Myosotis s'arrêta et observa les lieux sur lesquels elle se trouvait. Un léger soupir lui échappa et son souffle chaud dessina un petit bloc de fumée blanche dans l'air. L'hiver régnait encore en force sur la terre. L'hiver n'était pas sa saison préférée mais elle n'était pas non plus celle qu'elle détestait le plus. Mais elle commençait à en avoir marre de la neige, du froid, du manque de proies, du manque de plantes...

La petite louve noire reprit finalement sa route, une fois qu'elle eut entièrement reprit son souffle. Avec toute la cendre qui se trouvait dans les lieux, respirer n'était pas la chose la plus agréable du monde. La cendre ça brûlait la truffe, les voies respiratoires et tout le reste. En somme, quand la truffe n'allait pas, rien n'allait. Et cette plaine, c'était un vrai dépotoir. Déjà, le sol n'était même pas plat. Plusieurs cratères faisaient irruption, ici et là, sans raisons apparentes - du moins aux yeux de Myo' qui ne connaissait pas le passé des lieux ni même les animaux bipèdes et leurs engins de métal. Et puis, il y avait aussi au loin de grosses formes étranges que la louve noire n'avait encore jamais vu. Qu'était-ce ?

La curiosité de Myosotis fut plus forte que la prudence dont elle aimait faire preuve. Elle continua de s'approcher des grosses et étranges carcasses métalliques, tout de même avec un minimum de prudence. Elle essayait d'éviter un maximum les débris coupants qui jonchaient le sol. Elle n'avait aucunement besoin de se faire mal maintenant. Sa petite voix intérieure - celle de la sagesse sans doute - lui ordonnait presque de faire marche arrière. Que c'était la solution la plus sensée. Et pourtant, sa curiosité était plus forte que tout. Alors elle continua de s'approcher jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un ou deux mètres qui la sépare de ces étranges trucs.

Myosotis observa longuement les choses. Elle cligna même plusieurs fois des paupières, pour être sûre de ne pas rêver. D'où venaient ces choses ? La petite louve était entrain d'examiner les carcasses métalliques lorsqu'elle sentit soudainement l'odeur d'un autre loup. Elle redressa brusquement la tête et manqua d'ailleurs de s'assommer au passage. Myosotis n'écouta que son instinct et sauta par dessus les décombres d'une de ces choses de guerre afin de retrouver l'autre loup avant qu'il ne disparaisse. Elle avait des questions et la curiosité qu'elle ressentait pour ce lieu lui donnait des ailes au point de mettre sa timidité maladive de côté.

L'inconnu était à quelques mètres seulement d'elle. Myosotis s'apprêtait à le rejoindre pour lui signaler sa présence quand, contre toute attente, il se retourna de lui-même. Inconsciemment, Myo' se figea. Il avait donc senti sa présence. Un court instant, la petite louve se sentie... Débile. Bien sûr qu'il avait senti sa présence, les loups avaient un bon odorat. Puis celui qui se laisse prendre par surprise bah... Il est pas vraiment futé.

La voix du mâle résonna quelques secondes plus tard dans l'air, jusqu'aux oreilles de la jeunette.

Bonjour, à qui ai-je l’honneur, charmante inconnue ?

Sa... Salut. Mon nom est Myosotis.

Répondit-elle, incertaine, après quelques secondes de silence. La prise de contact n'avait jamais été son point fort. C'était le résultat d'une vie en solitaire. Elle n'avait jamais apprit à aller vers les autres, parce qu'elle n'en avait pas eu besoin puisqu'elle avait Asgard avec elle et qu'il était le seul qui comptait.

Et... Quel est votre nom ?

Demanda ensuite Myosotis au mâle brun, toujours aussi maladroitement.

Le regard de Myosotis se perdit un court instant sur le corps musculeux du jeune mâle qui lui faisait face. Plus précisément au niveau du poitrail de ce dernier. Elle imaginait sans trop de peine la puissance du loup et les dégâts qu'il pourrait bien affliger à une petite louve chétive comme elle. Certes, il n'était pas forcément de ce genre la, mais Myosotis ne pouvait retenir et empêcher ses pensées de divaguer. Il ne fallait pas oublier qu'après tout, c'était la première fois où elle était réellement seule et surtout qu'elle croisait la route d'un jeune mâle qui était quasi de son âge. Asgard lui avait toujours dit de se montrer prudente lorsqu'elle croisait des inconnus et même d'être prudente tout simplement. Il avait sans doute raison d'agir ainsi et Myo' préférait suivre les conseils que lui avait donné son vieux mentor. Il n'y avait pas écrit "je suis un tueur" sur le front des inconnus après tout, n'est-ce pas, alors autant faire attention aux loups possédant un physique taillé pour le combat.

