglier qui renifle le sol en solitaire à la recherche de nourriture fera l’affaire. Palladium brûle d’excitation de démarrer la poursuite maintenant, il est certain de vaincre. Ce sanglier est trop maigre et trop vieux pour lui résister bien longtemps. Réflexion faite, tant pis pour l’effet de surprise : le loup brun s’élance vers sa proie. Il a déjà parcouru quelques mètres lorsque le porc se retourne et l’aperçoit, ce qui a pour effet de le faire détaler dans un cri de surprise et d’effroi. Palladium oblique brutalement à sa poursuite, changeant de trajectoire d’un mouvement de balancier habile, et en quelques foulées il parvient à le rattraper. Ne prenant même pas la peine de le faucher des pattes arrières, il bondit et les deux animaux roulent sur le sol. Si le sanglier se débat, Palladium est plus lourd et il parvient à le maîtriser sans trop de problèmes. La mort est si douce ce soir, lorsque le sang coule à nouveau dans la gueule du prédateur.

L a mâchoire encore en sang, Palladium relève la tête, une expression satisfaite peinte sur la face. Cela faisait trop longtemps qu’il n’avait pas planté ses crocs dans de la véritable chair, toute fraiche et sanguinolente. Au suivant, à présent. Le loup brun traîne avec empressement le cadavre de sa proie sous un buisson, le remettant à plus tard. Il lui tarde trop d’aller tuer à nouveau. Il se remet immédiatement en chasse.
Si sa vision nocturne est quasi-parfaite, le Pantin se fie surtout à son odorat cette nuit-là. En effet, le vent souffle légèrement, ce qui lui apporte de nombreuses informations sur ce – et ceux – qui l’entourent. C’est ainsi qu’il découvre la cachette d’une perdrix endormie. Sautant sur cette aubaine, le Pantin se faufile dans le même buisson que l’oiseau, qui s’éveille presque aussitôt et n’a que le temps de pousser un cri strident avant d’être égorgée aussi rapidement que proprement.

D élaissant le cadavre encore chaud de la perdrix, le Pantin se hâte ensuite à la poursuite d’un effluve qu’il connaît bien : celui d’un groupe de chevreuils. Il doit se dépêcher s’il veut intercepter les herbivores, et se met donc à courir entre les arbres.
Il ne tarde pas à apercevoir ses proies, au nombre de trois. Se pourléchant instinctivement les babines de sa langue pourpre, il attend patiemment que l’un d’eux se rapproche de sa cachette. Et sa patience est bientôt récompensée puisqu’une des proies se rapproche hasardeusement d’un arbre non loin de lui, dans l’espoir sûrement d’y manger quelques écorces. Le Pantin ne se fait pas prier pour jaillir tous crocs dehors : les autres cervidés détalent tandis qu’il fond sur celui qui l’a choisi. Ce dernier esquive l’attaque du loup brun d’un tour de reins incroyable, pivotant sur ses jarrets avec une souplesse diabolique pour s’élancer dans la noirceur de la forêt. Mais Palladium ne s’avoue pas si facilement vaincu et, nullement impressionné des aptitudes de sa proie, il s’élance à sa suite sans l’ombre d’une hésitation.
Le chevreuil, bien que très agile, n’est pas bien rapide et ne parvient pas à distancer son poursuivant qui s’acharne et qui gagne petit à petit du terrain. Palladium n’est pas long à avaler les quelques longueurs qui le séparent de la croupe rebondie qui se dandine à quelques mètres de son museau. Le chevreuil commence alors à zigzaguer, mais le Pantin a vu trop de fois cette tactique pour se laisser berner.
Le chevreuil est tué dans la minute même.

