Qu'est-ce que tu faisais en ce jour, trainant ta vieille carcasse dans les décombres de la ville en ruine ? Tu ne savais même pas toi-même. Peut être cherchais-tu, sans grand espoir, un reste de lapin, de faon, de putois ou de pigeon pour combler le creux de ton estomac. Ta fouille restait sans succès, et pourtant, tu continuais sans relâche, ta vie en dépendait après tout. A cause de ce putain de blizzard, qui, heureusement pour tous les loups, avait pris fin, tu n'avais pas pu te nourrir correctement pendant bien trop longtemps. Et tout ton corps te le faisait savoir. De ta drôle de démarche tu te promenais par-ci, par-là, tentant de faire le moins de bruit possible en posant tes pattes aux durs coussinets sur le sol. Tu étais dans un coin dangereux et tu en avais bien conscience. Les Hommes et leurs foutus Chiens n'étaient jamais bien loin de ces vestiges d'habitations. Un instant il te sembla entendre des aboiements dans le lointain et tu tendis tes oreilles pointus en direction du sons. Néanmoins tu ne l'entendis pas de nouveau, et avec un haussement d'épaules tu maugréas : "- Ah ben voilà que la faim me donne des hallucinations auditives...Me voilà bien parti..."
Tu ne le savais pas, mais quand tu te comportais de cette façon tu ressemblais à un vieux loup aigris par l'âge et par ses articulations douloureuses. Ce que tu étais loin d'être ! Tu avais seulement 5 printemps passés tout de même !

Tu fouinais encore, ton museau enfoui dans un trous de rocaille, lorsque les aboiements retentirent de nouveau. Suivi d'un jappement. De loup. Celui-là devait avoir des ennuis. Pendant quelques secondes tu hésitas à aller voir ce qu'il se passait. En effet, tu n'avais pas eu le temps de reprendre des forces depuis le Blizzard, et puis, n'ayant pas eu l'occasion de combattre souvent tu savais bien que tes talents au combat et ta force n'étaient pas au mieux. Et puis, le but ce n'était pas de te blesser dès que l'occasion se présentait !! Et tu soupiras. Tu te connaissais tu ne pouvais tout simplement PAS abandonner un loup qui avait besoin d'aide, même si, finalement, tu risquais de te transformer en boulet pour l'autre canidé.
Tu t'élanças donc en direction des bruits, tes pattes frappant le sol dans un rythme croissant, tu haletais, peu habitué à un tel effort. Les bruits venaient de l'entrée dans la ville en ruine, et, avec un énième soupir tu accéléras encore et encore jusqu'à arriver au bon endroit. Tu t'arrêtas dans un dérapage plus ou moins contrôlé et tu pris juste un millième de seconde pour analyser la situation. Un loup noir, mâle, était en prise avec un molosse qui avait l'air plutôt costaud et hargneux. Mais un autre chien était présent et semblait bien décidé à attaquer quand le loup inconnu serait mis à mal par son affreux congénère. Lâche. "- Et voilà...Qui va encore se retrouver dans des emmerdes pas possible ? C'est moooiiii...", soupiras-tu avant de te jeter contre le vilain toutou.
Grondant, crocs à découvert, tu percutas le chien, qui, visiblement n'avait pas eu le temps de te voir venir. Dans un concert de grognements et de glapissements tu entamas une danse ou le but n'était autre que d'infliger le plus de blessures, handicapantes si possible, à ton adversaire.

