Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Il y avait des fois où Leikn aurait dû s'interdire de n'en faire qu'à sa tête.
Le vent avait commencé à hurler et à fouetter la cime des arbres alors qu'elle s'éloignait du territoire navnik sans se presser le moins du monde. Très vite il avait forci, noyant la paysage dans une tornade blanche et charriant des éclats de glace. La louve blanche avait dû écourter son voyage : prenant un galop difficile, elle s'était enfoncée sous le couvert des arbres, à la recherche du premier abri venu. Heureusement, les forêts ravagées par la guerre recelaient suffisamment de remparts contre la tempête : petites grottes naturelles ou creusées par des éclats d'obus, terriers provenant de l'abattage des arbres, parfois même des véhicules humains renversés sur le côté ou retournés sur le dos comme de coléoptères rouillés. C'est dans l'une de ces forteresses de fer aux fenêtres miraculeusement bouchées par un éboulement de terre que Leikn avait trouvé refuge contre le froid. Elle s'était glissée à l'intérieur du véhicule complètement retourné pendant que la douleur commençait à pulser dans ses entrailles, refermant autant que possible la porte dans son dos pour attendre que la tempête passe.
Et donc elle s'était retrouvée dans la situation qu'elle avait plus ou moins souhaitée sans réfléchir. A mettre bas seule, sans l'aide de sa sœur ou d'un quelconque membre de sa meute. Ce n'était pas pour rien qu'elle avait quitté les ruines dans l'après-midi ; elle n'avait tout simplement pas envie de donner naissance là-bas. Elle avait prévenu Oreka, son fils adoptif, de l'endroit où elle se rendait et pourquoi, mais personne d'autre. Plus que jamais depuis qu'elle avait revu 'Thil, elle sentait que rien ne la rattachait à sa meute. Mais cela allait changer ; car désormais, Leikn allait avoir besoin des navniks. Elle n'avait pas eu peur, et pas un râle n'avait franchi ses crocs serrés alors qu'au-dehors le blizzard secouait les parois métalliques de son abri. Sa famille était composée de forces de la nature, on n'avait plus besoin de l'apprendre aux autres ; mettre bas n'était pas une épreuve qu'elle ne puisse gérer toute seule. De toute façon, c'était la vie ; la nature aurait été mal foutue de ne pas rendre les femelle capables de se débrouiller pour la donner correctement. Alors une fois, deux fois, trois fois Leikn attrapa par la peau du cou une minuscule créature née de ses entrailles pour la couvrir de vigoureux coups de langue jusqu'à ce que sa petite gueule s'ouvre et qu'en sorte un premier couinement chargé de vie. Jusqu'à ce qu'enfin son corps la laisse en paix, que la douleur s'affadisse et que ses muscles se détendent. La louve blanche lâcha un grand soupir de fatigue et pressa les trois chiots contre sa fourrure ivoire, posant la tête au sol pour les contempler.
Un, deux, trois. Deux mâles, une femelle. Seul l'un d'entre eux semblait avoir son pelage, le plus chétif des trois ; les autres arboraient les couleurs de leur père sous le duvet marron qui les recouvrait. A première vue, ils semblaient en bonne santé, mais seule Manîthil serait en mesure de le lui confirmer. Leikn regardait depuis quelques secondes les trois boules de poils assoupies, le soulèvement régulier de leurs côtes fragiles, lorsqu'elle sentit confusément quelque chose claquer au fond d'elle-même. L'indifférence et la lassitude, la colère qui l'avait habitée tout au long des dernières furent alors chassées en un éclair, englouties comme si elles n'avaient jamais existé. Un puissant élan d'amour surgit à leur place, une vague d'une force presque douloureuse qui résonna entre ses côtes et tira un couinement rauque à sa gorge là où les contractions les plus rudes avaient échoué. C'était ça. C'était ça. La certitude se mit à tourner sans fin dans sa tête là où il n'y avait auparavant qu'une hésitation égarée. Il n'y avait rien au monde de plus important que ces trois boules de poils serrées contre son flanc. Et malgré le blizzard qui faisait claquer la porte de son abri, l'hiver était fini. L'incertitude, la solitude, l'indécision et l'absence de but, c'était fini. Et avec le retour total et impérieux de la chaleur et de l'amour dans les veines de Leikn se releva ce bloc de détermination, cette force qui lui était si caractéristique. Oh, non, personne ne se mettrait plus jamais en travers de son chemin. Personne ne toucherait jamais à une seule des trois paires d'oreilles qui frissonnaient sous son museau. Sinon elle ne répondait plus de rien. L'hiver pouvait plier bagage. C'en était fini de lui.