S i ça n’avait tenu qu’à lui, le Pantin s’en serait arrêté là mais lorsqu’un deuxième chevreuil puis un troisième avaient fusé dans le bois, plus loin devant lui, il s’était à nouveau élancé dans la forêt, à peine certain que sa proie précédente était bel et bien morte.
Il avait rapidement compris que le premier animal avait tenté de suivre ses petits camarades, les envoyant eux aussi à la merci du prédateur. Mais cette fois, la course-poursuite s’annonce plus ardue pour le loup brun. Les deux herbivores sont déjà considérablement avancés sur lui, et il est épuisé par sa précédente chasse. Il va falloir ruser. Palladium oblique donc sur la gauche, contournant par un large crochet la trajectoire des deux chevreuils. Il ne ralentit pas l’allure pour autant, il est nécessaire qu’il arrive au même endroit et au même moment que ses proies, sans quoi l’effort supplémentaire ne lui aura économisé aucune énergie.
Coup de chance – ou coup de maître – Palladium parvient exactement à intercepter le second chevreuil : le premier lui file sous le nez à toute vitesse, sans même qu’il ait le temps d’ouvrir la mâchoire. En revanche, le second le percute de plein fouet et le fait tomber à la renverse. Les deux animaux luttent pour la place de celui qui se relèvera le premier, et c’est un coup de croc bien placé qui permet à Palladium de s’affirmer définitivement, une fois de plus.

A près les succès de la fois précédente, Palladium compte bien remettre la viande fraîche au goût du jour. Le garde-manger avait sérieusement pâti d’une explosion d’un de ces « HellHound », et il fallait le ravitailler à nouveau. Le loup brun n’avait encore jamais croisé un de ces étranges chiens, mais il n’était pas pressé d’en rencontrer. L’un d’eux finirait bien par lui tomber dessus, tôt ou tard…

Il renifle le sol d’un air suspicieux. La rosée matinale a dispersé les odeurs de la nuit, trompant son flair. Il va devoir tâtonner à l’aveugle dans l’espoir de trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Par chance, il ne tarde pas à trouver des excréments de lapin qui ne semblent pas si vieux que ça. S’élançant sur les traces du (ou des) rongeur(s), Palladium parvient bientôt à l’entrée d’un terrier, en apparence vide. En apparence seulement puisque lorsqu’il se met à creuser, il peut sentir des mouvements de panique à l’intérieur. Il y a des animaux qui vivent là-dedans, il va falloir les en extraire.
Palladium creuse encore plus hardiment, et un lapin ne tarde pas à fuser hors du terrier familial. S’ensuit un deuxième, puis un troisième qui se mettent à courir à toute vitesse dans la forêt. Le Pantin les prend en chasse. Il commence la poursuite par le plus jeune d’entre eux. Le plus énergique certes, mais le moins expérimenté. Il n’a pas acquis suffisamment de technique pour semer un chasseur tel que Palladium, qui ne tarde pas à le rattraper et à le tuer. Et d’un.

N e perdant pas de temps, Palladium se lance à nouveau à la poursuite des autres rongeurs. Ils ne fileront pas si facilement. Il met quelques secondes à retrouver la trace du second, qui a préféré se cacher dans une souche de bois plutôt que de fuir ; grave erreur. Le Pantin s’approche du tronc d’arbre mort, le reniflant d’un œil suspicieux. Son analyse poussée lui permet toujours d’obtenir ce qu’il veut, il prend tout son temps. Il peut sentir les battements du cœur saccadé du lapin apeuré, contre ses coussinets. Patience.
Le bois humide semble bien vieux. L’arbre a du tomber depuis longtemps et son écorce n’offre qu’une maigre protection face aux assauts d’un loup affamé. Le lapin manque cruellement de jugeote, à son grand malheur. Le Pantin se dresse sur deux pattes, et pose ses antérieurs sur l’écorce molle. Il donne une pression forte, puis une seconde, jusqu’à entendre le bois craquer. De l’écorce tombe dans la cachette du lapin, il doit s’en prendre plein sur la tête. Le Pantin persiste et continue de ruiner l’arbre mort jusqu’à ce que soudainement, tout cède et que le prédateur se retrouve nez à nez avec sa proie. Le lapin tente une échappée par un bond spectaculaire que, malheureusement, Palladium intercepte de justesse en l’attrapant par la nuque, qui ne tarde pas à se briser dans ses mâchoires puissantes.

