Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Au rythme de ses pattes, le ciel avait pâli et une à une, les étoiles s’étaient éteintes. A présent, les plaines ensommeillées lâchaient des bâillements paresseux sur son passage et enveloppaient ses coussinets d’une brume légère. L’horizon était rose. Sa ligne tranchait en deux le ciel et la terre noirs. Zwey parvint à la fête foraine abandonnée en même temps que les premiers rayons du soleil ; ceux-ci allèrent se réverbérer contre les arcades de métal et un instant, l'endroit tout entier se retrouva baignée dans un flash lumineux insupportable. Puis le loup au poil parsemé de roux descendit quelques degrés dans la pente, et la réverbération se changea en millier d'étoiles lumineuses qui lui adressaient des clins d’œil sur les courbes des manèges tombés au sol.
Zwey n'avait pas rendez-vous. Au diable les rendez-vous ; il ne se souvenait pas avoir consenti à devenir un vulgaire chien qu'on siffle quand on le désire. Mais son commanditaire avait glissé qu'il voulait le voir, et il s'en serait voulu de lui refuser ce plaisir. Evidemment, l'esobek était conscient que sa longue détention dans les geôles humaines avait certainement modifié quelques détails. En ce qui le concernait, lesdits détails étaient bien visibles sur ses côtes saillantes. Et du côté du monde extérieur, il fallait malheureusement avouer qu'il avait cessé de suivre l'actualité pendant un petit moment. Mais quoi qu'il en soit, il avait besoin d'échanger deux mots avec le loup noir. Une idée qui lui trottait dans la tête depuis un moment, mais commençait à prendre une ampleur inquiétante. C'était qu'en ce moment, Zwey était loin d'être tranquille lui-même.
Le rouquin flâna un moment parmi les cadavres de métal puis, se rendant compte que celui qu'il cherchait n'était pas à proximité immédiate, se contenta d'aller se jucher sur un rail au métal à la fois glacé et brûlant de lumière : le canidé noir finirait bien par passer par là, et Zwey avait toute la journée devant lui. On lui avait assuré - selon plusieurs sources en réalité - que c'était ici qu'il le trouverait. C'était, aussi, ici même qu'ils s'étaient rencontrés. How romantic.
Lorsque le loup noir finit par passer, Zwey plissa les yeux pour bien l'identifier puis, recoupant la petite taille et les prunelles dorées, l'interpella lorsqu'il fut tout près :
« Je t'ai manqué ? Koschei. »
L'ex-sentinelle s'amusa de la sensation nouvelle qu'avait ce nom sur sa langue, lui qu'il n'avait jamais prononcé faute de le connaître. Zwey n'avait appris le véritable patronyme de son employeur que récemment, lors du conflit qui avait opposé sa meute aux Navniks. Des paroles lancées à la hâte entre mercenaires et d'un seul coup, Stannis n'était plus Stannis le solitaire un peu original, mais Koschei le leader un peu original des mercenaires. Cela ne changeait, en soi, rien au personnage, mais Koschei lui allait mieux. Zwey aimait les sonorités de ce nom. Un beau nom pour un bel embobineur. Il lui en avait un peu voulu de cette malhonnêté qui consistait à lui cacher son identité ; mais d'un autre côté, le loup noir était ce qu'il était. Et Zwey n'était pas assez stupide pour lui faire confiance. Il pouvait l'apprécier, il pouvait s'amuser de ses airs, il pouvait même lui pardonner d'avoir dissimulé qui il était - sans doute par peur que l'esobek le rejette et que cela mette en péril leur idylle, c'était bien normal. Mais lui faire confiance, il n'allait pas s'y risquer. De toute façon, Zwey ne faisait confiance à personne. Il ne se serait pas fait confiance à lui-même, et il aurait eu raison ; alors pourquoi accorder ce privilège aux autres ?