A la faveur d'un coup de vent qui ouvrit grand la porte à quelques mètres d'elle, Leikn rejeta la tête en arrière et produisit un long hurlement modulé qui allait se perdre dans le vent. Elle adressait ce cri à sa sœur et à son inquiétude. Ne t'inquiète pas. Elle ignorait si le message parviendrait jusqu'à 'Thil à travers la tempête, elle ignorait si sa sœur pouvait sentir, intimement, sous sa fourrure, que tout allait bien pour elle. Elle ne voulait pas que la guérisseuse s'inquiète. Tout va bien, tout va bien. Et elle voulait la voir. Son cœur battait si fort à nouveau qu'il lui paraissait injuste qu'il le fasse loin d'elle. Viens, viens, viens ! Lei reposa la tête sur ses pattes et, un œil ouvert aux aguets, se laissa aller à la somnolence. Lorsque le calme reviendrait, elle appellerait à nouveau. Sa sœur, son fils aîné. Elle n'avait besoin de rien d'autre. Dans un silence seulement troublé par quelques grognements de chiots qui rêvent, elle attendit que le blizzard s'apaise...
Tandis que le blizzard faisait rage à l'extérieur, que le vent s'engouffre dans les fissures métallique, faisant siffler l'abri de la guérisseuse, cette dernière se réveilla soudainement, une angoisse tenaillant son estomac sans qu'elle ne comprenne pourquoi. Se redressant sur sa paillasse, elle regarde partout autour d'elle comme si elle cherchait quelqu'un ou quelque chose puis, finalement, elle se détendit. Ce n'était qu'un rêve, un simple rêve et pourtant, l'angoisse ne semble vouloir la quitter. Elle lâche un grognement sourd et quitte sa pièce pour aller dans celle principal, ignorant les deux autres loups en train de dormir et, sortie prendre l'air.
La neige et le vent lui fouette le museau, elle ferma les yeux le temps de s'y habitué et, tente de flairer une quelconque odeur mais, rien, strictement rien … Ce n'était qu'une impression … Puis un hurlement à peine audible fait dresser les oreilles de la dame blanche. A-t-elle rêvé ? Non, ce hurlement, elle ne le reconnaît que trop bien, même si elle l'entend à peine … Leikn …
Ainsi, son angoisse était réel, que se passe-t-il ? Elle n'a pas pu entendre correctement le hurlement de sa sœur, elle sait juste qu'elle l'appel. Portée par le vent, Manîthil n'était même pas sûr de ce qu'elle avait entendu mais décide tout de même par aller voir sa sœur, qu'importe où elle se trouve ! Elle brava alors la tempête, ignorant le blizzard qui réduit ses sens, trottant en laissant son instinct la guider.
Après un moment à tenter d'affronter les éléments, elle finit par arriver près d'une carcasse de véhicule retourné. S'en approchant, elle sent l'odeur de sa sœur à l'intérieur mais, pas que … Pourquoi, que fait-elle ici ? Pourquoi as-tu mis bas ici ? Manîthil s'infiltre dans une ouverture pour entrer à l'intérieur et, s'approche de toi. Doucement, elle passe son museau contre le tien, le frottant doucement avant de te donner un léger coup de langue puis, s'approche des trois boules de poils. Elle les flaire, l'un après l'autre, les remues un peut de sa truffe, les laissant geindre car elle les a dérangé mais, rassures-toi, elle ne leur fera pas de mal, elle vérifie juste leur état. Les trois ont un pelage plutôt clair, une femelle, deux mâles. La femelle semble plus grande que ses deux frères mais, quelque chose semble déranger Manîthil, quoi ? Elle ne saurait le dire, pas maintenant en tout cas. Elle s'approche ensuite de nouveau de toi.
« Ils sont en bonne santé, quoique le plus clair un peu trop maigre. Laisse lui plus l'accès au lait qu'aux deux autres le temps qu'il s'engraisse un peu plus. »
Commença-t-elle par te dire avant de te fixer droit dans les yeux en prenant place là où elle pouvait dans cet espace restreint.
