Je m'étais réveillée tôt ce matin-là, les paupières encore lourdes de sommeil et le corps engourdi par ma dernière chasse. Je dormais à côté des autres apprentis, Garldor et Yan'Ka, qui ronflaient paisiblement tandis que moi je sentais le sommeil me quitter peu à peu. Quelle injustice ! Que devait-on faire pour gagner un peu de repos, en ces terres maudites ! Même le plus éreintants des entraînements ne me suffisait pas.

Je décidai donc de me lever. Je sortis de la grotte et m'aperçut que le soleil n'était pas au rendez-vous ce matin. Etions-nous en pleine nuit ou… ?
Je le levai la tête, inquiète. Et c'est là que je vis ces monstres de nuages, ces horribles océans de malheur aussi noirs que l'encre et veinés d'un rouge sanguin à faire frémir par sa seule vue, qui s'étaient amoncelés au-dessus de ma tête. Mes pattes tremblèrent, mes oreilles se couchèrent et mes yeux passèrent du ciel à la grotte.
Je n'étais pas une experte, mais tout loup un tant soit peu censé connaissait ce présage. La mort. La destruction. Le feu.

Je n'avais rien vu, et pourtant autour de moi les loups se mirent à courir, paniqués. Une goutte s'échappa du paquet monstrueux et vint s'écraser devant moi en un petit nuage de fumée. J'avais l'impression d'être narguée, comme si les nuages me disaient: "Tu vois cette goûte ? Tu as intérêt à courir sinon une de ses soeurs risque de te tomber dessus, la prochaine fois".

J'avais l'esprit de contradiction, certes. Mais dans ce genre de situation, où l'ennemi est invisible et pourtant ravageur, on laisse l'instinct prendre le dessus.

Je retournai dans la grotte, mais tout le monde avait disparu. Où étaient-ils partis ? Où était ma mère ? Où était mon mentor ?

Alors, ravalant ma frustration, je me mis à courir, prenant mes pattes à mon cou. C'était lâche de ma part, peut-être, mais ce sont parfois les fuyards qui ont sauvés leurs espèces.
Je suivis un sentier inconnu. Je sentai l'odeur Esobek autour de moi, mais elle était éparpillée un peu partout. L'odeur de la peur régnait et le silence me glaçai le sang.
Aucune chance de capter l'odeur de ma mère ou d'Yroen.

Je m'éloignai de mon chez-moi, j'en étais consciente. Mais était-ce vraiment chez soi là où la Mort vous guette à chaque recoins ? Je ravalai mes larmes.

Pour la première fois, je me sentais seule et perdue. Je ne voyais même pas vers où je me dirigeai.
Pourtant je restai forte.

Une odeur tout à fait infect me monta à la truffe et je ralentis ma course, sentant le danger derrière moi. Je plissai le museau de dégoût. Où étais-je, par la douce Lune ? Il m'avait fallu, parmi tous les endroits de la région, trouver le moins accueillant. Je me repris: en ce monde désolé, plus aucun endroit n'était qualifiable "d'accueillant".

J'errai sans but, évitant les mares vaseuses et les arbres sombres. Je poussai les lianes avec mon museau et tentait d'y voir quelque chose parmi le brouillard qui stagnait autour de moi.
Et alors je sentis une odeur. Une odeur de loup !

Reprenant espoir, je me dirigeai vers cette fragrance lupine et cherchai des yeux un de mes compagnons de Meute. Seulement, ce ne fut pas un Esobek que je trouvai. Mais un Sekmet, à en juger par son odeur étrangère. Et en mauvais état, qui plus est.
Cela se résumait à un loup gisant à côté d'un tronc d'arbre abattu. Je plissai les yeux, méfiante. Ce n'était pas la première fois que je croisai la route d'un Sekmet. La Lune savait que ce n'était pas la témérité et la loyauté qui me manquait.

Cependant, était-ce une raison pour laisser un frère mourir ? Ma conscience me poussait à croire que non.

Alors je m'approchai de ce loup inconnu, précautionneuse, restant sur mes gardes. Après tout, cela pouvait très bien être une ruse mesquine de Sekmet.

