Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Après m'avoir mené jusqu'au territoire des Navnik, le vent avait mené mes pas dans une zone neutre. Malheureusement, il ne s'agissait pas là d'un des plus beaux endroit qu'il m'avait été donné l'occasion de découvrir. Non pas que je faisais vraiment attention aux paysages, mais il fallait avouer que cet endroit me donnait la chair de poule! Déjà, la forêt dans laquelle je me trouvais était très sombre et des toiles d'araignée la tapissait en de nombreux endroits. Beurk! Mais, en plus de cela (comme si ces bestioles et leurs immondes maisons ne suffisaient pas!) il y avait des objets non-naturels. Des coucous métalliques énormes démembrés et éparpillés accompagnés de tissus qui volaient au vent. Non mais quelle horreur!
Tout en marchant avec attention pour ne pas me blesser avec un morceau de coucou, je pensais à mon frère. J'espérais qu'il ne s'était pas perdu dans cet endroit que je jugeais maléfique. Je l'imaginais mort de peur en appelant à l'aide alors que tout le monde le croyais mort et qu'on m'empêchait de partir. Je m'en voulais de ne pas en avoir fait qu'à ma tête. C'est en partie pour cela que j'avais juré de le trouver mort ou vif, peu importe le temps que cela me prendrait. D'ailleurs, à quoi ressemblait-il aujourd'hui? Se souvenait-il de moi?
Mon esprit tournait à une vitesse folle, me transmettant tous mes doutes et toutes mes peurs qui ralentissaient mes pas. Tant et si bien qu'après quelques minutes de pause, je me rendis compte que je m'étais stoppée. Je me mis donc une claque mentale et je repris ma route en me jurant de ne plus jamais revenir là... après en avoir fait le tour complet. Je devais malgré tout tenir la promesse que je m'étais faite. Je l'avais juré sur mon nom de lune : je le retrouverais à n'importe quel prix!
Plusieurs heures s'écoulèrent. J'avais toujours aussi peur, mais j'arrivais mieux à me repérer et à distinguer ce qui m'entourait. Ainsi, je réussis à sentir la présence d'un loup. Un mâle si je ne me trompais pas. Et si c'était lui? Silencieuse, je regardai tout autour de moi jusqu'à apercevoir une silhouette toute proche. Il était grand et semblait très fort! Pas très l'aise, je n'osais pas approcher. Et si ce n'était pas lui? Je ne pouvais pas l'aborder comme ça tout de même! Toutes mes craintes et mes doutes m’assaillirent alors que je regardais mon homologue passer.
Contrairement à certains de ses congénères, Balfring ne ressentait pas la moindre angoisse vis-à vis de cette forêt. Se retrouver face à ces arbres décharnés qui retenaient des cadavres humains du bout de leurs branches lui apportait en réalité bien plus de satisfaction que de craintes. Il n'avait aucune peine pour ces êtres. A ses yeux, ce n'était que justice. Il regardait leurs dépouilles sans détourner le regard, calme, se demandant à chacune d'entre elles si l'un des meurtriers de sa famille s'y trouvait. Si ils se balançaient au bout de ces arbres, aujourd'hui, sous son regard remplit de rancune.
La nuit commençait à tomber au dessus des arbres. En continuant d'avancer dans la forêt, Balfring finit par tomber sur l'odeur d'une jeune louve, non loin du cœur de la forêt. Il s'agissait d'une solitaire, comme lui, mais une légère fragrance de peur l'accompagnait. Avait t-elle un problème ? Il ne pouvait pas passer à coté d'elle en l'ignorant si elle avait besoin d'aide. Balfring alla donc à sa rencontre, la trouvant à quelques mètres de lui. Il s'en approcha sans hostilité, le regard posé sur elle. C'était une jeune louve au pelage blanc pur et aux beaux yeux clairs.
Comme j'étais restée sur place à me demander comment je devais réagir, je vis arriver un grand loup qui m'avait l'air très fort. Pensant très fort qu'il ne fallait pas que je fasse quelque chose qui l'amène à vouloir me combattre tant je me sentais faible par rapport à lui, je le détaillai tout en le comparant au souvenir que j'avais de mon frère. Son épaisse fourrure avaient des teintes qui allaient du brun au beige avec quelques nuances de noir et de roux. Ses yeux, quant à eux, étaient jaunes vifs, comme certaines fleurs. Non, ce n'était pas mon frère. Ce ne pouvait pas être lui. Déçue, mes oreilles se baissèrent. Mais je me repris rapidement en secouant mon museau de droite à gauche accompagné d'une claque mentale monumentale : si je réagissais comme ça dès que je rencontrais un mâle qui n'était pas Oreka, comment allais-je rester motivée et tenir ma promesse?
- Bonsoir, est-ce que tout va bien ?