« Pourquoi avoir mis bas ici et pas auprès de ta meute ? Comment veux-tu les ramener dans de pareil condition climatique ? »
Oreka s’était lamentablement perdu. Alors que la tempête faisait rage, il plissait les yeux pour essayer d’entrevoir devant lui. La neige lui fouettait la truffe et bien que d’habitude il s’en serait plain, le silence qui l’incombait était impénétrable. Seuls les sifflements du vent qui s’engouffrait entre les branches venaient le briser sans vraiment le faire. Le jeune loup essayer de la retrouvée en vain. Maintenant vingt minutes qu’il avait perdu sa trace dans la tourmente. Passant sa langue sur son nez pour chasser le surplus d’eau et de neige qui y prenait place il s’ébroua afin d’éviter sa métamorphose en loup de neige. Leikn, sa mère adoptive, l’avait prévenu le matin même qu’elle comptait s’éloigner de la meute pour mettre bas. Ce dont le jeune Navnik doutait, en conséquence, c’était si elle comptait y retourner. Mais l’heure n’était pas aux questionnements. Elle était à l’action. Leikn était seule désormais. Seule quelque part dans cette tempête. Et elle allait mettre bas. Il lâcha un grognement. Comment faire ? Comment parvenir jusqu’à elle ? Il reprit sa marche en essayant d’utiliser ses sens en vain. Tout ce qui lui parvenait était les rugissements du vent.
Soudain, le jeune loup se figea. Dressant l’oreille il crut entendre… Oui. Il entendit hurler. C’était la voix familière de Leikn à n’en pas douter. Frappé d’un regain d’énergie, Oreka embrailla la quatrième vitesse en la direction de l’appel. Il courait sans s’arrêter, sans ralentir. Il n’y voyait rien et passa tout près de percuter des arbres à plusieurs reprises, pourtant, il continuait. Ses longues pattes le poussait vers l’avant, toujours plus loin, toujours plus vite. Il était peut-être un bien piètre combattant, mais il restait tout de même un coureur d’exception. Il n’arrêta que lors que la silhouette sombre d’un véhicule humain se dessina. Il s’approcha plus doucement, prudent. Ce n’était pas dans ses habitudes, mais ce n’était pas le moment de s’attirer des ennuis. Sa mère avait besoin de lui.
Il était incapable de flairer correctement les odeurs à cause de la tempête. Elle s’était calmée, mais pas suffisamment. Comme le moteur de la machine des sans-poils ne grondait pas, le loup prit le risque de s’avancer. Lorsqu’il fût plus près, il capta l’odeur d’une louve inconnue, mais aussi celle de Leikn… et d’autres êtres vivants. L’excitation lui mordait les tripes. Ils étaient nés ? Ça y était ? Enfin ? Tranquillement, il s’approcha de l’ouverture dans cette carcasse de fer renversée. Il n’y entendit que quelques paroles. Elles étaient prononcées par l’inconnue. C’était une louve blanche. Elle ressemblait beaucoup à la jeune mère étendue sur le sol.
« Pourquoi avoir mis bas ici et pas auprès de ta meute ? Comment veux-tu les ramener dans de pareilles conditions climatiques ?
Selon la disposition des corps, Oreka eut la déception de ne pas pouvoir percevoir les nouveau-nés. Malgré tout, au lieu de s’avancer dans cet endroit restreint, il resta sur le pas et s’annonça en répondant aux quelques mots qu’il avait entendus :
- Je ne suis même pas certain qu’elle y retournera. »
Alors que l’attention se retournait vers lui, le jeune Navnik ne pût passer au silence la ressemblance frappante qu’il y avait entre les deux louves. Étaient-elles de la même famille ? Certainement. Il avait quelque fois entendu parler d’une sœur. Bien que le nom n’ait jamais été prononcé, Oreka se souvenait de cette information. Leikn n’était pas très bavarde de nature. Tout le moins concernant sa sœur. Le jeune mâle jugea alors bon de se présenter :
- Je me nomme Oreka.
Par la suite, il regarda sa mère et son regard devint doux alors qu’il lui souriait :
- Je suis désolé de ne pas être arrivé plutôt… Tout s’est bien passé ?
