Cela faisait des semaines qu’il n’avait pas mis les pattes dans l’avion, là où les autres dormaient. Il était tard le soir quand Athos roda autour de l’oiseau de métal, trop nerveux pour se coucher, il ne se sentait pas assez fatigué pour tomber de sommeil. En ce moment, il avait du mal à s’endormir. Trop de choses lui encombraient l’esprit, si bien qu’il préférait s’occuper l’esprit ailleurs tant qu’il n’était pas assez fatigué pour tomber de fatigue. Le grand loup décida donc de marcher un peu avant de dormir dans son cockpit. Il commença à marcher dans les arbres autour de l’avion, en réfléchissant. La plupart des membres de la meute étaient couchés, mais Athos avait remarqué que Torka n’était pas parmi eux. Athos avait pu remarquer que le prince, pourtant un être impulsif, digne représentant des Sekmet dans toute son caractère, avait radicalement changé depuis peu. Il fallait dire que le loup avait été confronté à des épreuves qu’Athos comprenait. Gallya, sa compagne qu’il aimait énormément, avait disparu, enlevée par les humains et au laboratoire, dans une cage. Torka devait sans aucun doute se torturer l’esprit à son sujet. Mais il n’y avait pas que ça. Le jeune prince avait perdu sa mère, et sa fille Alkaine lui tournait le dos pour avoir refusé le trône de la meute. Athos n’avait jamais compris cette décision. Mais pour l’instant, il avait autre chose à dire à Torka.

Enfin, il trouva ce dernier non loin de l’avion. Doucement, il s’approcha de lui et s’assit à côté de lui. Athos regarda les étoiles. Puis commença à parler.

« Je ne pensais pas te trouver encore là. »

Il tourna la tête vers le prince. Il s’agissait d’y aller en douceur, pour lui parler de Gallya, d’Empress, Alkaïne... Athos ne s’excusa de ne pas avoir parlé plus tôt au prince de Gallya, puisqu’il n’avait presque pas été avec sa meute depuis son retour, planifiant les plans de libération et partant souvent en reconnaissance. Il laissa le temps à Torka de réagir, puis il continua :

« Je viens de revenir de mission de reconnaissance, encore. J’ai appris un peu plus sur les pièges qui se trouvent près du laboratoire. Il sera bientôt temps d’agir, je n’attends que le feu vert... de Hige. Et il est plus que temps. On l’attendait, cette libération. Heureusement, j’ai pu m’échapper à temps. Mais Gallya n’était pas avec moi à ce moment là. »



Ce fut la première fois que Athos évoqua ce nom depuis qu’il avait réussi son évasion. Il allait tout expliquer à Torka, comment lui et Gallya avaient partagé la même pièce les premières semaines, comme elle avait été forte et courageuse pour lui. On aurait pu croire que ces indications étaient inutiles, mais Athos savait, il savait que c’était très important pour Torka de savoir cela.

Le prince Sekmet l’avait vu. Athos, à ses côtés, regarda doucement le ciel. Des images défilèrent dans ses yeux. Son entraînement de révélations avec Alkaine, la douleur de l’enfant, son histoire qu’elle lui avait raconté. Puis, ses souvenirs remontèrent encore un peu plus tôt, lorsqu’il avait croisé Blasphem, puis Hige. Lorsque le loup noir avait appris au grand loup brun la mort d’Empress, la louve qu’Athos estimait tant, celle en qui il avait toute confiance. A ses ordres, il aurait tout fait. Si elle lui avait demandé d’attaquer seul les Hommes, il l’aurait fait. Et puis l’autre noir lui avait dit qu’il l’avait remplacé, la peine avait fait place à la stupeur et l’incompréhension. Les souvenirs du jeune loup brun remontèrent encore plus tôt. Sa fuite des cages, avec Anya, son détour chez les Navnik, son espionnage des moins discrets du monde à la réunion de meute par Helya. Puis, il remonta encore un peu plus loin dans ses souvenirs. Les cages. Son arrivée dans la pièce, où la cage de Gallya se situait non loin de la sienne. Ils avaient parlé longtemps, ils s’étaient soutenus mutuellement. Quand la louve allait flancher, Athos s’était énervé, et il avait fait comme il aurait fait avec n’importe lequel de ses guerriers. Il avait pris sa voix forte de commandant. Et il lui avait insufflé le courage dont elle avait besoin. La louve, dès lors, avait surpris Athos de jours en jours. Depuis la fois où elle allait craquer, elle se montrait plus forte que jamais, elle encourageait les autres, en même temps elle s’encourageait elle-même. Si elle s’était montré faible aux yeux des autres au début, elle avait su remonter la pente.