Pitoyable. Voila ce que je pensai en voyant ce pauvre loup gisant tenter de se relever.
Il avait un pelage brun clair, un corps plutôt fin et sûrement une ou deux années de plus que moi. Par quelques endroits, son pelage était noirci. Il semblait affaibli, essoufflé et mal en point.
Avait-il subi une pluie de feu ? Je continuai de le scruter.

Après quelques essais infructueux, le Sekmet finit par se lever sur ses pattes tremblotantes, tentant de garder la face devant moi, sûrement. Il finit par s'asseoir et afficher une mine agressive - plus ou moins. Je ne ressentais pas la moindre frayeur, et j'étais prête à lui montrer que même jeune, je n'étais plus un louveteau idiot et inconscient. Et que j'avais la capacité de le battre aisément.

« Que viens-tu faire ici, Esobek ? », dit l'inconnu d'une voix qui se voulait brutale.

Je m'immobilisai, les oreilles couchées, les muscles bandés et les yeux méfiants.

« Je pourrai te retourner la question, Sekmet. », rétorquai-je de la même façon, éludant sa propre question.

Lentement, je me mis à tourner autour de lui, le jaugeant de mes yeux bleus perçants. Pas mal bâti. Cela devait être un jeune chasseur ou un guerrier. Ferais-je le poids, moi, simple apprentie, face à un guerrier Sekmet ? Mon orgueil me poussait à croire que oui.

J'avais cependant appris par Yroen que se lancer dans un combat tête baissé n'était pas toujours la solution. Il fallait que je me montre digne de mon mentor.

Alors je m'assit à quelques mètres de l'inconnu pour lui faire face, les oreilles pointés en sa direction.

« Où es ta Meute, l'inconnu ? Te serais-tu… égaré ? »

J'accueillit ces paroles d'un regard inquisiteur. Oserais-t-il m'avouer que sa Meute avait essuyé une pluie de feu ? Ou est-ce que la suffisance spécifiquement Sekmet le pousserais à me raconter des balivernes ?

Si le loup en face de moi fut agacé par ma répartie, il n'en montra rien. Il tenta d'afficher une mine agressive mais s'y résigna, préférant un petit sourire interrogateur.

« Désolée, je ne voulais pas … En fait si, je voulais paraître menaçant mais plus maintenant … je veux dire, ça ne sert à rien de se sauter à la gorge maintenant. »

Je dressai les oreilles et plissait légèrement les yeux, surprise. Que tentait-il de faire ? Je n'avais jamais croisé aucun Sekmet adoptant ce genre de comportement. Je restai muette. Peut-être devai-je mettre cela sur le compte de l'âge de mon interlocuteur ou… de la situation.

« Je me suis fait surprendre par la pluie. », avoua-t-il finalement.

Je hochai la tête sans rien dire. Je ne voulais absolument pas ressentir de pitié envers quiconque, mais là, c'était plus fort que moi… Et puis je me repris. A quoi bon ? Je pouvais très bien avoir pitié de moi-même, après tout j'étais dans la même situation !

L'inconnu me fixa dans les yeux, une lueur curieuse s'allumant dans son regard.

« Je m’appelle Fjorgur, et toi ? »

Je rêvai ou quoi ? Est-ce que ce loup tentais de sympathiser ? Etrange tout ça. J'avouai cependant que son attitude détendu me mettait plus en confiance.

Levant les yeux au ciel, je décidai de jouer le jeu.

« Eh bien, Fjorgur, je crains que nous soyons dans la même situation. Je suis Wakanda de la Meute Esobek. Mais ça tu le savais déjà. » répondis-je, une lueur malicieuse dans le regard.

Elle afficha un sourire triste et baissa les yeux.

« J'ai perçu les nuages et j'ai fuis avant de recevoir la moindre goutte. Mais j'ai par la même occasion perdu mon chemin et… perdu les miens. Ils doivent être éparpillés un peu partout à chercher un abris. »

Je me sentais nulle d'avoir fuis ainsi. Qu'est-ce que je fais ici au lieu d'essayer de retrouver les miens ?, pensai-je.

Je m'aperçut que Fjorgur comprenait la situation. Tout cela semblait si irréel: les évènements, notre rencontre…
Et pourtant, je sentais que je pouvais me confier à ce loup malgré le fossé que créait nos différences. Qui avait affirmé que Sekmet et  Esobek étaient diamétralement opposés ? Qui avait ordonné que l'on se fasse guerre perpétuelle ? L'instinct, peut-être. Moi, je n'étais pas du genre à observer les règles, et, sur l'instant, je me promis de lutter contre ce fichu instinct tribale qui dictait perpétuellement nos paroles et nos agissements envers autrui.