Elle semblait en bonne santé, mais l’idée soudaine qu’il ait pût y avoir des complications pour elle ou pour les petits le rendit fébrile.
Compte tenu des hurlements du vent à l'extérieur, Leikn n'aurait pas cru que quiconque là-dehors puisse entendre sa voix ; à fortiori, se risquerait à traverser la tempête pour venir la rejoindre. C'était stupide de sa part ; elle savait, elle avait toujours su que rien ne pourrait empêcher Manîthil de parvenir jusqu'à elle. Après tout, c'était ce que la guerrière aurait fait pour sa sœur. Pour ceux qu'elle aimait. Et de toute façon, elle aurait dû se douter qu'appeler était inutile ; la guérisseuse saurait. Elle sentirait. Elles étaient faites de la même chair et du même sang. Alors au final, était-ce si étonnant de voir l'ombre blanche de l'immortelle s'infiltrer dans la noirceur de son refuge ? Non, certainement pas. Leikn n'entendit même pas son cœur s'accélérer de surprise ; comme si elle avait pu suivre la progression de son âme sœur dans la neige. La louve blanche frotta tendrement son museau contre celui de la guérisseuse, respirant l'odeur de sa fourrure trempée par la neige.
« Je t'aurais appelée à l'aube. Tu n'étais pas obligée de traverser la tempête. » Commenta-t-elle à mi-voix en observant la louve blanche examiner ses neveux.
La guérisseuse ne répondit pas ; de toute façon elle n'en avait pas besoin. L'affirmation était histoire de courtoisie. Se rapprochant de Lei, elle déclara :
« Ils sont en bonne santé, quoique le plus clair un peu trop maigre. Laisse-lui plus l'accès au lait qu'aux deux autres le temps qu'il s'engraisse un peu plus. - Je ne suis même pas certain qu’elle y retournera. »
Oreka. La voix de son fils à l'extérieur fit se redresser Leikn instantanément : un mélange de mécontentement à le savoir là dans le blizzard et de bonheur de le voir bondit dans sa poitrine, qu'elle se chargea de faire taire en l'invitant à entrer d'un mouvement de museau impératif. Le jeune loup, sur le pas de la porte, était trempé jusqu'aux os. D'un autre côté, elle ne releva pas la perspicacité de sa précédente déclaration.
« Je suis désolé de ne pas être arrivé plutôt… Tout s’est bien passé ? »
Leikn donna un coup de langue rempli d'affection sur le museau de son fils aîné et le laissa s'approcher des louveteaux.
« Comme si il en fallait si peu pour m'abattre. » Commenta-t-elle avec un demi-sourire complice.
Dieu qu'elle adorait ce bonhomme ; malgré l'incommensurable tonne de bêtises qu'il pouvait faire par jour, les plaintes des navniks les plus grincheux et les histoires improbables qu'il ramenait à ses oreilles le soir. Le pire était que, consciente de ses responsabilités, elle faisait tout pour le cacher ; mais le comportement d'Oreka l'amusait et la rendait fière derrière ses remontrances orageuses. Tête brûlée elle-même, Leikn n'avait pas vraiment peur que son aîné se blesse sérieusement ; après tout, elle avait survécu toutes ces années, pourquoi pas lui. Le regard jaunâtre de la louve blanche passa d'Oreka à Manîthil, et elle fit une pause. Le temps d'observer l'expression dans les yeux de la guérisseuse. De voir comment elle prenait l'intrusion de ce nouvel inconnu, qui avait une place réservée dans le cœur de sa moitié - une de plus. Comme si de rien n'était, elle décida de faire les présentations :
« Manîthil est ma sœur, Ore, je t'ai déjà parlé d'elle. 'Thil, je te présente mon fils aîné. »
Lei planta son regard dans les yeux gris de sa sœur comme pour la mettre au défi de critiquer cette nouvelle. Elle ne pouvait pas annuler comme par magie la jalousie de sa jumelle ; mais ce n'était pas pour autant qu'elle laisserait une quelconque antipathie s'installer entre son fils et elle. Et cela valait aussi pour les trois boules de poils.