S ’apercevant qu’il a mit trop de temps à tuer les deux rongeurs pour seulement espérer retrouver le troisième, Palladium se remet en quête d’autre chose de vivant. Il n’y a pas que des lapins, dans cette forêt, il le sait bien.
Cette fois, c’est sur la piste d’un daim qu’il s’essaye. L’herbivore est passé au même endroit à seulement quelques minutes d’intervalle, sans doute effrayé par le bruit de la course du loup dans les bois. Palladium s’élance à la suite de sa future proie. Il la rattrape alors qu’elle traverse une clairière, tous les sens en alerte. La femelle – car c’en est une – semble très inquiète. Evidemment, elle a de quoi l’être. Elle est bien trop sur le qui-vive, et elle repère Palladium en moins de quelques secondes. D’un bond agile, elle démarre au quart de tour. Le Pantin bondit à sa suite, se mettant en chasse d’un train de forcené. La biche est rapide, mais pas assez ; elle semble gênée par quelque chose qui l’empêcherait de courir correctement. Le loup brun la rattrape et d’un bond, se place sur sa croupe en y plantant griffes et crocs. La biche chute, son œil se révulsant de terreur, et elle se contorsionne en tous sens pour empêcher le loup de parvenir jusqu’à sa gorge. Ce dernier gronde mais gagne du terrain sur le corps mouvant, évitant les coups de sabots avec une précision diabolique. Lorsqu’il arrive au niveau de la tête, la biche paniquée, dans un ultime mouvement de survie, lui assène un coup de front violent. Un peu sonné, le loup recule et l’herbivore se relève. Palladium reprend bien vite ses esprits et bondit à nouveau, percutant l’animal de tout son poids et l’entraînant dans sa chute. Ca ne va pas se passer comme ça. Le loup brun finit par planter ses crocs dans l’encolure molle.

E ssoufflé par tant d’efforts, le Pantin s’assoit à côté de sa nouvelle prise pour admirer son œuvre. Une belle bête, tout de même. Il remarque alors les flancs exagérément larges de sa proie, et les mamelles gonflées. Cette biche avait du mettre bas il y a très peu de temps, ce qui explique sa panique exacerbée. Le Pantin partit bille en tête à la recherche du faon. Il ne devait pas être bien loin. Il refait le chemin inverse à la poursuite, flairant chaque recoin, chaque buisson. Les faons sont exemptés de toute odeur pour les protéger des prédateurs, mais le loup brun cherche des traces de sang, de placenta, n’importe quoi qui pourrait lui indiquer le lieu de la naissance.
Coup de chance, il finit par trouver les traces qu’il cherchait, qui le conduisent presque aussitôt à la cachette du faon. Il vient à peine de naître, et il tremble encore de tous ses membres. Son pelage humide fait peine à voir, et Palladium n’hésite pas une seconde avant de l’attraper délicatement entre ses crocs. Le faon meurt sans un bruit.

R evenant sur ses pas pour déposer le cadavre du faon aux côtés de celui de sa mère, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit, de loin, un éclair roux qui chapardait de la nourriture sur la proie qu’il venait tout juste de tuer ! Le loup se hâte, le faon entre les dents, pour punir le voleur.
Le renard le voit arriver de loin et, plantant une dernière fois ses crocs dans la chair rouge, il disparaît sans demander son reste. Mais Palladium ne compte pas laisser le malfaiteur impuni : il se rue à sa poursuite, laissant tomber sa proie à côté de l’autre. A nous deux, le renard.
Le petit canidé court vite, et il est très agile. Palladium se sent un peu lourd à côté. Mais sa puissance est indiscutablement plus grande que celle de son maigre cousin : à la course d’endurance, le renard n’a aucune chance. Il semble le savoir d’ailleurs, puisqu’il change régulièrement de direction pour perturber le loup. Les distances se resserrent, le Pantin est tout près d’attraper le petit carnivore. Mais ce dernier, dans un ultime effort, force encore l’allure et, d’un bond, se jette dans son terrier. Par réflexe, Palladium se jette à sa suite et ses mâchoires claquent in extremis sur le bout de la queue du renard qui lâche un cri. Le loup brun recule, les dents fermement serrées sur sa prise, l’entraînant avec lui au-dehors du trou dans un concert de cris terrifiés.