Une fois la menace écartée de son esprit - ou plutôt mise de côté pour le moment - Myosotis laissa son attention revenir sur le paysage et tous les débris qui jonchaient le sol recouvert de cendres de la plaine. Elle se demandait réellement ce qu'il s'était passé ici pour que l'endroit se retrouve dans un tel état. Myo', elle ne connaissait pas tout ça. La guerre, les tanks, les bombes... Non, non, malgré le fait qu'elle ait beaucoup voyagé avec Asgard, elle n'avait jamais vu ça. À croire que les précédents endroits où elle avait vécue avaient été comme... "Protégés" de cette situation de guerre. La petite louve noire avait déjà vu les bipèdes, oui. Mais de loin, avec leurs monstres métalliques - les voitures qu'ils s'appelaient d'après Asgard -, sur les grandes routes.

Myosotis. La petite fleur bleue qui pousse dans les sous bois, la fleur de l’amour. Un nom très doux qui vous va à ravir. Je m’appelle Athos, ravi de vous rencontrer...

Lorsqu'il prononça son nom, le regard dépareillé de la jeune louve se plongea enfin dans le sien. Il faisait référence à la fameuse petite fleur bleue. La petite fleur bleue qu'Asgard aimait tant. C'était d'ailleurs de lui qu'elle tenait son nom. C'était lui qui l'avait nommée Myosotis lorsqu'il l'avait adoptée parce que sa mère n'avait pas voulu lui en choisir un. Et il avait choisi Myosotis parce c'était, justement, la fleur de l'amour, comme Athos venait de le rappeler. Le myosotis, qui était également connu pour des petites phrases d'amour, notamment "Ne m'oublie pas". Au final, tout était bien pensé et prenait son sens, pour peu qu'on connaisse le passé de la petite louve noire.

Merci. Je suis également enchantée de faire votre connaissance... Athos.

Si elle avait une voix douce et enfantine qui restait marquée par son manque de confiance, Athos était son exact opposé. Il avait une voix pleine de confiance et un poil rauque, typiquement masculine. Il avait aussi ce côté légèrement... Caressant dans sa voix.

Physiquement parlant, il était tout à fait à l'image de sa voix. Athlète, carrure faite pour le combat qui inspirait le sentiment de sécurité et de crainte à la fois, l'air un poil mystérieux... En bref plutôt beau garçon, certainement. Autant dire qu'à côté de lui, s'il faisait loup, elle faisait quant à elle plutôt petit agneau.

Myosotis détacha finalement son regard de celui d'Athos, pour observer de nouveau le paysage. Elle fit quelques pas de côté puis reposa son regard vairon sur le loup brun.

Pourquoi cet endroit est-il ainsi ?

La question lui brûlait les babines depuis tellement de temps qu'elle n'avait pas su s'empêcher de la lui poser. Elle voulait savoir, c'était plus fort qu'elle. Que s'était-il passé ici ?

Toute l'attention de Myosotis était pour le loup au pelage brun. Il n'était visiblement pas contre le fait de répondre à sa question. Point positif, elle pourrait enfin comprendre le pourquoi du comment. Il semblait d'ailleurs... Surprit, de l'entendre poser cette question. Un court instant, la petite louve noire se sentie honteuse. Avait-elle loupé quelque chose ? Était-elle différente, à part ?

Tout cela est le fruit de l’Homme. C’est une espèce qui passe son temps à s’entredéchirer. Un jour, ils ont décidé une chose : si un Homme ne pouvait pas avoir la planète à lui tout seul, alors personne ne l’aurait. Une guerre a commencé, ils ont tout détruit sur leur passage. Bombes, tanks, tout ce que l’Homme a fait de pire de son existence, il l’a utilisé contre lui-même. Nous aurions dû tous mourir avec lui puisqu’il avait tout pris, mais la Nature s’est reconstruite d’elle même et nous avons survécu. Il reste encore aujourd’hui des traces des horreurs des humains, comme cette plaine. Mais il y a aussi l’autoroute éventrée, ou même le marais. Enfin vous verrez, sa présence n’est que trop remarquable parfois ici. Mais les Hommes ont aussi fait de belles choses. Vous devriez voir l’avion. Il est l’endroit idéal qui nous permet de survivre. Je pourrais vous montrer si vous voulez. Vous êtes seule ? Ce monde est difficile pour une personne seule.

