Il fallait encore chasser, eh oui ! Et Daria s'était libérée pour partir à la chasse en début d'après-midi. Elle progressait entre les arbres morts du bosquet tortueux, à la recherche du gibier. Ses sens en éveille, elle huma l'air à pleins poumons. Elle commençait à prendre goût à la chasse. C'était comme si elle ne formait qu'un avec la nature, marchant dans ses traces, se faisant aussi silencieuse que le vent chaud de la belle saison et se montrant aussi dévastatrice que la bise d'hiver. Toujours sur ses gardes, elle scruta les alentours de son oeil expert. Dans ce paysage de désolation se plaisaient toutes sortes d'animaux ;  les lièvres, les chevreuils, les renards et bien d'autres.

La louve espérait que le Destin serait clément. La meute ne se plaindrait pas d'une ou deux proies en plus dans son garde-manger. Après tout, la nourriture n'était jamais gâché, chez les Esobeks. Et puis, avec l'été, il fallait que les apprentis prennent des forces. Il était hors de question de perdre un membre de la meute, en ces temps instables.

Daria, qui n'avait pas bougé, posa sa truffe contre la terre humide. Une multitude de savourantes effluves flottaient dans l'air et marquaient le sol. Avec un peu de chance, Daria pourrait remonter la trace d'une proie.

Daria avançait lentement. Il serait bon de ramener un beau chevreuil bien dodu ! Rien que d'y penser, Daria s'en pourlécha les babines. Elle repéra alors la trace fraîche d'un de ces jeunes animal et à côté de l'emprunte, quelques goutes de sang. "Intéressant…" pensa Daria, soudain excitée. Elle pista la bête blessée pendant un long moment, évitant parfois de justesse les vieux troncs noircis de la forêt. Alors que l'odeur se faisait plus forte, elle vit le chevreuil.
Égaré, semblait-il. En le détaillant, Daria se rendit compte qu'il était blessé à une patte arrière ; et c'était une sorte de fil entortillé plein de pics qui entourait sa jambe ensanglanté. Sans doute avait-il du tomber dans un ravin où se trouvait ce détritus humain.

La pauvre bête ne pouvait visiblement pas fuir, car s'il demeurait seul, c'était que son groupe avait du partir sans lui. En vain, le cervidé tentait de retirer ce fardeau qu'il traînait sur son postérieur en remuant follement sa patte. Parfois, il poussait des cris comme pour appeler les siens. Quelle sottise ! Ainsi, il courrait à sa mort. Il fallait agir vite, car l'animal ne tarderait pas à attirer d'autres prédateurs. La louve se montra à sa victime qui fit un bond sur le côté comme pour détaler, mais sa plaie l'empêchait de courir. Avec effort, elle réussit à s'éloigner au trot, mais le bras-droit rattrapa le chevreuil en un rien de temps et lui sauta à la gorge, mettant fin à ses souffrances.

Lorsque l'animal fut sans vie, Daria préféra ôter la jambe abîmée du corps. C'était par sécurité. Alors, la louve prit sa proie entre ses crocs et la traîna dans la poussière.
Elle remercia le Destin pour cette belle offrande.

La louve traînait péniblement son butin jusqu'au camp et prit d'une soudaine fatigue, elle décida de faire une pause. Avec délicatesse, elle déposa sa proie contre un des arbres morts et s'allongea à côté. Haletante, les yeux mi-clos, elle savoura la douceur du vent contre son pelage bien qu'il soit brûlant. Pantelante, elle se releva. Inutile d'essayer de chercher de l'eau, dans ce désert aride et noir. Pourtant, à l'idée de l'onde pure contre sa langue asséchée, la louve saliva. "Allons, reprends-toi, Daria. L'heure n'est pas à la rêverie. Concentre-toi" se morigéna-t-elle en secouant son museau. Le bras-droit huma de nouveau l'air. Le camp n'était plus bien loin, à présent. D'ici à quelques minutes, elle serait de retour.

Tandis qu'elle s'apprêtait à ressaisir le jeune chevreuil, des les herbes roussis remuèrent. Des frétillements se faisaient entendre entre les pousses mortes. A pas de loup, Daria se rapprocha du bruit et sauta… Sur un lièvre ! D'un coup de crocs, elle mit fin à ses jours. C'était un beau lapin en bonne santé, quoiqu'un peu famélique. "Oh, le Destin nous gâte drôlement !" dit-elle. Elle le saisit entre ses crocs et l'enterra. Elle reviendrait le chercher après avoir déposé le chevreuil.

Et c'est ce qu'elle fit. Peu après, Daria revint et repartit avec son lapin jusque au garde-manger.