Say goodbye as you dance with the Devil tonight Don't you dare look at him in the eye
hrp:
Désolée d'avoir pris si longtemps, je pensais que tu avais posté ce rp plus tard que ça en fait :o
Ce matin-là Koschei avait été réveillé par un rayon de soleil s’infiltrant dans sa tanière et il en était sorti en se secouant, tentant de se réchauffer malgré la fraîche brise matinale qui balayait les lieux. Il aurait pu rentrer dans sa tanière et y attendre que la soleil se lève un peu plus haut, mais le Leader était loin d’être le genre à faire la grasse matinée, surtout quand tant d’affaires l’attendaient. Il fallait chasser, chercher de nouveaux contrats, accomplir ceux qui existaient déjà, chercher des informations, ... Oh, en parlant d’informations, voilà bien longtemps qu’il n’avait pas revu ce cher Zwey. Il ne pouvait cependant pas lui en tenir rigueur : il savait très bien que le loup brun avait été capturé par les humains et que même si celui-ci était de retour chez lui, il lui faudrait du temps pour s’en remettre ; et surtout pour se remettre à jour au niveau des dernières nouvelles. A vrai dire, Koschei avait un peu peur que cette visite chez les humains n’ait encore plus refroidi sa taupe préférée, déjà qu’elle était beaucoup trop nerveuse à son goût la dernière fois qu’ils s’étaient croisés.
Koschei se fraya donc un chemin parmi les décombres de la Fête Foraine, prêt pour une petite promenade matinale aux abords des terres Esobeks, espérant peut-être ainsi croiser la Sentinelle, mais au final il n’eut même pas besoin de marcher jusque là car la voilà qui l’appelait, juché sur un bout de métal comme un oiseau de proie. Le Leader ne cacha pas sa surprise quand il entendit sa voix.
“Je t'ai manqué ? Koschei.”
Le Mercenaire avait presque oublié qu’il avait utilisé un autre nom pour se présenter à Zwey, comme c’était son habitude autrefois. Il le faisait par amusement, mais au final ce changement constant d’identité relevait un intérêt stratégique : si quelqu’un qu’il ne connaissait pas l’appelait par un de ses noms, il savait directement qui lui avait parlé. Enfin, maintenant qu’il possédait une certaine notoriété, il avait bien fallu qu’il choisisse un nom fixe. Il se demandait comment Zwey s’était senti quand il l’avait appris. Trahi ? Surpris ? Amusé ? Un mélange des trois ? Il faut dire que la Sentinelle était difficile à cerner, loyale mais en même temps sensible à l’appât du gain. Et vu sa posture et son ton de voix, elle avait quelque chose d’important à lui dire. Voulait-elle arrêter leur petit arrangement, ou demander un salaire plus élevé ?
Koschei se tourna vers elle avec un large sourire.
“Zwey, je pensais justement à toi.”
Et, pour une fois, c’était bien là la vérité complète. Il se rapprocha de quelques pas, fixant le loup là-haut sur son perchoir. Il avait maigri et faisait presque peur à voir. Qu’est-ce que les humains lui avaient fait dans ce laboratoire ? Oh ne vous détrompez pas, il se posait cette question par pure curiosité, pas une once d’empathie ne teintait son esprit ... Ou alors peut être un tout petit peu.
“Je vois que tu es finalement venu pour ce petit dîner que je t’avais proposé mais malheureusement je n’ai pas pu prévoir quoi que ce soit, ne sachant pas quand tu allais passer.”
L’Esobek aurait pu prendre rendez-vous ou au moins prévenir de son arrivée, mais au final Koschei n’en attendait pas moins de lui.
“Tu as fini par apprendre le nom par lequel la plupart me connaissent. J’espère que tu ne m’en veux pas trop ...”
Il baissa les oreilles avec une mine exagérément triste. Toutes les rencontres entre ces deux-là se transformaient rapidement en pièces de théâtre burlesques totalement improvisées.
La surprise peinte sur la gueule du loup noir lorsqu'il leva les yeux était comme une friandise matinale que Zwey croqua à pleine dents. Savoir que le mercenaire aimait le savoir et sa maîtrise plus que toute chose ne faisait que rendre les rares fois où on le prenait en défaut plus savoureuses. Cela dit évidemment, Koschei se ressaisit immédiatement. Et lui dédia un sourire éblouissant.