« Tu peux lui dire merci pour son imagination d'ailleurs, sans quoi on serait réduits à les appeler "numéro 1, 2 et le maigrichon" pour toujours. » Ajouta-t-elle en désignant les chiots. « A la place on a Alwidd, Rán et Leviathan. »
Leikn considéra un instant les petites bêtes, puis les gratifia d'un coup de langue chaleureux avant de s'adresser à Oreka :
« Alors ? Tu en penses quoi ? »
Elle attendit sa réponse avec un sourire en coin, mais ses yeux cherchaient Manîthil et elle lui glissa :
« Je suis sûre que tu vas les adorer. »
Ce n'était même pas une vraie boutade. Parce qu'au fond elle l'espérait sincèrement - et confusément, elle sentait que quelque part, quelque chose était possible. Manîthil était Manîthil. Mais si fort qu'elle souhaitait le faire croire, Manîthil n'était pas faite de pierre.
L'odeur d'un loup se rapprochant avant mit les sens en alerte de Manîthil et, lorsqu'une voix retenti derrière elle, elle tourna la tête dans un grondement sourd. C'est qui celui-là ? De quoi se mêle-t-il ? Elle le fixe d'un œil mauvais, prête à faire dégager l'indésirable pour protéger sa sœur mais, visiblement, les deux loups se connaissent. C'est ahurit que la dame blanche observe la scène avec amertume. Serrant sa mâchoire à la vue de cette marque d'affection qu'elle offre à ce gamin, elle retroussa légèrement une babine sur sa croc par réflexe jusqu'à ce que son regard croise celui de sa moitié. Elle les présenta alors. Ore ? Son fils aîné ? Et depuis quand ? Depuis quand a-t-elle un fils ? Pourquoi ne lui a-t-elle jamais rien dit ? Le regard de la guérisseuse se faisait plus dur mais ne pipa mot. Le regard de Lei' suffit à lui faire garder le silence mais, elle n'en pense pas moins. Elle ne prêta même pas attention lorsque sa jumelle annonça le nom de ses trois nouveaux nés. Non, elle n'en avait que faire. Son regard est posé sur ce loup tricolore, elle n'arrive pas à le lâcher une seconde.
Depuis quand ? Pourquoi ? Pourquoi ne lui en a-t-elle jamais parlé ? Cette nouvelle ne lui plaît guère. Déjà l'arrivé de ces trois chiots, maintenant un fils qui débarque comme ça ! Et puis quoi encore ?! Les dernières paroles arrachèrent Manîthil à sa fixation et pose de nouveau ses yeux argentés sur sa sœur. L'adorer ? Comment pourrait-elle l'adorer ? Comment pourrait-elle adorer cet être dont elle ignorait totalement l'existence ? Comment pourrait-elle adorer ce maudit gamin qui reçoit ainsi de l'affection de la part de sa moitié ? Non, c'est trop lui demander là. Elle se mit alors à grogner.
« Pourquoi ne pas m'en avoir parlé avant ? »
Son regard fixé sur Leikn, accusateur, elle attend des explications. Elle veut savoir pourquoi sa sœur ne lui a jamais parlé de ce gamin, pourquoi lui avoir caché son existence. Est-ce le sien d'ailleurs ? Est-il de son sang, de sa chaire ? Ou alors, est-ce un louveteau ramassé dans un coin ? Aucune idée mais, le fait de ne pas avoir été au courant avant ne lui plaît guère ...
Il s’était approché de la louve et avait senti son cœur se soulever lorsqu’il avait apperçu les louveteaux couchés près de son flanc. D’un coup, son poil, lourd, froid et mouillé lui semblait bien lointain. Alors que sa mère adoptive venait lui donner un coup de langue affectueux sur la truffe, le loup lui répondit du même geste dur l’oreille. Elle comptait beaucoup pour lui et, il avait bien l’impression que les trois boules de poils viendraient grossir les rangs des êtres auxquels l’animal tenait le plus.
« Comme si il en fallait si peu pour m'abattre, claironna Leikn alors que son fils lui offrit un sourire amusé.
Finalement, elle reprit la parole pour terminer les présentations que le garçon avait vainement commencé :
- Manîthil est ma sœur, Ore, je t'ai déjà parlé d'elle. 'Thil, je te présente mon fils aîné.
