Cette terre qui est désormais la mienne, je la connais par coeur. Cela fait un mois que Manîthil m'a accueillis dans sa tanière, et depuis lors beaucoup de choses ont changé. Je sais désormais qu'elle fut mon nom, qui étais-je par le passé, même si celui ci reste vague. Les souvenirs ne me sont pour autant pas revenu. Cela vient peut être du fait que je refuse d'être ce loup qui a été réduit au silence par une louve blanche dont j'ignore le nom, mais en connais la meute.
Mon objectif était de devenir plus fort, indestructible, et ainsi de faire subir à celle-ci, ce que j'avais vécu depuis cette guerre dont je n'ai pas de souvenir non plus. Je m'entraînais depuis plusieurs jours, gagnait doucement en puissance. Déjà mes antérieurs semblaient mieux supporter des marches longues, et mes escapades dans la blessure. Ma tête me faisait moins souffrir, les migraines étaient plus espacées.
J'avais appris à accepter peu à peu le loup que j'étais devenu. Châtiment, le joyau autrefois brisé, devenu écorché. Plus je m'acceptais moins il était dur d'avancer chaque jours, de parcourir ses terres inconnus de mon être nouveau.

Manîthil était comme à son habitude partie. Notre relation était quelque peu particulière, et je ne serai la qualifiée. Mais elle était là pour moi, même si ce n'était que parce que j'avais accepté être son pantin. Et j'étais là pour elle, la nourrissant de mes chasses fructueuses.
C'était donc après son départ que j'en avais profiter pour prendre un peu l'air. L’atmosphère de ces derniers jours s'était réchauffé. La neige fondait peu à peu, et il était plus facile d'observer ainsi sur les longues distances, malgré mon unique œil valide. C'est ainsi que je la vis. Une touffe de poils blanche allongé au sol, en boule, endormis.
Je m'en approcha naturellement dans un premier temps, car il me paraissait évident que c'était mon hôte qui s'était endormis ici bas, mais plus j'approchais, plus je prenais mesure que son corps était bien plus petit, et différent de la louve que je connaissais si bien maintenant.
Je ne savais pas comment réagir alors que je surplombais son corps inerte, assoupis. Je savais que je devais me méfier des louves blanches, car c'en était une comme elle qui m'avait blessé mortellement. Mais je ne sais pourquoi, mon cœur s'était apaisé à son odeur. Quelque chose de déjà vu émanait de la louve au sol. Comme si je la connaissais, ou plutôt comme si le Arès mort en moi, la connaissait.


La poussant de la truffe, j'essaya de la réveiller.

"Ce n'est pas un endroit pour s'endormir voyons. Lève-toi."

Je ne sais pour quelle raison quand elle s'approche alors de moi, mon coeur semble s'emmêler. Que lui arrive t-il? Je la vois s'asseoir face à moi, et intérieurement j'ai envie qu'elle se rapproche d'avantage. Ma curiosité veut plonger son museau dans son épais pelage blanc immaculé. Mon être semble vouloir se rapprocher d'elle, toujours plus. Comme un aimant. Que se passe t-il? Je l'écoute mais mes yeux n'arrivent à se décoller de son visage angélique. Cette louve est magnifique. Mais il est tellement étrange que je pense ainsi, que je m'ébroue pour reprendre mes esprits. Depuis que j'avais quitter les humains je n'ai pas retrouver le vrai sens du mot beauté. Mon monde n'est qu'horreur, surtout quand on a une gueule comme la mienne. Je ferais fuir des louveteaux. Mais toi, je ne sais pourquoi, je te crois, j'avale tes paroles, tes mots. Tu parles de coup de foudre, et il me semble comprendre pourquoi car de tes yeux je ne peux me détacher. Intense? J'aurai dis merveilleux. Plus je te regarde, plus je veux entendre cette histoire. C'est une première pour moi de retrouver un intérêt quand à mon passé, à la vie d'Arès. Ainsi il, ou plutôt j'ai... eu la chance de rencontrer quelqu'un d'aussi pure que toi. Pourquoi changer cet être délicat que tu es, étais?
Ta voix lupine m'emporte dans ce comte de fée qu'est le passé. Ainsi je t'ai sauvé. J'étais un loup bien, et cela me passionne. J'ignorais qu'elles auraient pu être mes réactions à l'époque, mais quand tu me dis que j'aurai dû te laisser mourir, toi, mon ennemis, je comprend que la justice, comme aujourd'hui fait partie complète de moi, que je sois Arès, ou Châtiment.
Quand tu racontes que nous sommes restés coucher ensemble, pour la première fois depuis ce qui me semble une éternité, je m'imagine la scène et elle apparaît en mon esprit.

Nos corps sont entre-mêlés.
Je sens mon être tout entier apaisé.
La caresse de ma langue sur ta fourrure
Tes yeux lupins si étincelants qui me scrute avec passion
Ce comme si, nous n'avions formé qu'un seul et même loup
Le temps d'une journée.