« Zwey, je pensais justement à toi. »
Evidemment. Se passait-il un jour sans que Koschei ne pense à lui ? Il était une personne tellement incroyable et merveilleuse. Le loup brun lâcha un bâillement comme pour se souligner à lui-même tout ce qu'il pensait de cette affirmation. Dans un sens comme dans l'autre, cela en disait long.
« Je vois que tu es finalement venu pour ce petit dîner que je t’avais proposé mais malheureusement je n’ai pas pu prévoir quoi que ce soit, ne sachant pas quand tu allais passer. »
Zwey haussa vaguement les épaules.
« Je survivrai. J'ai appris à me contenter de peu. » Répliqua-t-il comme si cela n'avait aucune importance.
Ce n'était pas le cas, évidemment. La faim, physique comme psychologique, qui assaillait le loup depuis sa libération était une force contre laquelle il était difficile de lutter. Mais il avait vu tant de loups subir des horreurs physiques bien plus évidentes qu'il estimait pouvoir feindre l'indifférence. Bien qu'il eut préféré se voir arracher un œil plutôt que ses côtes saillir ainsi sous sa peau. Concentre-toi. Koschei continuait de parler. Il n'avait rien perdu de sa loquacité.
« Tu as fini par apprendre le nom par lequel la plupart me connaissent. J’espère que tu ne m’en veux pas trop... »
L'air piteux du loup noir faillit faire éclater Zwey de rire. Quelque part, les mimiques de Son Altesse lui avaient presque manqué. Son petit jeu avait néanmoins toujours été contagieux : par réflexe, le loup brun arbora le même air faussement blessé à mort. Il rejeta sèchement la tête de côté, les yeux fermés, comme assailli par une douleur intense.
« Ma déception est immense. Je ne sais pas si je réussirai à te pardonner ton manque de confiance. D'autant que... » Un oeil noisette se rouvrit pour se river aux prunelles dorées du leader. Une étincelle de malice y dansait.
La voix de l'esobek se fit moins dramatique, plus doucereuse :
« Tu m'as fait des infidélités si je ne m'abuse, mon cher et tendrrre ? »
Une fois de plus, le général ne put empêcher un sourire presque carnassier de s'étirer sur son museau. Tout le monde avait remarqué l'arrivée de Nídhögg parmi les esobeks, mais peu avaient faire le lien entre celui qui l'avait amené, Sköll, et le chef mercenaire de ce dernier. Peu avaient sans doute eu l'occasion de voir Koschei d'aussi près que Zwey, cela dit. Et l'ex-sentinelle aurait reconnu les yeux dorés du nouveau-né dans le noir d'une nuit sans lune. Nul besoin de préciser que toute cette histoire l'avait instantanément rendu très, très curieux. Ce n'était pas tant par avantage stratégique - après tout, il ne voyait aucun intérêt à menacer Koschei, qui était plutôt sa porte de secours en ces temps troublés - que par l'attrait d'une histoire intéressante que Zwey avait envie de l'entendre. Et par une sollicitude née de leur profonde amitié - à cette pensée, le général faillit s'étouffer de rire tant la formulation lui parut burlesque. N'empêche que. Il se contint et reprit :
« Cela dit j'aime bien qu'il soit là, le nouveau gosse de Nymeria. On dirait que quelqu'un l'a mâchonné et recraché, je me sens moins seul quand je le vois. Je me demande bien ce qui lui est arrivé. » Il jeta un coup d’œil d'un sincère curiosité à son commanditaire. Puis un sourire étira ses babines. Non, il ne pouvait pas s'en empêcher : « Quels parents indiignes peuvent laisser leur rejeton se faire traiter de la sorte ? »
Le loup brun battit des paupières, l'air innocent. Face à cet événement, ses deux-trois informations et revendications pouvaient bien attendre.