Oreka lança un regard à ladite sœur de sa mère en lui offrant un sourire, Manîthil, pourtant, ne semblait pas des plus ravies de faire sa connaissance. Il passa outre l’envie de lui préciser qu’elle manquait quelque chose puisqu’il était un loup vraiment ex-tra-ordi-naire. Ce n’était pas le temps pour les railleries. Sa mère reprit la parole, comme pour additionner des points à sa cause :
- Tu peux lui dire merci pour son imagination d'ailleurs, sans quoi on serait réduits à les appeler "numéro 1, 2 et le maigrichon" pour toujours. » Ajouta-t-elle en désignant les chiots. « A la place on a Alwidd, Rán et Leviathan. » Oreka se retourna vivement vers sa mère, incrédule. Quand elle lui avait demandé s’il avait quelques idées de nom pour baptiser les loupiots, il n’aurait jamais cru qu’elle choisirait les trois prénoms dans les quelques propositions que l’apprenti avait fait. Il n’était même pas certain qu’une seule lui eut assez plût pour la choisir. D’un large sourire il reporta son regard bleu sur les petits. Il était bien trop heureux pour ajouter quoi que ce soit, malgré tout, il parvint à susurrer :
- C’est parfait…
Le moment aurait dû l’être d’ailleurs. C’est comme ça que dois être une mise-bas sans complications : parfaite. Malgré tout, Oreka pouvait sentir la tension. Sitôt que Leikn eut précisé à sa sœur qu’elle adorerait forcément ses enfants, celle-ci se mit à gronder sourdement. Le visage d’Oreka se ferma et il tourna la tête vers la solitaire blanche.
- Pourquoi ne pas m'en avoir parlé avant ?
Avant même que sa mère ne puisse répondre, la frustration d’Oreka prit les devants :
- Cela ne t’es pas venu à l’esprit que ça ait été pour éviter exactement ce genre de réaction exagérée ?
Il planta son regard glacé dans les yeux de son homologue. C’était quoi son problème ? Il ne voulait pas en rajouter, afin d’éviter que la situation ne parte en vrille. Sa mère avait autre chose à gérer qu’une engueulade familiale, pourtant, il était prêt à en découdre s’il le fallait. Il ne laisserait rien au monde gâcher cet instant précieux pour Leikn. Même pas sa sœur. Alors, d’un sourire large qui paraissait bien vrai, malgré les efforts qu’il y mettait, Oreka ajouta :
- Moi aussi je suis content de te rencontrer, tatie. »
La fureur du vent claquait contre le flanc de métal du véhicule au-dehors. Elle était seule, avec ses sifflements acharnés, à ponctuer le silence de la scène, à peine troublée de temps à autre par un pignement faible du côté des nouveaux-nés. Et les murmures attendris du jeune loup tricolore qui faisaient sourire sa mère. Jusqu'à ce qu'un grondement menaçant s'élève des entrailles de Manîthil.
« Pourquoi ne pas m'en avoir parlé avant ? »
Les oreilles de Leikn se rabattirent brièvement sur son crâne. Elle aurait dû s'en douter. Apparemment, sa mise en garde silencieuse, les yeux dans les yeux, n'était pas suffisante pour faire taire le ressentiment de sa soeur cette fois. La louve blanche pouvait presque sentir la jalousie irradier de chaque parcelle de la peau de sa moitié pour agresser tout être vivant autour d'elle. Ses oreilles se redressèrent lentement. 'Thil était comme ça. Elle avait appris, petit à petit, à faire avec. Peut-être était-ce aujourd'hui qu'elle devait accepter que la jalousie de sa soeur n'allait pas réglementer sa vie. Peut-être que Manîthil allait devoir l'accepter aussi. Lei fronça le museau lorsque sa forte tête de fils se retourna pour lancer avec chaleur :
« Cela ne t’es pas venu à l’esprit que ça ait été pour éviter exactement ce genre de réaction exagérée ? - Oreka. » Le rappela-t-elle à l'ordre d'un murmure grave.