L e loup brun s’aperçoit ensuite qu’un terrier de lapin se trouve non loin de lui. Il creuse avec frénésie la terre molle, et parvient sans mal à dégager l’entrée de sorte à ce qu’il puisse y passer sa tête. A l’intérieur, il règne un noir total mais les prunelles du loup brun ne mettent que quelques secondes à s’accoutumer à l’obscurité. Visiblement, c’est son jour de chance : tous les lapins sont sortis du terrier. Palladium grogne, désappointé. Le grognement fait visiblement son effet puisqu’un lapereau tente une échappée, fonçant droit sur le prédateur, dans un bond instinctif un peu stupide d’ailleurs. Le Pantin n’a plus qu’à le cueillir entre ses mâchoires.

L es proies commencent à manquer, il le sent bien. Si le garde-manger était bien rempli ce mois-ci, le Pantin avait senti les prémices d'une famine arriver. Les loups, affamés par l'hiver, avaient trop chassé. Les proies s'étaient taries, et trouver à manger devenait véritablement périlleux.
C'était sans compter - bien sûr - sur ses talents de chasseur. Il demeurait chasseur, malgré sa récente ascension hiérarchique.

Il tourne durant plusieurs heures dans la forêt charbonneuse, à la recherche d'une trace, d'un effluve, d'un mouvement. Rien. Comme si tout avait définitivement dépérit.
Mais la bonté du hasard lui fit cadeau de quelques crottes de lapins dispersées ça et là. Le Pantin n'attendit pas une seconde et suivit l'odeur qui s'en dégageait, remontant jusqu'à l'entrée d'un terrier. Visiblement, son occupant était de sortie puisque le prédateur ne détecta aucun mouvement à l'intérieur. Justement, le voici qui se ramène ! Le rongeur, apercevant le loup, fait brutalement demi-tour et détale, mais Palladium a été plus rapide et a profité de l'effet de surprise. Il tue le petit être sans l'ombre d'une hésitation.

A ussitôt sa première proie attrapée, Palladium se hâte de la cacher dans un lieu sûr - c'est à dire dans le terrier lui-même. Il se dirige ensuite vers le plus profond de la forêt sombre, et traque la moindre petite odeur d'une proie quelconque. Il ne tarde pas, bien heureusement, à tomber sur la piste d'un chevreuil. Animal noble, qu'il aime chasser. Il ne perd pas une seconde, et se met en chasse. La traque de l'effluve prend un certain temps, puisqu'elle fait des tours et des détours entre les arbres. Mais le flair de Palladium le trompe rarement, désormais, et il arrive à l'orée d'une clairière où l'animal paît plutôt paisiblement.
Palladium s'élance au beau milieu de cette sérénité, la brisant d'un grondement sauvage lorsqu'il atterrit sur la croupe de sa proie, enfonçant ses crocs dans la peau épaisse avec ténacité. Le chevreuil lance une ruade et tente de s'enfuir, pris de panique, mais son assaillant est trop lourd et il l'entraîne dans sa chute. Une chute, il faut l'avouer, mortelle.

L e Pantin achevait tranquillement sa seconde proie lorsque soudain, quelque chose glissa entre ses pattes antérieures. Relâchant la pression autour de la gorge du chevreuil, le loup brun baisse les yeux vers cette sensation étrange, juste à temps pour apercevoir un serpent se faufiler sous le corps sans vie de sa proie !
Le poil du prédateur se hérisse. Il faut se débarrasser de ce nuisible, qui sait s'il est venimeux !? Palladium se retient de gronder, il ne faut pas effrayer le reptile, bien plus rapide que lui, il le sait. Il se contente d'attendre, campé sur ses quatre pattes et les yeux braqués sur l'endroit où la bestiole a disparu.
Le serpent ne tarde pas à reparaître, et à cet instant même, Palladium se jette sur lui tous crocs dehors. Doté de réflexes prompts, le reptile esquive une morsure fatale mais ne peut éviter les mâchoires qui se referment sur sa queue. Aussitôt, il se contorsionne instinctivement et se retourne contre son agresseur. Palladium, dans un élan de panique et voyant les crochets prêts à mordre, lâche l'animal qui tombe dans un bruit mou, sur le dos. Le reptile se contorsionne à nouveau pour se remettre d'aplomb, mais c'est déjà trop tard car le loup brun saisit sa tête et la broie entre ses crocs.