Et tout redevient clair, tu es toujours là, face à moi. Le poils brillant sous les rayons du soleil timide. L'espace d'un instant, j'ai l'impression de ne plus être Châtiment. L'espace d'un instant, je suis prêt à venir près de toi, me rapprocher, t'enlacer. Mais tu t'arrêtes. Notre histoire c'est ainsi fini... Tu allais me rejoindre, nous allions vivre réunis, je me souviens être près à te rejoindre moi aussi, les Navniks...
Mais c'est alors qu'un prénom me revient en mémoire... Ebène. Je ne sais pas qui il est, mais je me souviens d'une promesse.

"Je ferais tout pour empêcher cette guerre."
Ce loup était mon ami. Tu étais celle qui faisait battre mon coeur.
Je comprend alors pourquoi j'ai voulu aider des Navniks durant la guerre. Mon coeur s'y trouvait ainsi que mon honneur et ma loyauté.

Le poids de ce souvenir n'est pas léger, et la douleur irradie à l'intérieur de mon crâne. Ma cicatrice me brûle de nouveau et un prénom vient me heurter: Manîthil.
Je dois la retrouver, je dois lui dire. Je dois...
Je tombe sur le sol, m'enserre le crâne de mes pattes, grattant de plus en plus fort le trou qui surplombe celui-ci.

Non, je ne dois pas me rappeler de ce passé. Je ne suis plus ce loup. Manî aide moi. Fais moi oublier. Je ne veux plus être faible.

Mes pensées sont un supplice. Mon attirance pour cette louve face à moi doit s'estomper, ce n'est qu'un mirage. Je dois le fuir. Mais la douleur est trop vive. C'est comme si le Arès en moi voulait s'échapper de la prison de mon corps écorché. Je hurle alors de douleur, un hurlement de supplice. Un appel à l'aide.

Manîthil, aide moi. Je ne peux pas aimer cette louve. Je ne suis plus lui...

Alors que je hurle ma douleur à plein poumons, un choc vient me couper le souffle et me couche au sol. Un choc? Non, c'est toi. Tu t'allonges a mes côtés plus rapide qu'un éclair, ne me laissant le choix que d'être à tes côtés, et soudain, ta langue effleure doucement ma joue. Que ce passe t-il? Mes lamentations ont cessé, je suis statique, incapable de réagir. Seul mon coeur semble prendre plaisir à jouer du tambour contre ma cage thoracique. Ta patte est sur mon épaule, je n'arrive plus à respirer. Que m'arrive t-il? Qu'es-tu en train de me faire? Est-ce un sort? Un jeu? Serais-tu comme Manîthil? Utilise tu ton pouvoir sur moi?
Mon être est figé. Je ne sais plus que pensé, je ne sais plus quoi faire.

"Calmes toi..Je t'en pris.."

Et contre toute attente, mon corps entier répondis à sa voix. Mes muscles cessèrent de se crisper et de trembler. Les spasmes qui me parcouraient se turent aussi. Je restais muet, mes yeux écarquillés dans les siens.

"Que, que fais-tu?"

J'avais l'impression d'être un louveteau. La chaleur me brulait les babines, et je ressentais une gêne profonde face à la situation. Je ne pouvais me dégager car je ne le souhaitais tout simplement pas. Mais intérieurement, Châtiment me hurlait de partir, que si Manîthil arrivait, jamais elle ne me le pardonnerait, et elle aurait tout les droits d'attenter à ma vie, car celle ci, lui appartient.

"Tu ne devrais pas."

Je détourne les yeux, faible. Est-ce moi le mâle ici? Je ne pouvais plus regarder car je sentais mes chaînes se briser peu à peu. C'est comme si, à son contact, les cordes qui me retenait, moi pantin, cédaient couper par le désir que la louve blanche faisait naître en moi.

"Tu devrais partir. Je... J'appartiens à Manîthil..."

Dire ces mots étaient un supplice, car au fond de moi, je sentais Arès devenir plus fort. Un Arès qui ne brûlait que de désir de la garder ainsi près de lui pour toujours.

"Je lui appartiens. Je lui dois la vie. Si elle te voit ainsi, je ne sais pas lequel de nous deux aura le plus de problèmes..."

Et c'était la vérité. Je connaissais la démone. Elle nous tuerait tout les deux si cela lui chantait. Nous n'étions que fourmis à ses yeux. Elle, si puissante, si sauvage, si hypnotisante.

A l'élocution du nom de ma maîtresse, je vis la rage passé dans les yeux de la louve blanche. Elle bondit, hors d'elle. Elle semblait prête à me quitter. Ainsi la romance allait prendre fin, et je ne saurais dire si j'étais soulagé, ou si c'était mon coeur que je sentais ce brisé ainsi.

- "Tu es un loup libre. Retiens ça : Manîthil ne me fait pas peur. Elle n'est que mon mentor, elle a un pact avec moi."

Je fus surpris de la tonalité de sa voix. C'est comme si l'espace d'un instant, la louve qui m'avait calmé, était une autre, une louve aussi froide que pourrait l'être Manîthil.

