Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Voilà plus d'un mois que les Navniks ne faisaient plus partie de ma vie. Que je n'avais revu ni Rhaegar, mon ami si cher, ou Ebène, mon mentor à qui je devais tout. Quelle belle ingrate je fais. Tous deux doivent m'en vouloir. Ils fuiraient en me voyant, ou m'attaqueraient. Encore mieux. Après tout je suis une étrangère. Moi non plus je n'aimerai pas me voir. Je hais cette partie de moi qui s'est enfuie, mais je hais encore plus de devoir être loin de mon frère. De mes frères. La famille avant tout, n'était-ce pas ma devise ? L'ordre des Dragons doit être justement rétabli. Et il le sera, un jour.
Je soupire et m'assois, parmi ces inhabituelles fleurs scintillantes, dans cette étrange et grande clairière. Le soleil hivernal a percé l'épaisse couche nuageuse et vient effleurer mon pelage blanc, accentuant l'éclat pourpre des Grenats. J'admire leur brillance, leur constance. Un des rares joyaux oubliés de ce sinistre monde. Il serait temps pour moi de reprendre l'entraînement. Ma fratrie compte sur moi, et sous-entraîné je ne suis qu'une bouche de trop à nourrir. Après un temps de calme, je me relève, de nouveau active et sur mes pattes. J'ai grandi, depuis que ma première année a été dépassée. Peut-être la vie plus rude de Solitaire a-t-elle été favorable à ce changement. Malgré un manque d'entraînement évident, on remarque la légère courbe de mes muscles, ma taille affinée, mon encolure plus abondante en poil et en chair. Mes griffes s'allongent en même temps que mes pattes. Les traits de mon museau se dessinent peu à peu, mon front s'élargit et donne du caractère à mon regard vairon. Mon poil, enfin, avec cet hiver rude que je passe loin des chaudes tanières Navnik, a doublé d'épaisseur. D'une blancheur douteuse, quelque peu mal entretenu - et quoi ? je n'ai pas que ça à faire, il se fond cependant parfaitement dans la neige de ces terres inhospitalières. Je scrute les alentours avec parcimonie, lève la tête vers le ciel. Le blizzard s'est éloigné, le temps reste au beau fixe. Profitons-en.
Un bruit, un léger craquement. Je me retourne, plaque les oreilles comme j'en ai l'habitude quand la surprise ou le mécontentement s'empare de moi, et sonde l'espace de mes sens. La clairière est bordée d'une épaisse fourrée et d'arbres feuillus. En soit, une bonne cache pour quiconque souhaite voir sans être vu. Une odeur lupine flotte vers moi, vient titiller mes narines. Cet inconnu a délibérément voulu se faire connaître de moi, c'est évident. Même le plus profond des abrutis ne se serait pas positionné dos au vent. Mes babines se relèvent lentement, j'esquisse une moue menaçante.
Combien de temps depuis mon retour à la vie ? Combien de temps depuis que le défunt Isildür est de nouveau là à fouler les terres de ses ancêtres ? Ancêtres, c'est vite dit. Comme si la Foudre Sinistre pouvait me rendre fier de mes origines. Comme si la Mélodie pouvait se vanter de l'avoir comme mère. Je soupire, je grogne aussi. Elle m'exaspère. En fait, elle me fait ressentir plus de colère que je n'en n'ai jamais ressenti. J'étais son fils. J'étais son monde. Et du jour au lendemain, plutôt que de pleurer sagement, plutôt que de désespérer loyalement face à mon absence, cette garce d'ébène m'a remplacé. Jeté aux oubliettes comme un vulgaire jarret. Je suis empli d'une rancoeur profonde que j'ai nourri au fil des mois, des années passées loin des miens. Ces êtres qui m'ont abandonné et trahi, ou trahi d'abord et abandonné ensuite. Peu importe en fait, le résultat est là et il ne changera pas. Je claque des mâchoires dans le vide, comme si ma mère pouvait être là, comme si je pouvais la mordre. J'aurais dû être et demeurer à jamais le centre de son monde.
