Elle était des leurs, à présent. Enfin, des leurs… Ils étaient parvenus à l’extirper des griffes des Imposteurs, elle semblant si fragile et indécise, elle avait – enfin – fait le bon choix. Mais que savait-il d’elle, au fond ? Pas grand-chose. Il l’avait jugée d’abord traîtresse, puis lâche et enfin faible. Il était parvenu à la conclusion qu’elle ne valait pas la peine de se battre, et encore moins risquer sa vie. Mais il avait déjà mis sa propre existence en danger pour elle, et deux fois. La première, il n’y avait pas été contraint : bien qu’avoir sa mort sur la conscience ne lui aurait pas posé trop de problèmes, la dépression d’Adriel qui s’en serait suivi lui aurait certainement quelque peu sapé le moral. La deuxième, Adriel ne l’y avait pas forcé non plus, mais la perspective de voir son frère confronté à Helya l’avait décidé à aller l’épauler dans ce « recrutement » de leur propre sœur.
Ils avaient le même sang. Ils ne pouvaient pas n’avoir rien en commun, c’était impossible.
Si Adriel se donnait tout ce mal pour la garder en vie, loin des menaces et des agressions, c’était probablement qu’elle devait avoir une valeur précieuse. Alors Dalioka, quel genre de trésor es-tu ? C’était la question que Pandémonium se posait, en l’attendant tranquillement, assis confortablement sur son arrière-train, au beau milieu de la plaine de cendres.
Il avait pointé son museau vers le ciel, modulant le cri du Dragon, celui qui appellerait sa sœur si chère. Elle serait certainement surprise d’entendre son appel, à lui. Elle savait l’animosité qu’il nourrissait à son égard ; faut dire qu’il ne s’en cachait pas beaucoup, après tout. Peut-être ne daignerait-elle-même pas se présenter, peut-être aurait-elle encore une fois peur, peut-être le détestait-elle trop pour lui faire l’immense honneur d’amener ses petites pattes blanches jusqu’ici.
Le jeune Dragon attendait, cependant, que la Dragonne s’amène. On aurait peut-être pu croire que Pandémonium commençait à faire preuve de sagesse, en tentant de changer d’opinion sur Dalioka, mais il n’en était rien : il était simplement temps de savoir ce qu’elle avait réellement dans le ventre.

HRP:

Il n’eut pas à attendre très longtemps, à vrai dire. Sa silhouette blanche s’était lentement profilée à l’horizon, comme un petit fantôme, et elle avait grossi rapidement parmi les volutes de cendres qui s’élevaient sous ses pas. Dans un silence presque parfait, elle le rejoint mais conserva une certaine distance de sécurité. Elle savait qu’il ne la portait pas dans son cœur, et elle le lui rendait bien. La reconnaissance lui était visiblement une chose étrangère. Quelle ingratitude ! Lui qui aurait vendu père et mère pour un simple « merci » ! Un sourire ironique passa sur son visage balafré à cette idée ; sourire qui du certainement passer pour un salut, quelque chose comme une moquerie de bienvenue. De toute façon, il n’allait pas se prosterner face à elle. Son statut de princesse était révolu, tout comme le sien. Ils n’étaient plus que deux jolis bâtards, que la meute Navnik devait certainement mépriser. Cette idée transportait Pandémonium d’allégresse, allez savoir pourquoi.

« Que veux-tu, mon frère ? » Elle l’a dévisagé de haut en bas, comme s’il n’était qu’un inconnu. Allons, Dalioka, qu’essaies-tu de te faire croire à toi-même ? Son air méfiant fait pétiller l’unique œil du jeune Dragon. Allons, Dalioka, je ne vais pas te manger. Ses yeux vairons sont pourtant fixés dans le sien, sans ciller. Une certaine témérité. Et un œil si semblable en tous points à celui d’Isha que Pandémonium croirait presque regarder la prunelle de leur propre père : comment diable ce détail avait-il pu lui échapper ? Après quelques longues secondes, durant laquelle Pandémonium soupèse l’ironie de son ton, il daigne enfin répondre du bout des babines, dédaigneux :

« J'voulais simplement voir si t'étais toujours en vie, hors de la chaleur réconfortante des traîtres. Mais aussi, je m'étais dit qu'un peu d'entraînement te dérouillerai peut-être les articulations.. »

En réalité, il ne la méprisait plus tant que ça. Elle avait gagné un peu de son estime. Mais il fallait à tout prix qu'elle continue de le croire insolent, hautain et surtout, cruel. En somme, qu'elle le voit comme un être infâme. C'était plutôt bien parti, sans vouloir le flatter, et il serait trop dommage de gâcher tout ce beau travail. Il était certain que Dalioka deviendrait trop ennuyante si elle lui portait ne serais-ce qu'une once d'affection.

