Le doux soleil se levait sur les terres des loups. Noire marchait en direction de la Plage Blanche, bien décidée à s'entraîner. Elle avait faim, mais savait qu'elle ne trouverait aucune proie par ici. Cependant, continuer d'entretenir ses muscles et son corps restait une préoccupation importante. Cela faisait longtemps que la louve ne s'était pas entraînée. Mais aujourd'hui, elle s'était enfin décidée à sortir de sa croûte, et se dirigeait désormais vers la longue étendue de sable.
A son arrivée à la plage, Noire sentit le vent lui souffler à la figure. Il faisait froid, mais le sable était resté intact. Pas une once de neige. De même pour l'eau, elle était restée à l'état liquide, et on n'y voyait aucune trace de glace. La louve se dirigea aussitôt vers la mer, et y trempa une patte. C'était froid. Amusée, elle aperçut alors son reflet. Qu'elle était laide ! La fatigue et la faim avaient fait d'elle un monstre. Elle resta cependant fermement penchée au dessus de l'eau, se contemplant sans frémir. Elle agita alors la tête, et son reflet l'imita en même temps. Une idée germa alors. Elle allait s'entraîner, tout en se libérant de cet affreux minois. Elle allait courir. Faire la course en duel contre son reflet. Serait-elle capable de le dépasser ?
Elle débuta sa course en douceur. Elle galopa le long de l'eau, bondissant par dessus les barbelés qui se dressaient sur son passage, tout en regardant son reflet dans les yeux. Il courrait comme elle, à la même vitesse exactement. 
Brusquement elle fit demi-tour, et se relança dans une course plus rapide. Elle fonça à travers la plage, les yeux plissés, sans lâcher du regard son "elle-même" dans l'eau. Mais là encore, impossible de vaincre.
Le soleil était à présent haut dans le ciel. Noire força l'allure. Ses pattes frappaient le sol à toute vitesse, envoyant des gerbes de sable dans tous les sens. Elle serra les mâchoires, tendant le cou vers l'avant pour se donner de la vitesse. Elle calculait ses mouvements, gérait sa respiration pour ne pas trop s'essouffler. Elle poussait ses pattes arrières, forçait sur ses pattes avants, tout cela pour courir plus vite encore. Mais rien à faire, décidément. Son reflet tenait bon.
Puis brusquement, un rayon de soleil vint frapper la surface de l'eau. Durant deux secondes tout au plus, Noire parvint à devancer son reflet. Elle continua de cavaler, envoyant des gerbes de sable et d'écume de toute part, le sourire aux babines. Elle était plus forte que son reflet, que son apparence. Peu importait finalement ce qu'elle reflétait physiquement. Ce qui importait, c'était de survivre. De courir pour arriver jusqu'à la fin de sa vie, mais seulement en temps voulus. 
Et s'il fallait survivre, elle était prête à écouter Reaven. A accepter sa proposition, à le rejoindre chez les Esobeks. A vivre avec lui pour le restant de ses jours... Tout en restant, tout de même, Noire la solitaire, dans au moins une partie de son coeur et de son âme.

Il était peut-être enfin venu le temps de se décider. De se décider à choisir sa voie. Noire en avait assez de se laisser tourmenter par ses questionnements. Devait-elle écouter les loups qui l'invitaient à rejoindre leur meute ? Devait-elle écouter son instinct, qui lui soufflait de les rejoindre, ou bien son coeur, partagé entre le désir d'être réunie avec Reaven, et qui refusait tout à la fois de quitter son existence de solitaire ?
Perdue, la femelle au pelage sombre marchait au bord de la Plage Blanche, les pattes dans l'eau. Elle réfléchissait profondément, pesant le pour et le contre au sujet du choix qu'elle avait à faire. Esobek, ou solitaire ? Que devait-elle choisir ?
Plusieurs raisons pouvaient la pousser à rejoindre la meute de Reaven et Plume Rousse. En meute, elle pourrait obtenir plus de protection, plus de nourriture aussi. Elle ne souffrirait plus de la faim, et serait moins dérangée par les prédateurs. Elle pourrait aussi être prêt du guérisseur, pouvoir lui parler chaque jour. Et puis elle aurait moins de chance de tomber malade et de périr.