 Nous étions là, assis en face l'un de l'autre, à parler tristement de nos pairs comme si jamais nous n'allions les revoir. Comme si les choses étaient immuables et que la fatalité existait.

Je hochai imperceptiblement la tête. Non, ce n'est pas ainsi que je voyais les choses, et je n'allais pas laisser le Destin me laminer le moral.
Fjorgur reprit:

« Au moins tu as eu plus de chance que moi. »

Je relevai la tête, intriguée. Il me montra une petite parcelle de sa peau dénuée de poil, à vif. Je me levai et, précautionneusement pour ne pas l'affoler, je m'approchai de lui pour examiner sa blessure d'un peu plus près.

« Ça n’a pas l’air comme ça, mais ça fait un mal de chien. Je dois en avoir deux ou trois autres éparpillées sur le reste de mon corps. »

Je reculai lentement, sans un mot. Une petite boule de compassion compressait un point de mon estomac malgré toutes mes tentatives pour la faire taire. J'avais certes eu plus de chance que lui, mais je ne voulais pas lui faire le coup de la pitié. En tous cas, moi je n'aurais pas apprécié si les rôles avaient été inversés.
Je devais garder à l'esprit qu'il restait un Sekmet, mâle de surcroît.

Mais que devais-je faire dans ce cas ? Partir et oublier cet épisode ?

Je relevai la tête, scrutant Fjorgur dans les yeux.

« Ces blessures m'ont l'air grave, Fjorgur. Il faut te soigner au plus vite. »

Je me relevai et plantai mes griffes dans le sol.

« Regarde-nous, Fjorgur. A peine séparés de nos Meutes qu'il nous semble que la fin du monde approche à grand pas. Nous sommes comme deux louveteaux perdus sans nos pairs pour nous guider, pour nous susurrer que nous sommes ennemis et pour nous pousser à nous entretuer. Je ne sais pas pour toi, mais moi je ne laisserai pas une quelconque loi de Meute dicter mes agissements envers toi, un Sekmet. »

Je fit une pause et reprit, déterminée:

« Alors nous allons retrouver ta Meute, Sekmet. Et je vais t'aider à le faire, que l'on me le permette ou non. »

Wakanda s’est approchée pour avoir une meilleure vue de sa blessure et lui-même se contorsionne pour mieux la voir. Il ne faut pas se faire d’illusion : les poils ne repoussent presque jamais après une telle brûlure, Fjorgur va certainement en garder la cicatrice à vie. Il grimace légèrement à cette idée, son beau pelage n’avait pas besoin de ça.

Elle le regarde dans les yeux et il détourne instantanément le regard. Fjorgur se maudit intérieurement pour cette impossibilité de fixer les autres loups dans les yeux plus d’une seconde. Quelle faiblesse pathétique, mais il ne peut rien faire pour y remédier…

« Ces blessures m'ont l'air grave, Fjorgur. Il faut te soigner au plus vite. »

Elle veut m’aider ? Pourquoi ne pense-t-elle pas à elle d’abord ? Et à sa Meute ? De toute façon, ces blessures ne sont pas si graves, il me faut juste un peu de repos. Fjorgur se redresse, prêt à protester, mais Wakanda se lève et le coupe dans son élan :

« Regarde-nous, Fjorgur. A peine séparés de nos Meutes qu'il nous semble que la fin du monde approche à grand pas. Nous sommes comme deux louveteaux perdus sans nos pairs pour nous guider, pour nous susurrer que nous sommes ennemis et pour nous pousser à nous entretuer. Je ne sais pas pour toi, mais moi je ne laisserai pas une quelconque loi de Meute dicter mes agissements envers toi, un Sekmet. »

Il ne voit pas trop où elle veut en venir avec tout ça, mais elle semble passionnée dans son discours.