« Allons, Dalioka, attaque-moi ! Je sais que t'en meurs d'envie... »

En réalité, c'était lui qui en mourait d'envie.

HRP:

A son tour, Dalioka lui renvoie son sourire moqueur ; Pandémonium resta vaguement surpris de voir l’ironie se peindre aussi aisément sur une figure qu’il n’avait connue qu’innocente et un brin naïve. Peut-être était-elle capable d’un certain sens de l’humour, après tout… ?
Ses mâchoires se crispèrent ; il put le voir grâce à la petite bosse qui se forma tout contre sa joue, sous le pelage immaculé. Elle se contenta d’avancer d’un pas, comme si cette petite avancée aurait pu l’impressionner, lui le Dragon. Cherchait-elle à s’affirmer par ce geste ? Il était bien pitoyable.

« Si tu veux déchaîner la colère en moi, le Borgne, il faudra s’y prendre autrement. »
Pandémonium tiqua légèrement lorsque la louve lui fit part de la nouvelle appellation dont elle avait décidé de l’étiqueter. Personne n’aimait qu’on lui rappelle qu’il avait une sale tronche, et Pandémonium encore moins. La colère, chez Dalioka, il savait comment la générer. Il suffirait de la piquer un peu sur sa « collaboration » avec l’ennemi, les traîtres. Ajouté à cela une grande dose de mépris et un peu de hargne, la Dragonne ne devait pas être bien difficile à réveiller.
« Entraîne moi. »
Le jeune loup demeura quelques instants perplexe, l’œil interrogateur. Etait-ce réellement ce qu’elle voulait ? Il n’avait parlé que d’un petit combat « amical », pas d’un moyen pour s’endurcir sur le long terme. Donnez-lui une griffe, elle vous mangera la patte…
Passé la surprise du premier instant, Pandémonium dodelina de la tête avec un sourire victorieux : il savait que sa présence répugnait la louve blanche, et il se doutait qu’elle ne lui avait pas demandé ça de gaieté de cœur. Elle avait certainement du faire une belle croix sur sa fierté pour en venir à quémander un entraînement. Le mercenaire se leva tranquillement.

« Je peux te faire cet immense honneur, à condition que tu ne me fasse pas trop mal... », lâcha-t-il d'un ton ironique.

Tout en parlant, il avait avancé de plusieurs pas, l'air innocent, comme si son unique but était de se dégourdir les pattes. Il avait progressivement commencé à décrire un grand cercle autour de sa sœur, jusqu'à se trouver à un ou deux mètres derrière elle. Dalioka n'étant pas stupide, il pouvait sentir qu'elle demeurait sur ses gardes à chaque instant. Mais il se savait rapide. Il n'hésita pas une seconde et chargea violemment, d'un puissant bond en avant, vers la louve blanche. D'un coup de pattes brutal - griffes rentrées cependant, notez la galanterie - il lui faucha les pattes postérieures avec une certaine adresse. Il s'écarta alors vivement de la louve d'un saut léger.

« Et alors ? On t'as pas appris à avoir un équilibre correct, chez les imposteurs ? », la provoqua-t-il d'un ton acerbe.