Mais en tant que solitaire, elle pouvait faire ce qu'elle voulait. Pas besoin de respecter de frontières à proprement parlé, pas besoin de combattre pour un groupe. Si une guerre éclatait entre les meutes, elle serait obligée d'y prendre part, combattant alors pour sa meute, quelles que soient les raisons du combat, qu'elle les approuve ou non. Alors qu'en tant que solitaire, elle pouvait rester bien tranquillement dans son coin sans être dérangée, ni courir le risque d'être blessée. 
Cependant... Si elle était restée une solitaire jusque là, c'était pour la seule et unique raison qu'elle souhaitait venger ses frères, en tuant leur mère. Mais Véga, une Mercenaire, lui avait appris que celle-ci était morte. Noire ne pouvait donc plus accomplir sa vengeance. Elle n'avait plus de but désormais. Rester une solitaire ne lui apportait rien d'autre que des ennuies. Malheureusement, il était assez difficile de se résoudre à changer de vie d'un jour à l'autre. D'après ce qu'elle avait enregistré, Plume Rousse était une ancienne solitaire. Les Esobeks acceptaient volontiers les esseulés au sein de leur meute, Noire n'en doutait pas. De toute manière, c'était avec les loups de cette meute qu'elle s'entendait le mieux. Hors de question de chercher à rejoindre les Sekmets ou les Navniks ! 
La louve donna alors un coup de patte furieux dans l'eau. Toute cette histoire la contrariait beaucoup. Elle se sentait perdue, et rien ne l'aidait à prendre une décision correcte. Mais après mainte réflexion, la femelle trouvait de plus en plus de points positifs. Notamment Reaven lui-même, qui pesait bien lourd dans la balance, du côté "Esobek". Et puis l'hiver qui n'en finissait plus tapait fortement sur le système de la louve, qui en avait plus qu'assez de devoir se battre chaque jour contre les éléments naturels ou d'autres animaux pour pouvoir manger.
Décidément, Noire ne pouvait plus continuer à se voiler la face. Elle aimait Reaven, en était tombée amoureuse par elle ne savait quel miracle. Elle qui croyait ne plus jamais pouvoir être amoureuse d'un mâle, s'était bel et bien trompée. Désormais elle savait que c'était possible, et mieux encore : on lui avait offert la possibilité de vivre son amour. De vivre avec le mâle gris, de pouvoir être chaque jour à ses côtes sans enfreindre de règles particulières. 
La réflexion prenait tout son sens, tout se précisait au fur et à mesure. Oui, Noire pensait qu'elle allait accepter. Elle allait se rendre auprès de Plume Rousse et de Nymeria, et allait leur demander de se joindre à leur meute. Elle espérait simplement qu'elle ne serait pas déçue par son choix. Mais dans le pire des cas.... Elle pouvait toujours revenir en arrière, non ?

Noire avait prit l'habitude désormais de venir se promener près de la Plage Blanche. Elle marchait au bord de l'eau, sans trop se mouiller les pattes non plus, et laissait ses pensées divaguer dans l'ombre. Elle pensait, réfléchissait profondément sur les nombreux sujets composant sa petite existence. Elle imaginait son futur, écoutait son présent et ressassait son passé. 
Elle se souvenait de la fois où le Navnik au pelage noir l'avait éventrée sur le sable. Elle avait cru y laisser sa vie, mais un guérisseur l'avait sauvée de justesse. Un sacré coup de chance.
Mais cette fois-ci, alors que Noire s'avançait en direction de l'eau, elle remarqua que celle-ci avait une couleur étrange. Elle était blanche. Gelée. Il était vrai que, ces derniers jours, le froid avait été terrible, et la solitaire avait d'ailleurs été contrainte à rester enfermée dans sa petite tanière, mais de là à geler l'eau... Noire s'avança jusqu'au bord, et posa doucement la patte sur la structure gelée. C'était froid, glacial, dur. 
Elle s'apprêtait à faire demi-tour, agacée, lorsqu'un aboiement furieux retentit derrière elle. La femelle se retourna, figée sur place, et son regard croisa celui de son ennemi du jour. Un chien, de taille moyenne, au corps élancé. Ses petites pupilles vicieuses étaient fixées sur la louve, et ses mâchoires puissantes claquaient dans le vide. Brusquement, il se jeta dans sa direction. 
Noire sentit une vague de panique la submerger. Que faire désormais ? Ce chien était trop gros pour qu'elle puisse le combattre sans avoir de blessures. Et elle refusait de devoir encore une fois aller voir un guérisseur. Dans la panique de l'instant, elle perdit énormément de temps, et le cabot se rapprochait à vive allure. Elle voulut s'en aller par la gauche, longeant ainsi la mer gelée, mais le chien était malin. Il lui barra immédiatement le passage, et ses crocs claquèrent juste sous le museau de la noire.