"Tu sais à présent qui je suis..je t'ai jamais oublié. Mais peut être que notre chemin doit encore se séparé...

"Non..."

Je fus surpris par mon propre souffle. Si faible mais si désespérer. Comme si le loup en moi avait peur d'être seul une seconde fois.

"Ne pars pas..."

C'était une demande qui ne venait pas de moi. Mais qui étais-je?

"Je dois t'oublier ? Ou devons nous recommençons totalement à zéro. Tu as perdu la mémoire alors quel est l'importance ?"

"Oui, j'ai perdu la mémoire, je suis seul, seul comme jamais. Le monde entier m'est inconnu, et il est probable que jamais, je ne redevienne le Arès que tu connaissais. Il a été engloutis par toute la haine de ce monde. Il ne reste plus que moi, Châtiment. Celui que tu as pris dans tes bras, celui qui ne comprend pas ce qu'il ressent, car depuis bien trop longtemps, je ne ressens plus rien, je suis devenu un vrai zombie, un cadavre en ces lieux que seul Manîthil a réussit a faire avancer, à la recherche d'un nouveau but. Peux-tu accepter que je sois désormais ainsi, crois-tu que c'est réellement moi que tu aimes, ou ce que j'étais, ce que je représentais par le passé? Reflechis-y Ulvys. Je ne suis que son reflet. Son image brisé. Est-ce réellement moi que tu penses aimé? Je ne pense pas. Je ne veux pas que tu partes, mais je ne veux pas que tu penses pouvoir retrouver Arès. Il est mort, enterré avec les souvenirs que l'on m'a arraché. Si en restant près de moi, tu espères le retrouver alors pars. Pars loin de moi, car tu me fais mal. Je ne comprend pas ce qu'il m'arrive, je te veux à mes côtés mais je suis incapable de savoir si ces sentiments sont les miens , ou ceux que Arès a refouler pour te les avouer après la guerre."

Je sais mon discours dur, mais je lui dois d'être sincère.

"Je ne suis plus que Châtiment. Je ne suis pas le loup dont tu es, étais, amoureuse..."

Je tourna le dos a mon tour a la louve. J'étais triste pour elle, car son amour pour celui que j'étais, était maudit. Jamais elle ne le retrouverait et pourtant elle me regardait et le voyait a travers moi.
Je devais être un supplice à ses yeux, et je ressentis une profonde tristesse. Je devais la laisser partir, ce n'est pas moi qui l'aimait, mais Arès et je ne peux lui faire croire à un tissu de mensonge, car ce qu'il ressent, n'est pas ce que je ressens, même si comme à cet instant, les deux ce confondent...

" Je t'aime pas pour Arès ni pour Châtiment. Je t'aime pour toi. Je suis seule.. Laisses moi réapprendre à te connaître, à t'aimer ? Protégeons nous mutuellement ? Recommençons à deux et plus seule. De toute manière si tu dis non, qu'il en soit ainsi et notre rencontre ne sera plus qu'un mirage parmis mes souvenir. Dis moi ce que je dois faire. Tu ne veux pas me voir partir. Mais alors ?

Non, Arès ne voulait pas la voir partir. Mais qui était Arès pour moi aujourd'hui. Les paroles de Manîthil me revinrent en mémoire.

"Soit le loup que tu désires être, et non celui que tu penses devoir être."

Mais à ce moment précis, je ne désire qu'une chose, me blottir contre elle, la rassurer, lui dire que tout redeviendra comme c'était avant. Mais ce n'est plus comme avant. Je ne suis plus celui que j'étais. Je ne suis que Châtiment. Je ne suis que l'ombre de la mort qui plane au dessus de moi. Je ne suis que le reflet de la destruction. Un loup incapable d'être heureux. Un loup qui a prêté allégeance à la louve manipulatrice qui m'heberge. Non, je n'attirerai pas Ulvys dans cette décheance. Si elle fut importante autrefois, alors elle devra le rester aujourd'hui. Je me dois de l'écarter du danger. De la préserver de cette vie de doute. Elle mérite bien mieux, elle mérite d'être heureuse. Alors je ne me retournerai pas. Je ne la regarderais pas une dernière fois. Je ne lui dirai pas adieu.

"J'ai prêté allégeance. Je ne trahirai pas ma parole. Rentre chez toi."

Mon ton était si froid, si différent que celui qui avait accueillis la louve à son réveil, qu'il ne paraissait pas naturel, mais ça devait être ainsi. Je devais la quitter, ne pas remuer les souvenirs du passé. Alors j'avance. Je m'éloigne d'elle. Je m'éloigne de ce passé qui ne peut être ravivé.

J'avais envie de lui dire de m'oublier, mais l'oublie était plus douloureux que le souvenir. Ne pas savoir qui j'étais, ce que j'avais fais, qui m'entourait, était plus dur que devoir vivre avec le souvenir de cette rencontre que j'avais rendu bien trop brève.