Il était maintenant à quelques pas de moi. Il ne semblait pas agressif, ce qui me détendis un peu. Du coup, je lui répondis calmement et honnêtement :
- Bonsoir. Ça va, ces lieux me rendent nerveuse. Pas vous?
J'étais surprise de le voir si détendu alors que cette forêt était si lugubre. Peut-être était-ce moi qui était trop sensible, après tout.
La jeune louve sembla se détendre à son approche. Il n'avait aucune intention de lui faire du mal et il tachait au mieux de le faire ressentir dans sa posture et le ton de sa voix.
- Bonsoir. Lui répondit t-elle. Ça va, ces lieux me rendent nerveuse. Pas vous?
Balfring lança un regard aux alentours. C'était donc l'ambiance lugubre de cette forêt qui la perturbait... Il était vrai que ces lieux n'avaient rien de très rassurant. Pourtant, il ne s'y était jamais sentit nerveux, non. La peur telle qu'il la connaissait autrefois était un sentiment qui avait disparu de lui avec tout le reste. Il n'en éprouvait plus aucune. Pour lui, cette forêt n'était qu'un endroit comme un autre, au détail près qu'il pouvait y voir se balancer des cadavres humains.
Sans eux, peut-être se serait t-il sentit nerveux, oui. Autrefois, il aurait peut-être éprouvé de l'angoisse à s'y promener, comme cette jeune louve aujourd'hui. Ce devait être un sentiment normal. Son regard jaune se posa sur la jeune louve. Étrangement, elle lui faisait penser à sa sœur. Elle avait les mêmes yeux, la même douceur dans le ton de sa voix. Si sa sœur s'était retrouvée seule dans cette forêt, elle aurait probablement ressenti la même nervosité qu cette jeune louve. Il l'aurait alors rassurée. Balfring sentit son cœur se serrer.
- Ce ne sont que des squelettes, répondit t-il calmement, vous n'avez rien à craindre.
Il avait prononcé ces mots avec une douceur dont il ignorait être capable, mais ils étaient sortis en toute simplicité, comme si il s'était adressé à quelqu'un qu'il connaissait depuis longtemps.
Ce fut calmement que mon interlocuteur me répondit après un léger silence :
- Ce ne sont que des squelettes, vous n'avez rien à craindre.
Des squelettes... J'espérais que mon frère n'était pas dans le même état. Ce n'était guère rassurant et l'idée me déplaisait au plus haut point. Peut-être était-ce à cause de cela que cette forêt me mettait aussi mal à l'aise. Non! Ce n'était pas possible! Mon frère ne pouvait pas mourir aussi facilement. Comme je le connaissais, c'était un être certes imprudent, mais qui avait assez de jugeote et de débrouillardise pour ne pas se laisser avoir par un faux pas de la vie. Je devais garder confiance et le chercher en pensant qu'il était toujours en vie. N'oubliant pas qu'il y avait quelqu'un avec moi, je pris une grande et discrète inspiration avant de dire, gênée mais en paraissant amusée :
- Désolée, je crois que mon esprit me joue quelques tours. Je suis tellement prise par le but de ma venue ici qu'il semblerait que mes yeux me montrent mes peurs.
La louve resta longtemps silencieuse. Balfring ne savait pas quoi dire. Elle semblait perdue dans ses réflexions, mais au moins, elle ne devait plus avoir peur, que ce soit grâce à lui ou non. Il s’apprêtait à s'en aller, lorsqu'elle reprit soudainement la parole.
- Désolée, je crois que mon esprit me joue quelques tours. Je suis tellement prise par le but de ma venue ici qu'il semblerait que mes yeux me montrent mes peurs. Fit t-elle, légèrement gênée. Je m'appelle Hekima.
Il pencha la tête en avant. - Balfring.
Après s'être présenté, peut-être devait-il lui proposer son aide ? Qu'est-ce qu'une jeune louve dans son genre avait t-elle à faire dans une forêt aussi sordide ? Quelle que soit la réponse, il ne pouvait pas la laisser seule ici. Elle avait peur, et elle n'avait pas l'air encore très aguerrie au combat. Si un prédateur ou un humain s'en prenait à elle, il y avait fort à parier qu'elle ne s'en sortirait pas. Le regard de Balfring glissa doucement jusqu'aux yeux bleus de sa congénère. Ils étaient si ressemblants à ceux qu'avait sa sœur...
- Je peux peut-être vous aider à trouver ce que vous cherchez. Lança t-il finalement. Cette forêt est si vaste qu'il est facile de s'y perdre.
Il ne voulait pas se montrer assez indiscret pour lui demander ce qu'elle faisait dans les parages. Après tout, il s'en moquait complétement. Qu'elle le lui dise ou pas n'y changerait strictement rien. Ce qu'il voulait, c'était qu'elle sorte d'ici en un seul morceau et rien d'autre.