Celle-ci n'attendit pas plus longtemps, et sans trop réfléchir, se jeta sur la glace. Ses pattes dérapèrent immédiatement, et elle se cogna contre la surface lisse et dure avec un couinement. Le cabot n'abandonna pas pour autant, et se lança à sa poursuite. La louve se releva tant bien que mal, et commença alors une poursuite haletante, sur la glace glissante.
Noire courrait devant, sans trop savoir où aller. Elle refusait de trop s'éloigner du bord, et se contentait donc de décrire de larges cercles, dans l'espoir de pouvoir ensuite revenir sur la plage, et s'enfuir vers la forêt. Ses pattes dérapaient sans cesse, mais les yeux fixés sur la rive, elle continuait de se maintenir debout, attendant simplement le bon moment pour bondir dans le sable.
Mais alors que le chien aboyait rageusement derrière elle, un léger craquement résonna aux oreilles de la solitaire. Son poil se hérissa de frayeur, et elle voulut bondir sur la Plage. Dans son mouvement mal organisé, elle dérapa de nouveau.... Et dans un énorme fracas, passa à travers la glace.
Le choc fut terrible. L'eau glacée pénétra sa peau, jusqu'à ses os, s'engouffrant dans ses oreilles et sa gueule. Elle voulut hurler, mais rien n'y fit. Personne ne pouvait l'entendre.
Elle battit des pattes pour remonter à la surface. Sa gorge la brûlait, son coeur battait à toute allure. Ses griffes éraflèrent alors quelque chose sur sa droite, et elle reçut un coup dans le museau. Le chien était tombé avec elle, sous la glace. 
Noire poussa de toute ses forces, battant l'eau dans le vide, pour remonter à la surface. Le courant de la mer la balayait de tous les côtés. 
Sa tête se frappa alors contre quelque chose de dur. Non ! Elle s'était éloignée du trou qu'elle venait de faire en chutant, et était maintenant coincée sous la couche de glace. La panique allait finir par la tuer elle-même. Elle frappa alors furieusement contre la surface dure, raclant la glace avec ses griffes, frappant avec sa tête, et, avec un miracle venu d'ailleurs, la glace finit par craquer.
Sa tête émergea de l'eau, et elle prit une énorme inspiration. Ses poumons la brûlaient comme un feu d'acier, et elle voulut hurler de douleur. Seul un faible son éraillé sortit de sa gorge. Elle se hissa aussitôt sur la glace restante, et, à bout de souffle, se laissa tomber par terre. La berge n'était pas loin, mais elle n'avait pas la force de la rejoindre. Il faisait bien trop froid, et ses paupières se fermaient d'elles-mêmes.
Où donc était le chien ? Noire n'en avait que faire. Elle avait failli mourir par sa faute. Tant pis s'il s'était noyé, elle ne ferait fleurir en elle aucun remord. Exténuée, elle se laissa le temps de reprendre ses esprits avant de se forcer à se lever. Il fallait partir d'ici. La glace risquait de craquer de nouveau.
Décidément, l'hiver était la pire des saisons. Pleine de danger, il fallait se méfier de tout. Noire venait de l'apprendre, à ses dépends, et elle avait bien failli y laisser la vie. La prochaine fois, elle affronterait plutôt le chien.

La neige est enfin partie. Les proies reviennent petit à petit, comprenant d'elles-mêmes que leurs douces tanières peuvent de nouveau être habitées. 
Je n'attends pas longtemps avant de sortir de ma propre tanière, dans l'espoir de dénicher quelque chose à me mettre sous les crocs. Je fonce à travers la Forêt aux Pendus en évitant de m'attarder. Je sais que la forêt grouille de proies, mais je ne veux pas les effrayer maintenant. Si je chasse tout ce qui se trouve là,  je n'aurai plus rien pour les jours suivants. Je me dirige donc vers la Plage Blanche. Je pourrai peut-être y trouver du poisson ? 
Mais alors que je me rapproche de la plage, un bruissement résonne derrière moi. Je me retourne brusquement, aux aguets, mais rien ne bouge dans mon dos. Aurais-je rêvé ? Je plisse les yeux en remuant la tête. Si je commence à devenir folle, rien ne va plus. Je reprends mon chemin, la truffe plissée, un peu inquiète.