« Euh…
- Alors nous allons retrouver ta Meute, Sekmet. Et je vais t'aider à le faire, que l'on me le permette ou non. »

Fjorgur bondit, yeux grands ouverts, surpris par ce qu’elle vient de lui dire. Une décharge de douleur lui parcourt le corps le temps d’une demi-seconde, lui arrachant une grimace. Elle veut vraiment m’aider à retrouver ma Meute ?! Mais elle a perdu la tête ou quoi ? Il secoue la tête.

« Non ! Et la tienne ? Non, non, je me débrouillerai seul. »

Il secoue de nouveau la tête, puis la relève et croise brièvement le regard de la louve. Elle semble déterminée dans son entreprise, mais ça n’a aucun sens. Et puis, si les Sekmets le voyaient avec une Esobek, ils le tueraient, et elle avec. Non, c’est trop risqué…

… Ou peut-être pas. Elle pourrait m’aider à retrouver la Meute, puis une fois arrivés, elle pourrait rester avec nous en tant qu’otage… Cela nous donnerait un avantage sur les Esobeks, elle pourrait nous donner des informations ou on pourrait l’échanger contre des réserves de nourriture… Cela semble être un bon plan. Les Sekmets en sortiraient plus forts, les Esobeks plus faibles, et tout le monde serait fier de lui pour son action. Il serait vénéré comme un héros. Fjorgur sourit intérieurement à cette idée.

Un bon plan, oui… Mais un plan qui inclut faire du mal à un autre loup et tromper sa confiance alors qu’il voulait l’aider. Fjorgur se donne tout de même bonne conscience N’est-ce pas là quelque chose, d’après ce que l’on m’a raconté, que les Esobeks font tout le temps ? Oui, d’après ce qu’on lui a raconté. Mais pourquoi lui mentirait-on sur le sujet ? D’un autre côté, ce serait se rabaisser à leur niveau… Et elle ne semble pas fourbe, elle est complètement honnête, elle ne cherche qu’à m’aider. Est-ce que je pourrai vivre sachant que j’ai trahi la confiance d’une gentille louve ? Et comment arranger la paix entre les Meutes si nous en arrivons à de tels extrêmes ? Ainsi tiraillé entre sa conscience et sa loyauté à la Meute, Fjorgur ne sait sur quelle patte danser. Si seulement ils ne s’étaient pas trouvés, tout aurait été bien plus simple.

Voilà peut-être la solution. Faire comme si rien ne s’était passé. Faire comme si ce conflit intérieur n’a pas de raison d’exister. Partir loin et ne plus jamais la revoir, avec un peu de chance ils oublieront tout. Fuir les décisions.

Fjorgur se retourne, tournant maintenant le dos à Wakanda.

« Cherche ta Meute et je chercherai la mienne. Adieu, Wakanda. »

Il avance alors quelques mètres d’un pas déterminé avant de s’effondrer par terre, ses muscles n’étant pas encore remis de sa course folle. Bonjour l’effet. Il soupire. Pourquoi est-ce que rien ne se passe jamais comme prévu ?

Pourquoi les choses sont toujours trop compliqués ? Pourquoi Fjorgur n'a pas simplement répondu: "Allons-y !" d'un ton enjoué ?

Je me maudis intérieurement. Mon inexpérience en la matière me laissait dire des choses complètement absurdes, qui pourtant ne l'étaient pas tant que ça à mes yeux. J'étais bête de penser qu'un simple Sekmet comprendrait mon point de vue. J'étais bête d'avoir engagé la conversation.

Je le fixai sans un mot, regrettant mes paroles. Fjorgur se braquait à vue d'oeil.

« Cherche ta Meute et je chercherai la mienne. Adieu, Wakanda. »

Il se détourna et partit d'un pas qui se voulait déterminé. Je voulut protester mais je me ravisai. Je n'avais plus 6 mois ! Après tout c'était son choix.

Si j'avais voulu l'aider à retrouver sa Meute, ce n'était pas pour m'afficher avec l'ennemi et faire de la propagande. Ce n'était pas à des fins malveillantes non plus.
Mais cela semblait hors de portée de cet esprit entravé par les dires Sekmet. Je me sentais plus seule que jamais.
C'était juste pour être… gentille. Juste parce que ce loup était blessé et que je voyais en lui - à tort - un potentiel ami. Je vous jure ! Je réagissais toujours comme un louveteau, parfois.