Un éclair passe vaguement dans le regard bicolore de la louve blanche. L’a-t-il touchée ? Il n’en sait rien, mais il l’espère. Elle se releva avec une infinie lenteur, semblant mesurer chacun de ses gestes. Elle semblait déterminer à ne faire aucun faux pas et à l’abattre sans hésiter. Une philosophie qui plaisait assez au jeune Dragon. A sa grande déception d’ailleurs, elle ne répond pas à ses piques. Tant pis, il finirait bien par la faire sortir de ses gonds : il suffisait d’être patient.
Il attend patiemment qu’elle se décide enfin à attaquer, lui laissant la possibilité de réfléchir à ce qu’elle allait mettre en œuvre pour le battre à plate couture. Il était curieux de voir ses ressources, mais elle mettait trop de temps à les mettre en place. Dans un véritable combat, elle se serait certainement fait tailler en pièces.
Néanmoins, lorsqu’elle esquisse un bond aussi agile que rapide sur le côté, Pandémonium n’a que le temps de la voir qu’elle est déjà au sol, soulevant dans son sillage un épais nuage de cendres. Mais bordel, qu’est-ce qu’elle fiche ? Croit-elle qu’on joue à cache-cache ? Les volutes sombres arrivent jusqu’au jeune mercenaire qui est contraint de détourner la tête pour protéger son œil valide : il n’en a déjà qu’un, si il n’y voit plus non plus de l’autre, il peut s’estimer fichu. A cet instant précis, il sent qu’on le frôle et une patte vient agripper une de ses pattes postérieures.
Un sourire vient étirer les babines du jeune loup ; maligne, la petite. Il se retourne brutalement, prêt à mordre un peu à l’aveuglette, mais le pelage blanc de la louve détonne malgré le nuage de cendres qui les entoure et il lui sera facile d’y planter les crocs. Elle se faufile sous lui, et lorsqu’elle se relève, il est déséquilibré. Profitant de ce moment, elle tente de le faire flancher d’un coup de patte sur son unique postérieur de libre. Elle essaye de le faire chuter avec une stratégie plutôt bonne !

Déséquilibré, le Dragon se laisse choir sur elle de tout son poids : il n’a pas besoin de faire beaucoup d’efforts puisqu’elle a eu la sottise de se mettre juste en dessous de lui. Il saisit un peu au hasard un morceau de chair entre ses crocs et s’envoie rouler sur le côté d’un tour de reins brutal, entraînant la louve dans sa chute. Ses mâchoires se raffermissent sur sa prise et il se relève, la maintenant au sol de toute sa force grâce à ses deux pattes antérieures, qu’il pose sur le poitrail de la blanche.

Les crocs toujours fermement plantés dans Dalioka, le jeune mâle la sent se débattre avec violence sous lui. Mais elle a beau se démener, il ne lâche pas prise. Elle semble – enfin ! – penser à faire usage de ses pattes postérieures, déstabilisant quelque peu le Dragon durant quelques secondes ; mais il est bien plus lourd qu’elle et elle ne parvient pas à l’écarter.
En désespoir de cause, voyant que ses efforts et ses gesticulations ne servent à rien, la louve attrape la joue de Pandémonium d’un mouvement vif, tirant sur ses propres chairs, coincées dans la gueule de son opposant. La douleur se répand immédiatement dans la moitié de la face du jeune loup qui, par un réflexe instinctif et stupide, lâche prise. Un grognement lui échappe presque aussitôt, le temps qu’il se rende compte de sa bévue, mais il est trop tard : Dalioka a déjà roulé sur le côté, lui échappant lestement, et le déséquilibrant dans le même temps. Pire encore, la fourbe le fauche brutalement alors qu’il allait se remettre d’aplomb, scellant définitivement son sort : la chute est inévitable et Pandémonium se vautre lamentablement.

Mais il n’est pas long à se remettre debout, et ne perds pas une seconde pour se jeter sur elle. Elle a de la ressource, mais elle manque cruellement de force ; lui qui n’aimait pas trop le corps à corps en raison de son petit gabarit, n’avait plus peur de se frotter de près à son opposant ce coup-ci.
Il avait bondit brutalement et avec puissance vers la louve ivoire, et avait planté ses crocs dans la nuque, bien décidé à l’envoyer valser dès qu’il en aurait l’occasion. Mais elle ne l’entendait visiblement pas de cette oreille, puisqu’elle l’accueillit avec un coup d’épaule si bien placé qu’il lui fit lâcher prise. Pandémonium freina brutalement sur ses postérieurs pour accuser le coup, et se déporta en deux bonds rapides vers l’arrière-train de la femelle, où il planta à nouveau ses dents ; il tira brutalement en arrière, s’arc-boutant contre le poids de la louve pour la traîner vers lui, et relâcha rapidement la pression. Encore deux sauts vers la droite, et une morsure sur le flanc gauche, où il répéta le même procédé. Il relâcha à nouveau la prise, s’écartant vivement pour éviter toutes représailles, et la nargua d’un sourire narquois. Viens donc m’attaquer.