Mais, là dans le silence du crépuscule, une odeur familière vient bientôt éveiller mes sens et étirer mes babines en un rictus sarcastique. Il semblerait que le Destin ne soit pas totalement contre moi, et qu'il m'accorde encore un peu d'attention. Je suis parti longtemps, mais je me rappelle nettement ses effluves, sucrés et sauvages à la fois. Fille d'un Hordien. Descendante directe d'un monstre sanguinaire, mais aussi et surtout d'une louve qui faisait parti des miens. Elle a été de ma meute, elle y est née alors que je revenais une première fois d'entre les morts. Je souris davantage lorsque sa silhouette immaculée m'apparait entre les arbres, et je me camoufle dans l'obscurité. Elle, splendeur fantôme, se fond dans la neige vierge. Moi, ombre obscure, je disparais dans la noirceur de la nuit. Et je la fixe de ce regard d'émeraude qui est le mien, alors qu'elle cherche mon odeur entre les troncs décharnés. Elle menace, montre les crocs, et j'étire un sourire malsain en sortant de ma cachette pour la rejoindre lentement. Le pas tranquille, je descends une patte après l'autre la pente légère qui nous sépare, et je n'ai de cesse de l'observer, de la dévorer des yeux.
- J'avoue avoir pensé que ton père t'aurais mangé ... Cela fait bien longtemps.
Mais, j'ai oublié son nom. Aurais-je encombré mon esprit tout ce temps avec un simple prénom ? Pour quoi faire ? J'ai souvenir de qui elle est issue et ça m'est largement suffisant. Ses parents sont-ils toujours de ce monde ? Elle sent l'odeur boisée des solitaires, à présent. Elle n'est plus une Sekmet.
PS : Disoulayyyy
A-Delta
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Mer 2 Mar - 18:07
Vert, or et bleu
ft. Isildür
HRP:
C'est moi qui suit désolée !! Pardonne moi
L'intrus ne tarde pas à se montrer. Et je ne tarde pas à faire un pas de recul, tout bonnement étonnée de l'apparition qui se présente devant moi. Je vois ses muscles fins jouer sous son pelage d'ébène, j'avise sa grande taille, procurée en partie par ces minces et longues pattes terminées de griffes acérées. Et enfin je crois ce regard émeraude que je ne pensais jamais revoir, et qui pourtant est resté gravé dans ma mémoire depuis tout ce temps. Des yeux d'une telle couleur, ça ne s'oublie pas. Ces deux prunelles qui me fixent à cet instant, et ne me lâchent pas. Un sourire malsain, tout à fait accordé au personnage, accompagne le pas de cette très vieille connaissance.
« J'avoue avoir pensé que ton père t'aurais mangé ... Cela fait bien longtemps. »
Tandis qu'il s'avance, je le scrute d'un air farouche, ne sachant pas vraiment quelle attitude adopter face à ce loup plein d'assurance et de nonchalance. Il n'est assurément plus le petit jeune qui m'a tiré des griffes de ce filet humain. Je me laisse aller à l'étonnement. La méfiance reste là cependant. Son nom me revient parfaitement, maintenant que je le vois.
« Isildür. »
Je me mets en mouvement moi aussi, décrivant un demi cercle autour du noiraud. Les os de mes épaules roulent sous mon échine. Les oreilles légèrement plaquées, j'esquisse un sourire mi-amusé, mi-sarcastique.
« Je doute qu'il ait pu me tuer, puisqu'il a disparu. Et je suis bien plus forte que tu ne le crois. »
Je plisse légèrement les yeux, ne quittant pas des yeux cet étrange interlocuteur, et mon sourire se mue en un léger rictus sardonique, comme pour le mettre au défi de me contredire. Je cesse mon pas, et une lueur de curiosité vient éclairer mes prunelles vairons.