Athos écouta attentivement Torka. C’était la première fois qu’il sentait la voix de l’ancien prince aussi faible. D’ailleurs, était-il toujours prince ? Athos n’avait pas été là lors de la prise de pouvoir d’Hige. Alors il ne savait pas ce qui s’était exactement passé. Il n’avait eu que les versions d’Alkaine et Blasphem. Alkaine... Cette petite louve avait le feu en elle. Elle était fait pour être une grande guerrière et Athos était extrêmement fière de ce qu’elle était devenue avec le temps. Bientôt une jeune louve... Dire qu’il avait raté près de deux mois de sa vie, entre le temps passé en cage et le temps des espionnages, épiages des hommes, missions d’éclairage, et des préparations des plans. Athos avait été le seul général disponible pour la libération qui allait bientôt avoir lieu. Nombreuses étaient les nuits durant lesquelles il n’avait pas dormi. Athos garda son regard fixé vers l’horizon. La lune n’apparaissait que sous un mince croissant, la nuit était plus noire que jamais.


« Oui je l’ai vu Torka. Elle était juste à côté de moi pendant les premières semaines, ensuite nous avons été séparés, et je me suis évadé quelques jours après. Elle était en vie, dans une cage à côté de la mienne. »

Il tourna la tête vers Torka. Il allait être sincère, il était inutile de lui mentir. La vie n’était pas de tout repos là bas.

« Je dois t’avouer que nous aurions préféré tous autant que nous sommes ne jamais avoir été là bas. Mais sache que ta compagne n’a pas été maltraitée. Nous avons eu quelques petites interventions humaines, mais rien de très grave par rapport à certains qui étaient avec nous, où dans les pièces à côté. Tu as une compagne courageuse Torka, elle a sur trouver sa force et elle a su le rester pour toi et ta fille. Au bout de quelques jours, elle a su retrouver son parfait sang froid et se montrer digne et forte, bien plus que certains qui étaient avec nous. Elle a su appréhender la situation de la meilleure façon, elle a su ne jamais perdre son but ultime des yeux : revenir saine et sauve chez nous. Et elle a tout fait pour et le fera jusqu’à ce qu’on vienne les délivrer. Je ne l’avais pas vue depuis plusieurs jours quand je me suis évadé, mais quand je l’ai quitté, elle allait plutôt bien. »

Athos ne sut pas trop quoi dire de plus. En fait, il ne savait pas vraiment ce qu’il aurait pu ajouter. Il était inutile de dire à Torka qu’elle avait presque désespéré au début. Dire que cela avait été difficile pour tous suffisait. Mais par contre, Athos tenait à souligner que Gallya avait su se maitriser, qu’elle l’avait impressionné. Il la trouvait un peu surfaite, lorsqu’ils étaient chez eux, il ne la connaissait pas bien mais trouvait que son caractère était davantage celle d’une plantureuse Esobek. Mais elle l’avait complètement surprise lorsqu’ils étaient en cage. Si elle s’était effondrée au début, après qu’Athos et elle aient parlé, elle l’avait réellement impressionné, par rapport à l’image qu’il s’était fait d’elle. A présent, et chose qu’il ne pouvait pas dire pour grand monde, il l’appréciait et l’estimait. Athos ne précisa pas le rôle qu’il avait joué avec elle, ni la discussion qu’ils avaient eu. Ce n’était pas important. Ce qui était important, c’est qu’elle avait su garder la tête haute, qu’elle était digne d’une princesse Sekmet.

Athos hocha la tête aux dires de Torka Il sentait la méfiance et la défiance de ce dernier, Torka savait qu’Athos était le mentor de sa fille, et peut-être savait-il à quel point lui et Alkaine étaient proches. Ou peut-être que non. Après tout Athos n’avait jamais remarqué qu’il avait une quelconque fibre paternelle. Alkaine en avait d’ailleurs beaucoup souffert. Elle avait eu l’impression de vivre sans parents. Elle avait également tant souffert, quand son père avait refusé le rôle d’Alpha. Athos avait réfléchi à cela. Peut-être qu’il ne se sentait pas capable de gouverner. Peut-être qu’il n’était pas fait pour cela.

Athos réfléchi intensément à cela, le regard vers l’horizon. Ses muscles étaient détendus, il était venu ici en toute bonne foi, pour tenter de sonder Torka. Savoir pourquoi. Mais finalement, il devinait. Il n’allait pas interroger Torka sur cela. Finalement, mieux valait qu’il garde cela pour lui.

Athos voulut quand même parler de son apprentie. Au moins que Torka sache qu’elle se débrouille bien. C’était peut-être important qu’il le sache en tant que père. Puis, après tout, que pouvait bien en savoir Athos ? Athos s’exprima alors :

« J’ai pu voir Alkaine depuis mon retour. Elle l’air de bien se porter. Elle a fait beaucoup de progrès dans son apprentissage. »



Il n'y avait rien d'explicite, et tout pouvait sembler anodin dans ces remarque. Mais Athos voulait voir la réaction de Torka. Avait-il vu des choses qu'Athos lui n'avait pas vu, dans la mesure où Torka était le père d'Alkaine?

Il y avait aussi autre chose. Il voulait savoir, savoir s’il ne mentait pas à Alkaine en lui disant que si, ses parents s’intéressaient quand même à elle. Il voulait être sûr que cette gamine n’était pas complètement perdue par ses parents.