Mais quelques pas plus loin, le bruissement m'alerte de nouveau. Je me retourne, plus vite cette fois-ci, et vois les fougères bouger sur la droite. Je rabats mes oreilles en arrière, le poil immédiatement hérissé et j'hume l'air. Je sens l'odeur de la forêt, et de la mer qui n'est plus très loin... Je sens un campagnol, tout proche, mais aussi autre chose... Une odeur plus... Plus forte. Plus dangereuse...
Puis je comprends. La panique me gagne, et je m'apprête à m'enfuir aussitôt, lorsqu'il sort des fourrés.
C'est un ours, brun, aux yeux marrons profonds. Il entre-ouvre sa gueule et pousse un rugissement effrayant qui me fais trembler de la tête aux pattes. La peur au ventre, je décide de ne pas perdre une minute, et je me détourne en vitesse avant de galoper en direction de la plage.
Malheureusement, l'ours doit être aussi affamé que moi. J'entends ses lourdes pattes frapper le sol derrière moi, signe qu'il est à ma poursuite. Il est gros, mais rapide. S'il m'attrape, s'en est terminé de moi.
J'accélère l'allure, ne me laissant retarder sous aucun prétexte, et vire au détour d'un arbre, haletante. J'ai mal aux pattes. Je prends un court instant pour lever ma patte droite et regarder mon coussinet. Il est entaillé, j'ai du frôler une pierre coupante. Grimaçante, je suis immédiatement ramenée à la réalité lorsque l'ours pousse un nouveau rugissement, tout proche. Je reprends alors ma course, une vague idée en tête.
Je me dirige droit vers la plage. J'entends la mer, toute proche, mais ce n'est pas encore du sable sous mes pattes. Je suis toujours dans la forêt. Le coeur battant, j'essaye de ne pas me laisser distraire par l'ours, mais alors que j'aperçois la plage devant moi, je trébuche. Malheur ! Je peste contre moi-même, et me relève aussitôt, mais l'ours est désormais trop proche pour que je puisse tenter de le semer. 
Si je cours sur la plage, en terrain si découvert, je suis morte. Je décide donc de rester dans la forêt, aux abords de la plage, et de tenter de me cacher. Ce n'est pas gagné...
Une peur panique s'est emparée de moi depuis le début de cette traque dont je suis la proie. Moi qui pensais pouvoir tranquillement remplir mon ventre, me retrouve à tenter d'échapper à un prédateur affamé. Et qui sait ce que la faim peut pousser à faire... 
Je saute par-dessus un tronc, en essayant de ne pas prêter trop attention aux grognements et aux bruits de pattes qui résonnent derrière moi, lorsque soudain je remarque un "probable" abris sur ma gauche. Il s'agit d'une sorte de souche d'arbre mort, dans laquelle je pense pouvoir me glisser. Mais d'abord, je dois prendre un peu d'avance.
Je repère bien l'endroit, puis j'accélère l'allure. Je fonce à travers les arbres, vire à droite et à gauche, mais l'ours me suit toujours. Il est coriace comme prédateur. Si je n'étais pas rapide, je serais surement déjà morte. 
Puis, au détour d'un bosquet de je ne sais quelle plante, je vire brusquement et reviens sur mes pas, droit vers la souche. Je me glisse à l'intérieur, m'éraflant le museau et le dos, mais peut m'importe. Je ne peux pas me permettre de tiquer sur des détails. Ma vie vaut bien quelques blessures.
Tapie dans ma souche, j'entends l'ours passer près de moi, cavalant à travers la forêt avec une lourdeur incroyable. Miracle ! Comme je suis déjà passée par ici, il doit sentir mon ancienne piste, mais n'a pas remarqué la nouvelle. Je tends l'oreille, le laissant s'éloigner, puis je sors de ma cachette et fonce tout droit vers ma tanière, en essayant de laisser le moins de traces possibles. 
De nouveau chez moi, je m'écroule contre le sol de la tanière, le coeur battant et la respiration haletante. Je m'en suis sortie indemne. Un sacré coup de chance je dois dire. Pour une fois je n'étais pas la chasseuse, mais bien la chassée. J'ai bien cru que j'allais y laisser ma peau. Cela aurait été bien ironique, alors que je compte rejoindre les Esobeks sous peu.
Mais visiblement, plus j'attends, et plus je me mets en danger. Il vaudrait mieux que j'aille voir Nymeria et Plume Rousse le plus rapidement possible...