Ce sourire condescendant et fier étire mes babines durant de longues secondes, alors que la louve semble m'observer et prendre le temps de me replacer dans ses souvenirs. Qu'a-t-elle pu devenir, tout ce temps ? Qu'a-t-elle pu faire de sa vie, pour quitter la meute de ses vieux et devenir une solitaire ? A-t-elle été abandonnée des Sekmet, elle aussi ? L'espace d'un instant je pourrais peut-être espérer que ce soit le cas. Dans un élan d'égoïsme j'aimerais qu'elle me dise que ses parents l'ont jetée dehors. Alors je me sentirais moins seul, rassuré. J'aurais quelqu'un à qui confier ma rancoeur et, peut-être, une compagne de vengeance, une future acolyte pour faire tomber cette meute de traîtres et de lâches. Mais la jeune femelle immaculée ne me raconte pas sa vie. Non, elle cite mon nom. Je suis flatté de voir qu'au moins le mien, marque certains esprits à défaut d'être retenu par les membres de ma propre meute. Elle ajoute que son père s'en est allé. Alors finalement si, elle a été abandonnée. Mais lui n'était pas un Sekmet. C'était un Hordien. Un foutu salopard de Hordien. L'un de ceux qui ont voulu briser ma mère, briser les Sekmet, briser Empress. Une profonde satisfaction me prend. J'aurais pu les admirer, si j'avais eu à l'époque la mentalité que j'ai aujourd'hui. Ils avaient de beaux projets, finalement. Elle continue de me tourner autour et je continue de faire pareil pour elle. Je l'observe, regarde les muscles courir sous sa peau, son pelage danser à chacun de ses mouvements. Elle est beaucoup mieux entretenue que moi.
- Où étais-tu passé ?
Je m'arrête, affiche un sourire en coin et un regard enjôleur.
- Oh ... Ici et là. Tu m'as l'air en forme.
Plus que moi en tout cas. Peut-être ces voyages interminables dans les montagnes ne m'auront pas été du meilleur effet, finalement. Peut-être aurais-je pu simplement attendre qu'elle soit chassée elle aussi de la meute, et alors peut-être aurions-nous pu nous rapprocher et progresser ensemble. J'aurais peut-être pu faire d'elle une partisane de mes projets de vengeance.
Une lueur de satisfaction semble s'allumer dans ses yeux à l'entente de ma réponse, et je me demande bien pourquoi. Déjà il évoque le souvenir de mon père et je n'apprécie que très peu ce douloureux rappel, mais le voir s'en satisfaire le rend parfaitement déplacé. Ce loup serait-il sadique au point de souhaiter aux autres un passé au moins aussi malheureux que le sien ? Ma méfiance augmente.
« Oh ... Ici et là. Tu m'as l'air en forme. »
Il s'est arrêté, me scrute. Son sourire sarcastique s'est mué en un sourire tout autre... Le coin de babine légèrement relevé, l'oeil taquin. Je stoppe ma marche également, je penche légèrement la tête sur le côté et plisse les yeux. Je n'ai jamais été face à un tel individu, aussi confiant, si on oublie le champ de bataille où l'ennemi, lui, est confiant - confiant dans le fait qu'il va te tuer.
« Qu'est-ce que tu fais ? » rétorqué-je d'une voix étonnée, d'où pointe encore la méfiance qu'Isildür m'inspire.
Qu'est-ce que ce sourire, cette nuance dans sa voix ? Pourquoi agit-il ainsi ? Je ne suis pas sûre d'aimer ça.
Toi le loup noir Autrefois grand vantard Apprends aujourd'hui Auprès et pour autrui
Je ne saisis pas vraiment le sens de sa question. Qu'est-ce que je fais ici ? Est-ce là ce qu'elle veut savoir ? A voir l'expression sur son visage, sa question est plus profonde. Quel est le sens de mon attitude, pourquoi ma réaction est-elle ainsi ? Dans mon monde, on ne pose pas de question. Dans mon monde, on voit venir les évènements et on ne laisse arriver que ceux qui nous seront utiles. Que ceux qui serviront d'une manière ou d'une autre, nos desseins. Elle, elle semble plutôt se laisser accabler par le poids du passé, comme si elle se complaisait dans la souffrance infligée par les siens. Mauvaise chose que de se laisser crouler sous les souvenirs douloureux alors que tant de doux sentiments sont prêts à prendre le pas sur le reste. L'esprit de vengeance, ça c'est un sentiment délicieux. Quoi de plus subtile que le plaisir d'imaginer les traîtres mourir lentement ? Quoi de plus jubilatoire que d'imaginer regarder leur agonie jusqu'à ce que leur dernier souffle ne passe entre leurs babines déformées par la douleur ? Alors qu'est-ce que je fais ? Eh bien ma belle, qu'attends-tu de moi ?
