Nous sommes exténués et nos provisions autrefois si lourdes manquent à présent. Nous n’envisageons cependant pas d’arrêter maintenant, impossible. Nos esprits sont trop excités à chaque découverte, même minime, et la sensation d’être à chaque fois toujours plus proche du but estompe les faibles percées de la raison. Nous sommes comme des gosses insatiables qui demandent toujours un peu plus, encore et encore. Au cours du périple certains nous ont rejoint et d’autres nous ont quittés mais chacun a posé une pierre irremplaçable à cet édifice, ce projet. Laissez-moi vous présenter la petite équipe. Jo est l’historien et scribe. Présent depuis le début, il est absolument indispensable. Il ne parle pas, ou peu et est toujours en train de tout analyser avec ses doigts frêles et ses petits yeux. Kneph ne supporte pas cette présence absente, lui qui aime se faire remarquer. Il est arrivé assez récemment et assure notre protection. Malgré ses airs de brute il sait parfaitement allier force et précision. Il a passé des heures à nous parler des spécificités de chacune de ses armes ce qui est passablement ennuyeux. Ylla le coupe souvent par un « On s’en fout du moment que ça marche », ce qui a pour effet non pas de le faire taire mais de passer à des récits enflammés de ses aventures passées. Cela anime régulièrement nos fins de soirées au coin du feu. Jo, quand il est avec nous lors de ses moments s’empresse de démêler le vrai du faux, le possible du rajouté et embelli. Par écrit bien sûr, il se ferrait certainement casser la gueule sinon. Je pense que c’est pour lui un exercice, un moyen de conserver un esprit critique et si ça peut piquer Kneph dans son ego c’est encore mieux. Ylla est notre guérisseuse. Elle se charge aussi de la cuisine quand elle trouve de quoi manger ou quand Kneph nous ramène du gibier. Elle est d’une bonne humeur constante et naïve. Elle chante souvent et ses gestes sont gracieux et dansants. Quant à moi, je suis la carte. Je m’occupe d’où on va et le pourquoi, ça me regarde. Ils ont vite appris à ne plus me poser cette question.
La situation est un peu critique. Concrètement nous avons découvert une nouvelle salle et nous y sommes enfermés depuis un bon moment. Il est difficile de conserver la notion du temps sans voir la lumière du jour. Même Ylla perd son entrain naturel et Kneph devient fou, il grogne et tape sur les murs. Jo gratte sur ses feuilles inlassablement. Nous avons découvert des inscriptions qui différaient des ornements de la salle et il les étudie, les recoupe, les redessine, les retourne. Je l’ai aidé pour les dater et je cherche des infos complémentaires mais j’ai l’impression d’avoir inspecté tous les cm2 de cette salle sans succès. On se sent un peu impuissant, tout ou presque repose sur les compétences de Jo et sur les astuces d’Ylla pour économiser nos ressources.
- Ne tape pas là, tu vas ruiner nos chances de sortir. Jo s’adresse à Kneph que par cette phrase.
- S’il faut compter sur des inscriptions illisible sur des cailloux et sur toi pour sortir crois-moi on est mal barrés.
Je vais assister à un de leur échange les plus longs jusqu’à présent.
- Tu connais l’égyptien ? lui demanda Jo.
- Je ne suis pas égyptien.
- Si tu pouvais me traduire ça se serait parfait.
- Insiste pas tête de con pourquoi tu t’adresses à moi ? J’y connais rien demande à l’autre dit-il en me désignant.
- Il me semble que tu es le plus qualifié pourtant
- Il ne me semble pas avoir dit quoi que ce soit à ce sujet.
- Kneph ? Double ration si tu vas l’aider. Ylla rayonnait. On ne peut pas résister à l’appel d’une double ration et on ne peut pas non plus gâcher ce nouvel optimisme.
Kneph accepta. Il n’en fallait pas plus pour faire sauter de joie notre soigneuse. Jo reprit :
- Ok alors grâce à ces inscriptions et à l’histoire de l’E…
- Abrège !
- Heu… très bien, traduis moi ça s’il te plait.
Il lui tend son petit calepin. Kneph peine à lire cette petite écriture tassée et surtout à rassembler ses connaissances.
- Je comprends rien, c’est quelque chose qui rime. Il marqua une pause. Mais si je traduis ça va les changer les rimes. Ça parle de silence qui chante, de boisson et de sacrifice.
Je me suis tout à fait relevé. Comment oublier ces mots ? Mon père est mort en les prononçant. J’ai passé le restant de ma vie à chercher leur sens.
- Quand le silence chantonne, seuls les mots résonnent. Bois le verre du vice, en dernier sacrifice, murmurai-je.
Ils ont tous les yeux rivés sur moi.
- T’avais la soluce depuis le début et t’as pas pensé à nous la donner ? s’énerva Kneph avec sa délicatesse légendaire.
Je suis sous le choc. Je répète ces mots en boucle, de plus en plus fort.
- Quand le silence chantonne, seuls les mots résonnent. Bois le verre du vice, en dernier sacrifice.
Un bruit assourdissant se fit entendre. Le mur des inscriptions se fissure générant un nuage opaque de poussière. Kneph se presse de prendre une de ses armes. La poussière retombe lentement. Kneph impatient lâche son arme et va chercher une masse pour l’abattre complètement. Il est le seul à réagir à cet instant. Nous trois nous regardons sans trop savoir quoi faire, comme figés. Derrière ce mur un hôtel. Au milieu est posé un verre à pied en argent. On s’en approche tous oubliant que quelque temps plus tôt ce genre de comportement nous a enfermés dans la pièce précédente.
- Je n’ai pas besoin d’avoir des talents de guérisseuse ou de faire des analyses sur le contenu de ce verre pour affirmer que c’est pas une bonne idée de boire ce qu’il y a dedans. Ylla plonge ses yeux dans les miens. Mon intention n’est que trop claire.
- Vice et sacrifice ne sont pas des mots de bonne augure reprit Jo.
- Putain fais pas le con, écoute l’historien insista Kneph.
- J’ai un prénom.
- C’est pas le problème là, historien.
- Je vais boire ce verre et vous n’allez pas m’en empêcher. Dis-je d’un ton ferme.
- Pourquoi ? Ça n’a aucun sens ! La voix d’Ylla déraillait.
- Pourquoi, ça me regarde ; ça a un sens pour moi.
Quand le silence chantonne, seuls les mots résonnent. Bois le verre du vice, en dernier sacrifice.