Trop faible. Voilà les seuls mots qui tournent dans ma tête, encore et encore alors que mon esprit essaie de ne faire qu'un avec mon corps. Les murs, je les connais. Mes pattes frappent durement les parois, mes muscles amortissent mes atterrissages et je suis prêt l'instant suivant pour une nouvelle course à travers les roches grisâtres qui m'entourent. Je descends la falaise comme un cabris. Un bond à gauche, les éboulis de petites pierres plates jusqu'en bas. Un bond à droite, et mes pattes qui s'ancrent durement dans la pierre pour ne pas laisser tomber mon corps. Léger, agile, élancé. Mais trop faible, bien trop faible. Je grogne lorsqu'une pierre me tombe sur le flanc, et je saute vivement pour me rattraper gauchement à une autre plateforme. Je glisse, racle la pierre de mes griffes et me débats, à moitié dans le vide, pendant d'interminables secondes avant de parvenir à me surélever au-dessus du néant. Je remonte tant bien que mal, reprend mon souffle, et observe les alentours. Là, en bas, une louve. Je ne vois pas les détails de son corps ni de son visage, et je doute qu'elle m'ait repéré. Alors, je commence à la suivre dans son aventure. Grimpant sur les roches, m'efforçant d'être discret même lorsque je dérape et que je manque de tomber, je m'enfonce avec elle dans la blessure et j'échappe comme elle aux coulées de laves qui sillonnent les lieux de leur chaleur ardente. Je glisse brutalement dans le vide, me rattrape de justesse à une racine sortie de nulle part. Grondant entre mes dents, je serre si fort mes mâchoires que la douleur irradie jusqu'à mes tempes pour me rappeler que non, mes crocs ne sont pas faits pour supporter mon poids dans son intégralité. Lorsque je parviens à me ramasser et à rejoindre le sol de pierre, la louve en contre bas à disparu, bien plus avancée que moi. Je me précipite sur les roches, l'équilibre précaire, et la rejoins à toute allure. Tant et si bien que lorsque j'arrive à elle, je la percute sans avoir eu le temps de la voir. Nous roulons au sol, et je reprends mes marques rapidement avant de me faire attaquer en premier. Sait-on jamais, je ne voudrais pas me faire tuer. Je lui fais face et me tais, l'observe dans un silence parfait.

D'abord un échange de regards, histoire de faire comprendre à l'autre qu'on ne cherche pas les ennuis, mais que lui peut les trouver si besoin est. Et puis, elle charge. Pas le temps d'analyser le temps, l'humidité de l'air ou le taux de phéromones qui volent autour de nous, je suis déjà au-dessus d'elle à me faire balancer avant que son corps vienne frôler le mien et sa queue taquiner ma truffe. Elle repart en courant, je suis sur ses talons la secondes d'après. Je frappe le sol de mes pattes, tambourinent contre les parois et bondis entre les rochers pour rester au plus près d'elle. Mu par un instinct nouveau, je suis un traqueur en chasse sans savoir vraiment ce que je poursuis. Je ramasse une pierre qu'elle a fait tomber dans sa course, m'étale dans les graviers et me redresse aussitôt pour reprendre ma course derrière elle. Les pierres glissent sous mes pattes, mes griffent frottent le sol et laissent sur certains rochers des marques blanches effilées, mais je n'abandonne pas. La louve sent drôlement bon, et je sens au fond de moi que si j'arrive en haut avant elle, la récompense sera bien plus grande que quelques muscles supplémentaires autour de mes jeunes os juvéniles. Les parois résonnent d'un rire nerveux alors que je dévale la pente comme une furie, comme si j'étais poursuivi par la mort. Les pierres glissantes ne m'arrêtent pas, les dérapages et les ratés ne me poussent pas à abandonner. Je m'acharne à escalader les parois comme une chèvre de montagne, bien décidé à atteindre le sommet en premier. Je claque des mâchoires, l'odeur me reste malgré moi dans les narines et je n'arrive pas à réfléchir correctement, enivré par cette queue touffue frôlant ma truffe humide. C'est comme si les particules odorantes me rendaient ivre. Je ne la lâche pas des yeux ou plutôt, je ne lâche pas sa croupe des yeux. Mes orbes émeraudes la fixent avec intérêt, comme si elle était le centre de mon monde. Et elle l'est, aujourd'hui.

Elle me persécute, me force à la désirer et à la suivre pour me rejeter et me rappeler la seconde d'après. Elle me prend pour un toutou bien dressé et je le suis. Je continue de lui courir après, de lui coller au train comme si ma vie en dépendait. Je me propulse à sa suite, me rattrape de justesse quand ses crocs frôlent mon visage. Mais je suis de nouveau derrière elle alors qu'elle m'oblige à m'enfoncer dans une cavité obscure où je ne peux plus la traquer qu'à l'odeur. Chose facile pour un loup, finalement. Me voilà tout près, je la sens. Je sais qu'elle est là quelque part, et qu'elle m'attend. Son odeur me rend dingue, je ne saurais me montrer plus patient. Je me propulse en avant, essaie de la rejoindre mais capture chaque fois le vide et l'obscurité. Elle se cache, elle m'appelle, m'attend. Elle ne se laisse pas attraper et pourtant, je sais qu'elle en meurt d'envie. Elle test mon mérite, elle veut que je fasse mes preuves avant de me récompenser. Je me jette contre les parois pour prendre appui et partir dans une course effrenée au coeur des galeries sombres. L'humidité me colle au pelage, mais j'ignore si les lieux sont responsables, ou si ce n'est que l'ambiance dégagée par l'odeur alléchante de la louve adulte. Je bifurque à gauche et à droite sans jamais m'arrêter, continuer de jouer des coudes pour me faire un passage dans des galeries trop étroites. Je bondis en avant, rampe quand le plafond est trop bas, et je m'accroche à l'idée d'être récompensé comme il se doit lorsque je l'aurais retrouvée.

Mon équilibre est incertain, l'espace bien trop étroit même pour mon corps fin et élancé de jeune adulte. Je continue pourtant mon ascension dans ces tunnels sombres et poisseux. L'humidité colle à mon pelage et chaque fois que mes pattes manquent de me faire perdre l'équilibre précaire que je peine à garder, je retiens mon souffle durant de longues secondes avant de parvenir à progresser encore un peu plus. Je souffle fort, essaie de garder mon calme malgré l'inconnu de la situation. Et je me guide à l'odeur alléchante de la femelle que je trace depuis déjà ce qui me semble être l'éternité. Lorsqu'enfin la lumière se profile loin devant moi, je suis tellement épuisé que les effluves de la louve n'évoquent plus en moi que lassitude et un désir profond de me reposer. Je m'extirpe difficilement de cette grotte infranchissable, posant sur la louve sombre mon regard d'émeraude et restant là, à la fixer, durant de longues secondes. Je grogne, frustré de ce désir coupé, de cette récompense longtemps attendue et désormais totalement indésirée.

- J'me casse.

Déjà, je lui tourne le dos. Inutile de rester plus longtemps, je ne la suivrais pas davantage dans ses jeux stupides et je n'ai plus aucune envie de la pister, son odeur n'attire plus rien du fond de mes entrailles.