- Pourquoi je n'essaie pas de te consoler, tu veux dire ? Tu préférerais que je pleure avec toi, pour des parents qui t'ont jetée dehors ? Ne t'apitoies pas sur ton sort, ma belle. Ils t'ont abandonnée ? Eh bien venges-toi. C'est aussi simple que ça, dans mon monde.
Ne sois pas si borné Vois en elle la beauté Réfléchis en ses yeux En y observant les cieux
Et mon monde l'attend, si elle désire entrer dans la délicieuse spirale de la vengeance. Je suis certain qu'elle pourrait m'y suivre. Elle est jeune, elle souffre, et je sais qu'elle n'aime pas ce sentiment d'injustice qui rôde autour d'elle. Je sais qu'elle ne peut supporter de voir le monde aller bien alors qu'elle, à l'intérieur, se fissure et se brise. Elle n'est pas différente de moi, dans le fond. Elle ne le sait juste pas encore, voilà tout.
Isildür ne répond pas réellement à ma question, mais soit. Il me parle de vengeance, de son monde.
« ...Ne t'apitoies pas sur ton sort, ma belle. Ils t'ont abandonnée ? Eh bien venges-toi. C'est aussi simple que ça, dans mon monde. »
Là, pour une raison qui m'échappe, j'enrage. Mon regard se fait dur, et je m'approche du loup noir vivement, avec la rapidité d'une vipère, montrant les crocs. Un grognement sourd sort de ma gorge alors que je siffle:
« Je ne m'apitoie pas, le noiraud. Si je suis Solitaire aujourd'hui, c'est parce que je l'ai choisi. »
Je le toise d'un oeil hargneux, puis m'écarte en secouant la tête, tentant de garder mon calme. Je m'en prends à la mauvaise personne. Il faut que je cesse de m'emporter, ou de me justifier avec qui que ce soit. Je soupire, et m'assois à quelques mètres d'Isildür, le visage fermé, le regard ailleurs. Je suis seulement lasse de ceux qui croient pouvoir me définir par de simples déductions, ou de simples sentiments. Après un long silence, je décide de prendre sur moi. Après tout, Isildür ne m'a montré que des intentions pacifiques, pour l'instant. J'espère qu'il a compris, cependant, que toute allusion a ma famille est interdite, et tabou, et que je ne suis plus la petit fleur délicate qu'il a pu rencontrer.
« Toi qui parles de vengeance, contre qui as-tu tant de griefs ? »
Je lève mon regard vers le sien, vert, l'examinant avec la même circonspection qu'au départ, mais le calme revenu.
Un grondement sourd, et à peine une seconde entre le moment où elle bouge et l'instant où je remarque ses crocs si près de mon visage. Un sourire étire mes babines en une grimace des moins attrayantes et je la fixe dans les yeux, comme si je ne craignais rien d'elle, comme si je la connaissais par coeur. Peut-être pas si semblable à moi, finalement ...
- Je ne m'apitoie pas, le noiraud. Si je suis Solitaire aujourd'hui, c'est parce que je l'ai choisi.
Choisi, hein ? Alors pourquoi tant de tristesse dans ton regard, ma belle ? Pourquoi tant de peine dans chacun de tes mots ? Pourquoi cette colère sourde qui boue en toi et que tu peine à cacher au monde ? Je l'observe qui se remet en question, qui semble se battre intérieurement contre elle-même. Attaques-moi, ma elle. Vois comme nous sommes pareils l'un à l'autre. Mais elle n'en fait rien. Elle inspire, s'éloigne et s'assied. Je m'approche malgré les mises en garde, malgré son besoin visible de distance.
- Toi qui parles de vengeance, contre qui as-tu tant de griefs ?
Mon regard se charge d'une colère insoutenable, presque douloureuse dans ma poitrine. Mais à l'extérieur, je souris. J'étire mes babines en un rictus amusé, comme si je pouvais parvenir à changer ma rage en émotion positive.
- Ma mère, et ceux qui m'ont sous-estimé. Ils sont nombreux, si tu veux tout savoir.
Nombreux sont les Sekmet, et nombreux sont donc mes ennemis désormais. Mais je les écraserais tous, les uns après les autres, par n'importe quel moyen.