Provoquer Manîthil n'était certainement pas la meilleure tactique à adopter. Quand bien même Leikn était certaine que la guérisseuse n'oserait pas s'en prendre à quelqu'un qu'elle aimait sous ses yeux. Heureusement, Oreka sembla touché par la grâce et se rétracta avec une difficulté manifeste - Leikn qui le connaissait bien apprécia l'effort à sa juste valeur. Touchant d'un museau reconnaissant l'épaule du jeune loup, la guerrière corrigea :
« Tu n'étais pas là, 'Thil. Je te rappelle. Ni quand j'ai décidé de m'occuper d'Oreka, ni quand... »
Silence, mouvement de tête équivoque. Lei n'avait pas l'intention d'évoquer tous les stades psychologiques par lesquels elle était passée lors de sa dispute avec sa soeur. Tout ce qu'il fallait savoir, c'était que Manîthil n'avait pas le droit de critiquer aussi librement ses actes ; et encore moins ceux qu'elle avait effectués en son absence. Malgré tout, Lei se sentit un peu dure envers sa soeur. Elle la connaissait ; c'était sa nature, et de fait elle n'était pas entièrement blâmable.
« Même si c'est tout autant ma faute. » Murmura-t-elle donc en plantant son regard dans celui de la guérisseuse.
Quoi qu'il en soit, Lei n'avait pas l'intention de laisser entrer ses chiots dans la vie au son de disputes familiales.
« 'Thil, on peut en parler plus tard si tu veux. Mais tu n'as aucune raison d'être agressive envers lui. Ou qui que ce soit. »
Ne fais pas l'enfant. Avait-elle envie d'ajouter, mais par souci de diplomatie elle se retint.
« ... Je suis contente que tu sois là. » Finit-elle simplement, fixant un moment sa soeur, avant de glisser un regard à Oreka pour lui faire comprendre qu'elle n'en pensait pas moins de lui.
Et voilà, en plus de lui cacher l'existence de ce louvard, ce dernier à la langue un peu trop pendu, ce qui fit gronder Manîthil qui plante son regard argenté sur Oreka, l'air mauvais. S'il y a bien une chose qu'elle déteste, c'est qu'on lui parle de la sorte, surtout venant d'un loup qui n'a rien à faire là, d'après elle évidemment. Leikn reprend son gamin pour le calmé, quoique peut-être de façon un peu trop douce aux oreilles de la dame blanche qui aurait bien donné une petite correction à ce gamin pour sa langue trop pendu. Puis finalement, sa moitié s'adresse à elle et le regard de Manîthil se fit plus dur en fixant sa sœur mais, peu à peu, son regard devient inexpressif, un simple regard vide. C'était donc cela ? Une sorte de petite vengeance ? Elle lui en voulait, elle le sait, elles ont déjà eu cette conversation et lui balancer cela à la gueule de cette manière … Non, cela ne lui plaît guère, cela ne lui fait pas du bien également. Elle s'est déjà tut et a veillé sur sa sœur alors qu'elle était en gestation. Elle n'a rien dit alors qu'elle n'appréciait guère cela et, c'est ainsi qu'elle était donc remercier ?
Remuant la queue de façon agaçante, Manîthil ne détacha pas son regard de sa sœur qui, soudainement, semblait désolé. Détournant alors son regard, la guérisseuse regard d'ailleurs, entre les trous des parois métalliques qui les entourent. Leikn voulait remettre cette discussion à plus tard, soit … De tout manière, maintenant ou plus tard, à quoi cela servirait ? 'Thil ne disait rien, elle resta muette. Elle jeta toutefois un coup d’œil aux dernières paroles de sa moitié. Elle était contente qu'elle soit là mais, la guérisseuse, elle, était-elle contente de se trouver ici ? Oui, car au moins elle s'assurait que la belle blanche aille bien et, non, parce qu'elle se trouvait en présence de louveteau et jeune loup qui lui piqueront peu à peu sa sœur et cela, elle ne l'apprécie guère …
« Tu ne pourras pas sortir d'ici pendant un petit moment … Je viendrais t'apporter de quoi te nourrir. Quand les tempêtes seront plus calme, je t'aiderais à les ramener chez les Navnik, vous serez mieux protéger du froid et de la faim là-bas. »
C'est la seule chose qu'elle trouva à dire face à cette situation, de toute manière, que pouvait-elle dire de plus ou faire de plus ? Leikn allait bien, ses petits également. Tout ce qu'elle pouvait dorénavant, c'est veiller sur sa jumelle le temps que les tempêtes se calment pour pouvoir se déplacer avec les nouveaux nés sans risque de les mettre en danger.
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