Myosotis l'écouta avec la plus grande des attentions. Pendue à ses babines, elle l'était très certainement, oui. L'histoire de ces lieux l'intéressait. Elle voulait simplement comprendre. Et maintenant, sa réponse, elle l'avait. C'était la faute des bipèdes, des Hommes - comme bien souvent d'ailleurs. Les Hommes, elle connaissait. Elle en avait déjà vu, de loin, lorsqu'elle voyageait avec Asgard. Et son mentor lui avait raconté quelques histoires sur les bipèdes, "les animaux sur deux pattes" comme il aimait les appeler. La première chose qu'il fallait savoir à leur propos était qu'ils étaient des êtres obscurs et méchants. Qu'il ne fallait jamais, au grand jamais leur faire confiance. Ce n'était pas des "bonnes" personnes. Il fallait plutôt les fuir. Parce qu'ils avaient tendance à attaquer et tuer les loups - et tout autre animaux sauvages au final. Des bombes et tanks ? Ces mots la, elle ne les connaissait pas. Mais tant pis, elle ne voulait pas se montrer trop curieuse.

Voir l'avion ? L'endroit idéal pour survivre ? Des loups vivaient dans un avion ? Le même avion auquel elle pensait ? La machine volante des hommes ? Curieux.

Je ne suis pas contre visiter d'autres lieux. Et oui, je suis solitaire, si c'est la question. Depuis ma naissance, pour ainsi dire. J'ai pris l'habitude de vivre seule, depuis quelques semaines maintenant.

Vivre en meute était une option qui était tout simplement inenvisageable pour le moment pour Myosotis. Premièrement parce qu'elle n'avait jamais réellement vécue en meute et qu'elle ne connaissait donc aucun code et autres faits particuliers de la vie en groupe et deuxièmement elle était vraiment pas douée en ce qui concernait les relations sociales. Autant dire qu'en meute, elle se ferait bien vite taper dessus. Après, l'option d'un jour faire partir d'une meute n'était pas non plus écartée. Bien loin de là. Il fallait simplement qu'elle observe les loups de meute quelques temps avant de vouloir se lancer elle même dedans. En gros, c'était compliqué.

On pourrait peut-être marcher ? Enfin, si vous avez envie de m'accompagner, évidemment.

Suggéra-t-elle finalement au mâle, en s'écartant légèrement de lui. Elle avait envie de découvrir ces terres. Et puis, rester immobile, ça l'ennuyait. Myosotis prit d'ailleurs les devants et commença à marcher, sans attendre la réponse d'Athos. La balle était dans son camp, le choix était sien, et il en faisait ce qu'il voulait.

Un très léger sourire étira les babines de la jeune louve lorsque le loup brun répondit favorablement à sa requête. Elle était plutôt contente qu'il veuille bien marcher avec elle. En fait, elle était tout simplement contente d'avoir un peu de compagnie, après avoir passé quelques jours seule. Elle avait beau être d'une nature plutôt solitaire, la compagnie avait finit par lui manquer. Le contact, l'échange, le sentiment d'être appréciée... D'être aimée... En somme, de revivre les sensations qu'elle vivait il y avait encore quelques semaines, aux côtés d'Asgard. Même si personne ne sera jamais comme son vieux mentor. Asgard avait été bien plus qu'un simple mentor. Il avait aussi été un père, un frère, un ami... Mais tout ça, c'était fini, et Myosotis avait encore un peu de mal à en faire le deuil. Mais c'était la vie et son mentor n'aurait pas apprécié qu'elle ne l'écoute pas et passe ses journées à se morfondre. Si elle voulait lui faire honneur, il fallait qu'elle soit forte et qu'elle aille de l'avant. Et c'était donc ce qu'elle avait décidé de faire.

Vous n’avez jamais vécu en meute je me trompe ? Et je suppose aussi que vous n’avez jamais entendu parler des meutes d’ici. Si cela vous dit je peux vous expliquer un peu.

Pendant un court instant, la question d'Athos étonna la jeune louve. Cela se voyait-il tant que ça... ? Honteuse, Myosotis détourna rapidement son regard du loup brun. Elle restait qu'une petite louve orpheline, rejetée de sa meute et de sa propre mère après tout...

J'ai vécu en meute durant mes premières semaines de vie seulement. Donc je suppose que non, concrètement, je n'ai jamais réellement vécu en meute. Et je n'ai pas entendu parler des meutes d'ici non plus. Des explications ne seraient pas de trop, je l'avoue...

Souffla-t-elle finalement d'une petite voix. Elle avait honte de devoir dire qu'elle ne connaissait pas les meutes. Un vrai loup vivait en meute, après tout. Qui était-elle réellement ? Une simple petite louve guérisseuse... Rien de plus. Qui pourrait bien s'intéresser réellement à elle et à son histoire, sans le faire par pitié ?