Le combat contre ton adversaire se termina brusquement lorsque l'autre loup l'envoya bouler. Le chien s'écrasa le crâne contre le mur et ne bougea plus. Essoufflé mais pas du tout blessé, tu tournas la tête vers le loup noir. Il avait des yeux vairons. C'était de plus en plus courant. Mutation génétique ou gênes de chien. Peu importait de toute façon. Le mâle reprenait son souffle tandis que toi tu gardais ton regard doré posé sur lui, calme. Impassible. Pourtant ta respiration était courte, et ta langue rouge sortait de ta mâchoire ouverte. Seuls ces deux signes indiquait que ton combat t'avait remué un peu.
Il te sembla que l'autre loup voulut te remercier, ou en tout cas te dire quelque chose. Néanmoins un bruit que tu ne connaissais que trop bien coupa court à la discussion. Coup de feu. Malgré toi ce son réveilla en toi la douleur d'une cicatrice et d'un souvenir. Dans la neige, ta sœur qui s'effondrait. En toi s'éveilla une haine intense, et tes babines se soulevèrent pour montrer tes crocs immaculés. Cependant le noiraud ne te laissa pas le temps de faire quoi que se soit. D'un coup de tête il te donna la direction à prendre et tu ne rechignas pas. Un combat contre un Homme se serait soldé par ta défaite. Tu entras dans un tunnel sous les immeubles ou jadis les Hommes vivaient.
La pièce ou tu arrivas avec ton "compagnon de route" n'était pas si en désordre que ça, pour autant les étagères ne te paraissaient pas bien solides. Le loup noir se posa à même le sol, tandis que toi tu levais ton museau pour capter la moindre odeur. L'instinct faisait que tu n'avais que très peu explorer ce genre d'endroit. Ces lieux t'angoissaient un peu. Mais malgré ça, en cet instant, tu ne t'inquiétais pas. Le loup sur lequel tu posa ton regard abîmé était sans doute expérimenté. Si il t'avait amené ici c'est que vous étiez en sécurité. D'ailleurs ce dernier te demanda : "- Merci. Pour tout à l'heure. C'quoi ton nom, solitaire ?"
Regarder un autre loup dans les yeux était pour toi une épreuve. Tu avais bien conscience de ton œil a moitié crevé, de ta cicatrice qui te défigurait. Et tu savais que parfois ton regard dégoutait. Pourtant, cette fois, tu tins bon, plantant tes yeux aux nuances d'or dans ceux, vairons, du mâle noir. "- De rien, c'était pas grand chose. Mon nom c'est Skirr. Et mon nom de lune c'est Masque du Vide. Et toi ? Tu t'appelles comment ?"
Ton côté un peu renfermé prenait le dessus en cet instant, c'est pourquoi tu ne dis que le minimum syndical. Mais tu n'étais pas désagréable, ton tons, bien que distant, était poli et posé. Calme aussi. Rien qui ne laissait deviner que vous sortiez d'un combat avec des chiens.

Tu t'assis, posant ton derrière de loup sur le sol. Ton regard calme aux paillettes dorées toujours posé sur l'autre loup. Tu cherchais à savoir, à comprendre. Qui il était, ce qu'il faisait...Tout. Parce que pour le moment la seule chose que tu savais c'est que tu n'avais pas à faire à une menace. Ou en tout cas pas à une menace directe. Il s'agissait peut être d'un mâle complétement taré ou bien bipolaire qui allait se jeter d'un coup sur toi. Néanmoins cela ne t'inquiétait pas plus que ça finalement. Tu pouvais bien mourir, tu ne connaissais plus personne et donc tu ne manquerai à aucun loup sur cette terre. Et tu rejoindrai ta mère et ta sœur. Le loup couleur de nuit se posa de nouveau au sol et se mit à lécher une de ses pattes. Puis il te répondit d'un coup comme ça : "- Nocturne, Miroir des Silences. Je suis un mercenaire."
Miroir des Silences. C'était un nom comme un autre. Et tu étais désormais sûr et certain que tu n'avais jamais rencontré ce loup là. Mais ce nom de lune évoquait en toi quelque chose d'étrange. En fait tu avais l'impression qu'il ressemblait un peu au tient finalement. Avec agacement tu secouas la tête. Ce n'était pas le moment pour se dire ce genre de choses. De plus le dénommé Nocturne n'en avait sans doute rien à secouer. Autre information, il s'agissait ici d'un mâle mercenaire. Tu en avais entendu parler cependant tu ne savais pas exactement en quoi cela consistait.
Te levant avec souplesse tu te mis à explorer le lieu ou vous vous trouviez avec ta drôle de démarche. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensaient, tu ne souffrais pas. C'était ta mauvaise croissance qui pouvait donner ce sentiment. Chez ta défunte sœur cette impression était moins...voyante. Mais tous les deux vous souffriez de cette même mauvaise croissance. A cause de votre putain de père. Non pas père, géniteur. Il n'était rien d'autre que cela après tout. Reniflant discrètement toutes les odeurs de votre abris de fortune tu en profitas pour te renseigner auprès de Nocturne. Toujours avec la même voix calme et posée tu lui demandas : "- Dis-moi...En quoi consiste le fait d'être mercenaire ? Je n'ai pas l'intention d'en devenir un, mais j'en ai entendu parler et je ne savais pas ce que c'était. Alors maintenant que j'en ai un sous la patte j'en profite."
Un instant ton regard aux teintes d'ambre se posa sur le loup. Puis, en attendant sa réponse tu recommenças à fureter. Ta vie passé et ton instinct de loup solitaire te poussaient à le faire. On ne sait jamais si un danger surgissait tu préférais avoir repérer une sortie de secours.