Je ressentis de la culpabilité. N'étais-je pas en train de trahir ma Meute, en pensant de telles atrocités ? Aider un Sekmet était bien la pire des trahisons. Alors, résignée, je me détournai moi aussi, sans prendre le temps de retourner les adieux.

Et là, j'entendis un gros "boum".

Je me retournai, curieuse, et aperçut Fjorgur, affalé et probablement honteux d'être aperçu dans une telle posture. Je ne pus m'empêcher de rire devant cette situation un brin absurde.

Je m'approchai une nouvelle fois de Fjorgur, me plaçant devant sa tête posée au sol.

« Alors, on fait moins le malin maintenant, monsieur-je-fais-bande-à-part ! »

Je me reculai et le fixai sans cacher mon amusement.

« On dirait un petit oiseau tombé de son nid. Je te jure, pathétique. »

Je ris de plus belle, de mon rire espiègle et sincère.
Je lui proposai alors une patte pour l'aider à se relever. A lui de voir s'il l'acceptait ou non.

Je restai immobile à fixer Fjorgur. Ce dernier semblait en plein dilemme intérieur et regardait la patte que je lui tendait avec hésitation.
Un moment, je me demandai s'il n'avait pas mal interprété ma réaction. Les Sekmet n'étaient pas vraiment adeptes de la spontanéité, apparemment.

Finalement, le regard de Fjorgur se durcit et je sentis qu'il venait de prendre une décision.
Il prit ma patte et se releva.

« Merci. »

Je reculai pour lui laisser la place de se relever. Il étira ses membres un à un, comme s'il s'était trouvé une nouvelle paix intérieure. Il semblait plus serein.

« Visiblement, je crois que j’aurai bien besoin de ton aide pour rentrer chez moi, en fait … »

Il afficha un demi-sourire. Ce changement de comportement me laissa pantoise.

« Pourquoi as-tu toujours l'air si…. torturé ? Je peux comprendre que mon aura de puissance t'impressionne... »

Je lui lançai un sourire suite à ma phrase ironique que je savais totalement erronée (rien en moi ne respirait la grandeur ou la puissance).

«… Mais je n'ai jamais vu un Sekmet aussi indécis. Ecoute, je vais t'arranger les choses: je te raccompagne jusqu'aux abords de ton camp - car sinon j'ai bien peur que tu n'y parvienne jamais entier - puis je tâcherai de mon côté de retrouver le mien. On fera comme si rien ne s'était passé, et personne n'en saura rien. Au pire, je prétexterai t'avoir poursuivi depuis la forêt. »

Pas mal. Au moins, je passerai pour une bonne guerrière auprès des miens. Enfin, si je pouvais éviter de me faire voir avec un Sekmet, cela ne serait pas mal non plus.

A partir de ce moment, je redoublai de prudence. De toute évidence, ce jeune loup aux pensées torturées n'avait pas l'air d'accorder sa confiance facilement - et il avait raison. Après tout, n'étais-je pas son ennemi de nature ?

« Ca me semble être un plan parfait. »

Je le fixai, tentant de déceler derrière ses airs conciliant un plan tordu. Il s'avança, testant ses muscles fatigués puis finit par se retourner.

« Après toi. »

Je bondis sur mes pattes et passait devant lui sans le quitter des yeux. Je me doutai bien que ce geste n'avait rien de galant.

« Très bien, Fjorgur. J'irai devant, quant à toi, tâche de ne pas trop retarder notre marche. Il se peut que nos Meutes ait déjà conscience de notre absence. »

Je lui lançai un regard entendu et le dépassai d'un pas décidé. Nous nous enfonçâmes dans la brume verdâtre aux relents infects et je tâchai de ne pas me laisser désorienté.
Voyons, pensai-je, si je suis les traces, nous devrions revenir sur nos pas...
Mais avec toute cette brume et cette boue, plus aucune trace n'était visible. Je pestai intérieurement et continuai à fendre la brume, bien décidé à évacuer cet endroit malsain. J'entendais derrière moi la respiration de Fjorgur.

Le brusque changement d'atmosphère m'indiqua que nous avions fini par atteindre une des extrémités du marécage. Je m'arrêtai et fixai la brume verte maintenant derrière moi en attendant que Fjorgur me rejoigne.

« Aurais-tu une idée d'où ta Meute aurait pu se réfugier ? » demandai-je quand il m'eut rejoins.